La Communauté économique de l’ASEAN en 2015
Éléments documentaires
Rémi Perelman, Asie21
(cf. Lette confidentielle Asie21-Futuribles n° 66, septembre 2013)
Introduction, contexte
La Communauté économique de l’ASEAN est la seconde de trois étapes marquant l’approfondissement, l’intégration et l’élargissement de la coopération économique en Asie du Sud-Est et de ses partenaires traités selon une géométrie variable. Les 1e et 3e étapes sont notées ici pour mémoire.
1992 : 1e étape, la Zone de libre échange de l’ASEAN (AFTA), Asean Free Trade Area
Lors du sommet de Bali en 1976, les chefs d’État de l’ASEAN ont décidé de promouvoir la coopération économique. Beaucoup de temps a été nécessaire pour réduire les fortes protections douanières et barrières non tarifaires érigées par chaque État membre, en outre très différentes de pays à pays. Les annonces de l’ALENA et surtout de la Communauté européenne, future « forteresse », ont été décisives pour amener, en 1992, l’ASEAN a créer sa Zone de libre échange* (AFTA), en vue de s’adapter à l’évolution de l’économie mondiale, de faciliter les échanges intra ASEAN (droits de douane pour les biens produits à l’intérieur de l’ASEAN limités à 5 %, objectif atteint en 2003) et d’attirer les investissements extérieurs.
* Suppression des droits de douane et des restrictions quantitatives aux échanges ; les États gardent cependant leur liberté quant à leur politique commerciale avec les pays hors zone.
2015 : 2e étape, la Communauté économique** de l’ASEAN (AEC), ASEAN Economic Community
L’AEC devrait entrer en fonctionnement le 31 décembre 2015, en vertu de la décision prise en 2007 lors du sommet de Singapour. Ses caractéristiques : un marché et une base de production uniques ; une région au développement équilibré ; une économie hautement compétitive et bien intégrée à celle du reste du monde. Parmi les domaines de coopération : consultation en matière de politique économique et financière, « connectivité » des infrastructures, e-commerce, intégration industrielle, simplification des procédures, équivalences de diplômes… Selon l’OCDE, l’ensemble des 10 pays de l’ASEAN (y compris donc les moins avancés, Birmanie, Cambodge, Laos et Vietnam) devrait afficher une croissance de 5,5 % pour la période 2013-2017. Détails au chapitre 1.
** Suppression des droits de douane et des restrictions quantitatives aux échanges ; application d’une même politique vis-à-vis des pays hors communauté ; libre circulation des facteurs de production (travail et capital) ; application d’une politique économique harmonisée entre membres de la communauté.
2020 ( ?) : 3e étape, un « Accord de partenariat économique régional » (RCEP),Regional Comprehensive Economic Partnership élargie (ASEAN, Chine, Corée du Sud, Japon, Inde, Australie et Nouvelle-Zélande)
La dynamique est relancée en 2012 lors du sommet de Phnom Penh lorsque, pour réduire l’effet de crises venues de l’Occident et, plus généralement, sa dépendance à son égard, l’ASEAN passe à l’étape suivante en décidant d’ouvrir les négociations en vue d’un « Accord de partenariat économique régional » entre l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (ASEAN+6), soit 16 pays (3,5 milliards d’habitants, un marché unique de 20.000 milliards de dollars de PIB, soit près de 30 % d’un PIB mondial de 70.000 milliards de dollars). Initiative de l’ASEAN pour regrouper en un seul « paquet » les différents accords de libre échange (FTA) conclus séparément avec la Corée du Sud, le Japon, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Détails au chapitre 2.
Chapitre 1 – La Communauté économique** de l’ASEAN (AEC)
L’AEC devrait entrer en fonctionnement le 31 décembre 2015, en vertu de la décision prise en 2007 lors du sommet de Singapour.
1.1) Les pré–requis de l’OCDE
Afin d’obtenir une croissance régionale équilibrée, les pays du Sud-est asiatiques devraient mettre en œuvre les actions suivantes de toute urgence : améliorer les structures fiscales à moyen terme, stimuler la compétitivité externe en soutenant de nouveaux secteurs à croissance et développer une infrastructure de transport régionale intégrée.
L’amélioration des politiques de structures fiscales est critique pour l’exécution des projets de développements nationaux. Les projets de développement sur cinq ans des pays de l’ASEAN – visant le développement des infrastructures, la réduction de la pauvreté et la protection sociale – exigeront des finances publiques solides. « Des règles fiscales bien conçues, des institutions fiscales indépendantes et des cadres budgétaires de moyen terme conformes aux projets du développement national devront encore être créés ».
La stimulation de la compétitivité externe des secteurs prioritaires de l’ASEAN est la clé pour bénéficier pleinement des avantages de la création d’une communauté économique de l’ASEAN. Un défi majeur consiste à réduire la dépendance excessive aux exportations basées sur une gamme étroite de produits électroniques – surtout, en ce qui concerne les composants – et monter par la suite dans la chaîne de valeur. Les pays de l’ASEAN devraient aussi développer des produits plus spécialisés dits de « niche » dans les neuf secteurs prioritaires. Par exemple, la diversification dans les marchés de produits et services médicaux fournirait une nouvelle source commerciale de croissance.
Le développement d’une infrastructure de transport davantage intégrée est nécessaire afin d’encourager la connectivité régionale et subrégionale. Les défis consistent à surmonter les coûts de transports excessivement élevés, résoudre la congestion urbaine, et améliorer la compétition et l’efficacité des transports aériens. L’exploration de nouvelles méthodes de financement, telles que par exemple, les obligations pour le financement de l’infrastructure qui ont déjà fait leurs preuves dans les pays de l’OCDE, pourrait aussi être appliquée dans le secteur des transports du Sud-est asiatique. Cependant, l’infrastructure seule ne suffit pas. Les pays de l’ASEAN doivent améliorer les politiques ainsi que la règlementation du secteur des transports, tout en renforçant la coopération régionale, notamment à travers des initiatives et des accords multilatéraux.
Enfin, la coopération macroéconomique requiert trois préalables :
- Création d’un système fiable d’alerte précoce des risques de crise potentiels. Deux groupes de travail ont été créés en 2006 : le GOE (Group of Experts) et le ETWG (Economic Technical Working Group), avec comme but d’améliorer la surveillance macro-économique de la région.
- Coordination des dispositifs bancaires et fiscaux destinés à garantir l’afflux de capital sur le long terme.
- Compatibilité des mesures incitatives à la participation à des actions collectives entre pays membres.
1.2) Les défis majeurs
Pour atteindre l’objectif de l’AEC, l’ASEAN devra surmonter collectivement plusieurs défis :
- passer d’une économie de revenus moyens à une économie pleinement développée ;
- aboutir à l’intégration géographique (« connectivité »), industrielle et sociale ;
- améliorer la résilience économique aux chocs provoqués par les crises économiques ou les désastres naturels et maintenir la durabilité du tissu productif ;
- faire de l’ASEAN un rouage majeur au cœur de l’Asie émergente en matière de production de biens et de services, notamment fondé sur de nombreuses entreprises de taille moyenne et un centre dans le jeu mondial.
Un défi particulier : la réduction des disparités économiques est une condition majeure pour que l’intégration économique soit effective au sein de l’ASEAN. Les disparités sont multiples : entre pays membres et au sein des pays, entre régions prospère et pauvres, des disparités sociales selon le genre, l’âge et l’origine ethnique, des disparités industrielles entre multinationales et PME locales (articuler la fluidité des réseaux de PME locales dynamiques à la puissance des grands groupes). Sur le chemin de l’intégration, des disparités majeures sont apparues entre les 6 premiers membres et les 4 pays de la péninsule indochinoise aux économies stagnantes arrivés entre 1995 et 1999. Elles s’estompent progressivement mais très lentement, la capacité à accélérer ce mouvement sera un indicateur de réussite de l’EAC. Une autre ligne de clivage, politique, celle-là, est apparue à divers degrés entre les pays affrontés à la Chine à propos du différend sur la souveraineté des îles (Philippines, Malaisie, Vietnam) et les autres. Les disparités sont également manifestes entre secteurs d’activité. Ainsi, l’association indonésienne des agriculteurs (HKTI) a évalué que le secteur agricole n’est pas prêt à faire face à la communauté économique de l’ASEAN (AEC) en 2015 et appelle toutes ses parties prenantes à faire un grand effort de modernisation pour le rendre compétitif. Le Laos, pour sa part, ne dispose ni d’une main-d’œuvre qualifiée suffisamment compétitive dans les secteurs privé et public ni des infrastructures ou d’un système juridique nécessaires au développement de l’industrie, du commerce et des services.
1.3) Avancement des phases préparatoires
(Source principale : Ambafrance à Singapour, Service économique régional)
Le suivi de la mise en œuvre des mesures décidées est assuré par un système de « fiches de résultats » par pays (Scorecard). Si les résultats obtenus au cours de la première période de surveillance (1908-1909) sont satisfaisants (87,6 %, soit 92 mesures adoptées sur 105), la période suivante l’est nettement moins, avec le chiffre de 56,4 %. Pour qu’une mesure soit complètement mise en œuvre, il faut que tous les pays de l’ASEAN l’aient adoptée. Mais la notation (‘oui’ / ‘non’) souffre d’une série de limites qui en rendent l’interprétation très difficile et le secrétariat de l’ASEAN n’est pas autorisé à désigner les pays qui feraient obstacle à la mise en œuvre des mesures…
– les succès :
la libéralisation tarifaire, à quelques exceptions près, est quasi complète, 20 ans après le lancement du processus en 1992 et 2 ans avant l’ouverture. La « libéralisation AEC » a en fait bénéficié de la phase précédente de la mise en place de l’AFTA. En effet, 99,11 % des tarifs douaniers au sein de l’ASEAN 6 (les 6 pays les plus développés de l’ASEAN à savoir, Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Brunei, Philippines) avaient été réduits à zéro fin 2010, pendant que dans l’ASEAN 4 (Cambodge, Laos, Vietnam, Birmanie), 98,6 % des tarifs douaniers ont été aujourd’hui ramenés entre 0 et 5 %. Une libéralisation tarifaire totale aux alentours de 2015 est donc en bonne voie.
La facilitation des échanges (procédures douanières, harmonisation réglementaire), en bonne voie.
Les principaux risques des établissements bancaires ont été fortement réduits. Les banques ont réussi à endiguer leur problème de liquidité. Fin 2010, le ratio de solvabilité des banques malaisiennes affichait 14,8 % en moyenne et celui des banques indonésiennes, 17,2 %. Le risque de « credit event » (entre 2 et 3,9 %) a été lui aussi fortement réduit et les provisions sont suffisantes pour y faire face. Les banques se financent majoritairement via leur dépôt (ratio prêts-dépôts compris entre 75 % et 81,3 %). Les banques de l’ASEAN n’auront en principe aucun mal à remplir les critères de Bâle III (les 3 banques de Singapour en remplissent déjà toutes les exigences). Cependant, le secteur bancaire reste largement protégé dans chaque pays et la libéralisation des investissements se heurte au maintien de protections nationales nombreuses dans les secteurs des services. Si des efforts ont été faits par l’ASEAN pour stabiliser l’ensemble de son système financier et monétaire et bien qu’à l’échelle de l’ASEAN+3 le marché obligataire apparaisse développé, il ne représente qu’une très faible part des émissions d’obligations à l’échelle mondiale (1,2 %). La situation est très contrastée suivant les pays : le marché obligataire malaisien représente 114 % de son PIB son homologue indonésien, 20 %. Par ailleurs, les entreprises de Singapour et de Malaisie peinent à émettre des obligations avec une maturité supérieure à 10 ans, et les transactions sont peu fluides. Une fois sur le marché secondaire elles sont bien souvent gelées dans le portefeuille de l’acheteur initial.
– Les insuffisances :
obstacles ou barrières non tarifaires : les engagements relatifs à leur levée sont beaucoup plus flous : chaque pays définit la part de ces mesures qui serait un obstacle, leurs calendriers de libéralisation ne sont pas définis avec précision (hétérogénéité des obstacles et mesures correctives improvisées, notamment relatives aux licences d’importation). Le Vietnam et l’Indonésie les ont ainsi multiplié, affectant directement les autres pays de la région. À titre d’exemple, les restrictions aux importations de fruits et légumes introduites en Indonésie se font au détriment de la Thaïlande et de la Chine. Sur ce volet, l’ASEAN a régressé.
Dans le domaine des services la libéralisation est aussi mesurée que les ambitions affichées.
Libre circulation des personnes : l’objectif reste très limité (la création d’un visa unique pour la région ne devraient voir le jour qu’aux alentours de 2020). La reconnaissance mutuelle des professions n’ouvre pas pour autant un droit à résider ou travailler dans les autres pays de la région tandis que différentes barrières sont érigées : tests de nécessité économique, domaines réservés aux nationaux, exigence de maîtrise de la langue nationale, conditions de ressources pour la délivrance des visas, lesquels se concentrent sur les investisseurs et les échanges universitaires et ne couvrent que marginalement les travailleurs qualifiés.
Concurrence et protection des consommateurs. Les objectifs restent relativement modestes et limités : chaque pays doit disposer d’un cadre légal et d’une autorité administrative compétente.
Propriété intellectuelle :il s’agit plus de l’esquisse d’un cadre que de véritables mesures.
Infrastructures et transports. Les retards s’accumulent par rapport aux objectifs. Ceux-ci portent sur la mise en place prioritaire d’un Single Aviation Market, d’une Roadmap towards an integrated and competitive maritime transport) et sur le soutien à des projets structurants à l’échelle de l’ASEAN : gazoduc, réseau électrique HT, liaison ferroviaire Singapour-Kunming. Leur mise en place pour 2015 est loin d’être assurée. Un ambitieux Master Plan on ASEAN Connectivity, destiné à améliorer, compléter et homogénéiser les différentes infrastructures (rail, route, électricité, voies maritimes et équipement portuaire, fibre optique) a été établi. La programmation ne se finalise donc qu’en 2020, sur le papier… Le Fonds d’investissement correspondant (ASEAN Infrastructure Fund Limited, AIF, créé en 2011, domicilié à Labuan en 2012, une île de Malaisie, et administré par la Banque asiatique de développement, BAD) n’a été en effet que très insuffisamment doté : sa dotation initiale est de 485 millions de dollars – dont 335 provenant de 9 des 10 pays de l’ASEAN en attendant la contribution de la Birmanie, le reste, 150, de la BAD). Sa capacité de prêt d’ici à 2020 est estimée à 4 milliards de dollars. Avec un cofinancement envisagé avec la BAD à 70 %, le Fonds prévoit de mobiliser plus de 13 milliards de dollars, alors qu’indépendamment du financement des infrastructures de strict intérêt national, les besoins relatifs aux projets d’intérêt régional sont estimés à 60 milliards de dollars par la BAD pour la période 2010-2020. Tout ou partie du complément est attendu d’un partenariat public-privé. Le financement de la première opération devrait être engagé au cours du second semestre de 2013 (un pipeline de 1 milliard de dollars, mise en œuvre dans les 3 ans à venir).
Formation, information des entreprises. Un sérieux effort d’information du milieu entrepreneurial est en effet nécessaire pour aborder l’ouverture de 2015 : risques et opportunités ne sont pas encore perçus au niveau micro-économique. Toutefois, les PME bénéficient d’un « Plan d’Action » 2010-2015, qui prévoit notamment la mise en place dans chaque pays de centres de service intégrés et de facilités financières. Les pays pauvres (Birmanie, Cambodge, Laos, Vietnam) bénéficient d’une série d’actions de formation et d’assistance technique couvrant une dizaine de domaines (Initiative for Asean Integration).
1.4) L’AEC, ses voisins et au delà
Chine. Pour Pékin, l’intégration régionale est une priorité croissante, à condition qu’elle ne concerne que la sphère économique, tandis que la complémentarité des échanges permet de dynamiser l’appareil industriel chinois.
Japon. Tokyo a toujours encouragé l’ASEAN à agir (doctrine Fukuda, 1977) et contribué financièrement à ses réalisations, notamment pour promouvoir le développement de l’ensemble du bassin du Mékong. L’enjeu est de ne pas laisser la Chine agir à sa guise dans son glacis méridional en même temps qu’à y favoriser les coopérations industrielles lorsque la main d’œuvre chinoise se révélera moins intéressante que par le passé.Le Japon estime utile de mettre en avant la « centralité » de l’Asean, ce qui lui permet de ne pas apparaître en tête des mouvements d’intégration et de laisser beaucoup de souplesse à sa diplomatie (cf. le lancement récent du RCEP, voir ci-dessous). Tokyo préfère encadrer la Chine dans une négociation régionale dont les paramètres auront été élaborés collectivement par les pays de l’ASEAN, ceux-ci étant incités à présenter une plate-forme commune de négociation portant sur les principaux enjeux (biens, services, investissements…). Le secteur privé japonais s’intéresse prioritairement à l’harmonisation réglementaire (dont il est en fait l’un des acteurs principaux dans des secteurs comme l’automobile ou l’électronique) et aux projets de « connectivité ». À cet égard, le retour de la Birmanie est pour le Japon une occasion à ne pas manquer pour achever les projets d’interconnexion de la péninsule indochinoise.
États–Unis. Il s’agit pour Washington d’influer sur la dynamique interne d’harmonisation réglementaire et de facilitation des échanges et de finaliser le Partenariat Trans-Pacifique –dont les ambitions sont très supérieures à celles de l’AEC – avec quatre des membres de l’organisation (Brunei, Singapour, Malaisie et Vietnam), avec le pari que le TPP s’imposera aux autres membres de l’ASEAN.
Union européenne poursuit en parallèle des négociations de libre-échange avec plusieurs pays de l’Asean (Singapour, Malaisie, bientôt Vietnam, peut-être Indonésie), dont les objectifs sont également plus ambitieux que ceux de l’AEC dans un certain nombre de domaines, avec l’idée à terme d’un retour à un cadre de libre-échange UE-ASEAN.
Au total, le projet de l’AEC apparaît comme l’élément d’un ensemble en devenir, qui conduit les pays de l’ASEAN à ouvrir davantage leurs marchés, en réduisant les risques de distorsions d’engagements et en régulant les conditions de concurrence au sein de la région. Décevant par rapport à des ambitions initiales excessives, l’AEC va néanmoins constituer une étape significative dans le processus d’intégration régionale et permettre de mettre en chantier le RCEP. Les disputes territoriales en mer de Chine méridionale entre Pékin et plusieurs pays du bloc régional, pourraient freiner les négociations. Mais la Chine et les États-Unis ont en réalité intérêt à un statu quo, utile sur le point de la sécurité comme sur le plan économique : une zone qui n’est ni paisible ni stable n’est pas propice aux échanges commerciaux.
Chapitre 2 –« L’Accord de partenariat économique régional » (RCEP)
2.1) Origine et périmètre
Le cadre de ce partenariat a été adopté lors du 19e Sommet de l’ASEAN, en novembre 2011, à Bali. La proposition d’en lancer le projet d’ici 2020 a été faite lors de l’adoption du Rapport de l’East Asia Vision Group en 2012 présenté au sommet de Phnom Penh. Il s’agit de relancer la dynamique asiatique pour réduire l’effet de crises venues de l’Occident et, plus généralement, sa dépendance à son égard. L’ASEAN passe ainsi à l’étape suivante en décidant d’ouvrir les négociations en vue d’un « Accord de partenariat économique régional » entre l’ASEAN, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (ASEAN+6), soit 16 pays (3,5 milliards d’habitants, un marché unique de 20.000 milliards de dollars de PIB – 40 % du PIB mondial). Initiative de l’ASEAN pour regrouper en un seul « paquet » les différents accords de libre échange (FTA) conclus séparément avec la Corée du Sud, le Japon, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Plus précisément, le partenariat engloberait à la fois les accords de libre-échange avec chacun des partenaires hors ASEAN et l’Accord de coopération économique entre la Chine, la Corée du Sud et le Japon (« CJK FTA »), en cours de discussion par ailleurs. L’interdépendance commerciale ne cesse en effet de croître en Asie depuis 25 ans. L’accord « pourrait fournir le cadre de l’accélération du commerce régional et des flux d’investissements, réduisant la dépendance de l’Asie de l’Est sur les marchés d’exportations de l’UE et des États-Unis, et encourageant le commerce entre les pays en développement d’Asie ». La Corée du Sud s’est fait l’ardent avocat du RCEP lors du sommet de l’ASEAN+3 à Brunei, les 9 et 10 octobre 2013 : « Vu comment l’Europe s’est dirigée vers une intégration politique à travers la création de la communauté économique européenne après la seconde guerre mondiale, ces propositions [de partenariat] reflètent notre désir que l’Asie de l’Est puisse suivre une trajectoire similaire » a déclaré son ministre des Affaires étrangères qui se réfère à la Banque asiatique de développement pour souligner le poids croissant de l’Asie : « d’ici 2050, l’Asie représentera 52% du PIB mondial ».
Simultanément, il était décidé de doubler le fonds de réserve (Initiative de Chiang Mai, ASEAN+3) à 240 milliards de dollars pour réduire la dépendance à l’égard du FMI et renforcer l’intégration économique (le commerce dans l’ASEAN+3 a progressé de 35% entre 2006 et 2008 selon la Banque asiatique de développement).
2.2) Les domaines de négociation
Commerce de marchandises et de service, investissement, coopération économique et technique, droit de propriété, règlement des différends. Le projet est ambitieux et les différences entre puissances sont telles que l’on peut soupçonner ce projet d’avoir été un paravent confortable destiné à faire passer l’échec – du fait du Cambodge – de la production d’une déclaration commune qui aurait impliqué le différend en mer de Chine du Sud.
Le RCEP, où la présence de la Chine est notable, serait de plus un contrepoids au Partenariat transpacifique (TPP, le tiers du commerce mondial et 40% du PIB mondial), composante du pivot américain en Asie, en cours de discussion entre les Etats-Unis et onze autres pays, dont certains membres de l’ASEAN (Brunei, Malaisie, Singapour et Vietnam). Point discuté : la propriété intellectuelle (Web, médicaments…) ; critique à son encontre : le secret de la procédure des négociations.
2.3) Quelques précisions sur la méthode et la portée.
Malgré les similitudes avec les initiatives du East Asia Free Trade Agreement (EAFTA) et du Comprehensive Economic Partnership in East Asia (CEPEA), le RCEP a des caractéristiques propres :
L’ouverture, la souplesse et la patience nécessaires pour parvenir à des accords de partenariat aussi complets que possible (en tout cas, plus approfondis que ne le sont les FTA de type ASEAN+1 existant avec la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Inde et l’Australie-Nouvelle Zélande). Le partenariat est également ouvert à tout autre pays qui le souhaiterait. Le traitement réservé à chaque pays tient compte de sa situation et les dispositions prises avec l’un ne s’imposent pas uniformément aux autres membres. Une élaboration collective, mais au rythme de chacun, chacun y participant au moment qu’il jugera opportun, le RCEP devenant un « ASEAN+6+… se distinguant de l’East Asia Free Trade Agreement (EAFTA) fondé sur la formule de l’ASEAN+3, celle que préfère la Chine, et, dans une moindre mesure, du Comprehensive Economic Partnership in East Asia (CEPEA), basé sur l’ASEAN+6, qui a les faveurs du Japon.
Il est attendu du RCEP une consolidation de la « centralité » de l’ASEAN, défiée par la multiplication des accords économiques dans la région et la rapidité de l’évolution des situations
Le RCEP est plus inclusif que le Trans-Pacific Partnership (TPP) and l’APEC’s Free Trade Area qui ne comprennent pas l’ensemble des membres de l’ASEAN. Le TPP, par exemple, ne compte parmi ses membres que Brunei, Singapour, la Malaisie et le Vietnam. La Chine ni l’Inde n’y adhèrent.
Le RCP s’attache à tenir le plus grand compte des intérêts des acteurs du secteur privé et encourager les réformes propres à chaque pays en vue de la bonne gouvernance de l’ensemble des membres, à rationnaliser et harmoniser les règles d’origine (critères permettant de déterminer le pays d’origine d’un produit), à faire avancer les accords relatifs à l’épineuse question des obstacles non-tarifaires (pour aboutir à des standards régionaux) ou au secteur sensible des services (en identifiant les secteurs susceptibles de donner rapidement des résultats visibles et à effets d’entraînement, à traiter en priorité, le tourisme par exemple).
APEC, TPP et RCEP sont des procédures parallèles qui entretiennent des relations d’amicale rivalité. Sur le long terme, leurs animateurs respectifs devront rester attentifs au développement des complémentarités entre chacune.
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