La Chine banquier du monde
Claude Meyer, Fayard, 2014, 359 pages
Avec des réserves supérieures au PIB de l’Allemagne, la Chine qui manie souvent la politique du chéquier, est perçue comme le banquier du Monde. Ainsi à l’occasion de la crise, les chefs d’Etat européens avaient évoqué sa participation à un fonds de soutien, la Chine a préféré prendre des gages en rachetant le port conteneur du Pirée. Dans son dernier ouvrage, Claude Meyer, enseignant à Sciences Po, renverse la perspective en analysant l’ascension financière de la Chine comme « la meilleure réponse des dirigeants aux défis économiques du pays ». L’internationalisation serait moins l’expression de la puissance chinoise qu’une parade à ses vulnérabilités.
Dans une première partie, après avoir dressé un tableau fouillé des acteurs financiers chinois – les banques d’Etat, les fonds souverains et leurs dirigeants – en insistant sur leurs relations avec le Parti Communiste, Claude Meyer décrit la dépendance chinoise envers les matières premières et évoque celle à venir sur l’alimentation. A ce sujet, il souligne avec justesse que les nombreux accaparements de terres attribués aux Chinois relèvent du buzz comme l’a récemment démontré une conférence organisée à Washington par Deborah Brautignam en mai 2014. Les statistiques chinoises sur l’investissement à l’étranger ne permettant pas d’apprécier la présence des entreprises chinoises dans le monde – elles indiquent que les deux tiers se dirigent vers Hong Kong où des paradis fiscaux – , l’auteur adopte la base de données construites par la fondation américaine Heritage pour suivre les rachats par des chinois d’entreprises américaines. Malheureusement cette base est également imparfaite, car en suivant montants supérieurs à 100 millions de dollars, elle ignore de nombreux investissements. S’il n’existe pas de sources alternatives dans le cas de l’Afrique, il y en a pour d’autres régions du monde qui offrent une alternative. Une seconde partie présente la stratégie mise en œuvre par le gouvernement chinois et les opérateurs pour assurer son approvisionnement en ressources naturelles, accéder aux technologies en rachetant des entreprises. Enfin, après avoir analysé d’où provient la puissance financière – l’épargne de tous les agents et l’excédent commercial – l’auteur insiste dans une quatrième partie sur les fragilités du système financier et les questions soulevées par l’internationalisation du Yuan. Trop souvent présentée comme la force de frappe de la Chine, les réserves chinoises sont également un élément de fragilité et en accumulant des Titres du Trésor, la Chine a été prise au piège du dollar selon l’expression de Prasad.
Cet ouvrage est clair mais plusieurs points auraient mérité plus de discussion. Ainsi, l’auteur évoque les objectifs (ou les projections) des Chinois sans toujours discuter leur vraisemblance, ou s’agissant d’annonces passées de vérifier leur mises en œuvre. Ainsi, souligne-t-il la volonté chinoise d’investir dans l’industrie en Afrique en y construisant des Zones économiques spéciales : toutefois huit ans après cette annonce faite au Focac de 2006, à l’exception de la Zambie et de l’Éthiopie, les ZES ont peu avancés : Lenteurs africaines ? Réticences chinoises ? On peut également s’interroger sur la pertinence de la stratégie d’internationalisation chinoise comme réponse au besoin de matières premières qu’explique pour partie une consommation peu efficace par unité de PIB. Enfin, l’auteur insiste sur la question du rééquilibrage du régime de croissance de l’investissement (et l’exportation) vers la consommation qui évoqué depuis plus de dix ans est une véritable Arlésienne. La crise de 2008 aurait pu être une occasion de l’engager. Cela n’a pas été le cas et en 2013, l’investissement contribue davantage à la croissance que la consommation. Qu’est ce qui bloque le rééquilibrage ? Peut-on s’attendre à ce que la consommation – déjà dynamique – puisse pallier une légère baisse de l’investissement. Autant de questions qui peuvent faire l’objet d’un nouveau livre.
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21