CHINE – VIETNAM – MER DE CHINE DU SUD Illégitimité du tracé en neuf traits, la Chine persiste et signe (et cartes)

CHINE – VIETNAM – MER DE CHINE DU SUD

Illégitimité du tracé en neuf traits : la Chine persiste et signe, Daniel Schaeffer, Asie21, 14 mai 2014

(Grâce au recueil d’informations de plus en plus claires sur la nouvelle avancée chinoise en mer de Chine du Sud face au Vietnam, ce complément à notre alerte diffusée dans notre lettre confidentielle N° 73 permet d’en préciser quelques éléments ainsi que notre analyse).

Les 3 et 4 mai 2014, par le biais de sa compagnie China National Oil Offshore Company (CNOOC), la Chine a mis en place sa plate-forme géante de forage (HD-981 ou Haiyang Shiyou 981) au large des côtes vietnamiennes pour y mener une campagne temporaire de recherches pétrolières, du 4 mai au 15 août. La plateforme en question a été amarrée au large de Danang, plus exactement de la province de Quang Ngai, à 120 milles marins de l’île vietnamienne de Ly Son, et à quelque 18 milles marins au sud de l’île du Triton, de l’archipel des Paracels, à 15°29’58’’ de latitude nord et 111°12’06’’ de longitude est. Elle est ainsi placée en zone économique exclusive (ZEE) vietnamienne, sur le block d’exploration – exploitation pétrolière N°143. Les cartes jointes permettent de visualiser correctement le site de la contestation.

 Blocs pétroliers du Vietnam – aVietnam Chine

source : PétroVietnam, juin 2012

 

En revanche, de leur côté, les Chinois estiment être dans leur droit en ce sens que la plateforme a été installée dans la zone contigüe des îles Paracels, ce qui, si l’on se place dans le cadre de l’interprétation abusive qu’ils commettent depuis longtemps du droit de la mer, est exact. En effet, le 15 mai 1996, le gouvernement chinois, dans sa déclaration sur « la ligne de base de la mer territoriale de la mer de Chine du Sud » a présenté les coordonnées des points à partir desquels il tirait les lignes de base droites qui déterminent le territoire de l’archipel des Paracels.

Or une telle méthode ne peut pas s’appliquer aux Paracels. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) la réserve, jusqu’à présent, aux seuls États archipels. Par cet artifice, au lieu de pouvoir prétendre à des eaux territoriales, des zones contiguës, des ZEE qui ne s’étendent qu’à partir des seules émergences qui peuvent soutenir une vie autonome (article 121.3 de la CNUDM), les Chinois prétendent alors à des eaux territoriales et une ZEE qui correspondent à un archipel, et non pas seulement à une ou plusieurs îles prises une à une. Dès lors le gain déterminé dans ses conditions en prétentions à territoire maritime sous souveraineté ou droits souverains est nettement supérieur à ce qui serait déterminé dans le cadre de l’application du régime des îles à chaque île des Paracels. C’est ce qui permet aux Chinois d’affirmer qu’ils sont dans leur droit lorsqu’ils implantent la plateforme HD-981 sur le site indiqué.

 

 Blocs pétroliers du Vietnam – b

Vietnam Chine mer de Chine du Sud

source : PétroVietnam, juin 2012

 

Ce nouvel incident aggrave, une fois de plus, les tensions déjà existantes en mer de Chine du Sud entre la Chine et ses voisins. Il constitue un pas supplémentaire dans la patiente stratégie globale qu’échafaude Pékin depuis 2006 pour renforcer concrètement la signification du tracé en neuf/dix traits, ce en tant que démarcation de l’espace maritime qu’il considère être indiscutablement sien. Ce qui correspond à 80 % de la mer de Chine du Sud, une mer en superficie à peu près équivalente à la Méditerranée. L’on se réfèrera aux multiples articles produits par Asie21 dans ses lettres confidentielles pour dresser le bilan de toutes les actions ponctuelles que mène la Chine pour consolider une telle position, tout en neutralisant les éventuelles réactions d’opposition. En effet, les actes irrémédiables à chaque fois accomplis ne revêtent pas la gravité suffisante qui justifierait un acte guerrier en réplique. C’est ainsi que, insidieusement, la Chine avance en mer de Chine du Sud sans que quiconque puisse résister, autant dans son bon droit ce dernier puisse-t-il être. C’est ce que les chercheurs anglo-saxons appellent la « stratégie du salami » pour ce qui est, en fin de compte, une application concrète du jeu de go.

Quant à la légitimité du tracé en neuf traits, elle est totalement infondée. Les Chinois font valoir que son existence, remontant à 1947, soit la date de sa première publication dans un atlas officiel, est antérieure à la Convention de Montego bay adoptée en 1982. En foi de quoi, estiment-ils, elle ne peut être mise en cause dans le cadre de la dite convention. Or l’impression en question, même si elle a été produite dans une publication officielle, n’a jamais été, avant le 7 mai 2009, accompagnée d’un texte par lequel la Chine aurait déclaré officiellement sa prétention sur l’espace maritime visé. La revendication officielle chinoise n’est donc pas antérieure au 7 mai 2009, date à laquelle le gouvernement chinois a fait valoir sa revendication par une note verbale adressée au Secrétaire général de l’ONU. La note était accompagnée d’une carte de la mer de Chine du Sud, carte qui comportait le tracé en neuf traits. Si cette démarche valide le caractère officiel de la revendication chinoise, elle ne confère pas pour autant de droit à Pékin sur l’espace revendiqué. C’est en effet par le biais d’un artifice tout à fait contestable que la Chine considère le tracé en neuf traits comme la ligne de partage équitable de la mer entre elle et les autres pays adjacents. Il en résulte que, tant que le tracé en neuf traits existera, il est absolument inutile de parler de résolution des contentieux territoriaux en mer de Chine du Sud par quelque voie que ce soit, puisque l’existence même de ce trait interdit une négociation authentique. S’acharner à appeler les parties à négocier en bonne entente ne fait qu’entretenir la confusion : il n’y a que lorsque le tracé en neuf traits aura disparu que d’authentiques négociations pourront se tenir.

En attendant, Chine et pays d’Asie du Sud-Est négocient pour faire en sorte que les conflits se règlent dans la sérénité. Après la Déclaration de conduite des États parties en mer de Chine du Sud, signée le 4 novembre 2002, sans effet comme le démontre la multiplication des incidents qui se sont produits entre la Chine et les autres usagers de la mer depuis son adoption, les États concernés négocient un Code de conduite dont les effets seraient plus contraignants que les seuls engagements moraux contenus dans la Déclaration.

Or c’est courir vers une chimère, un rêve, une illusion ! En effet, dès lors que le tracé en neuf traits continue à exister, dès lors que Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, Indonésie opèrent dans leurs ZEE respectives mais débordent de ce fait dans l’espace délimité par le tracé en neuf traits, ils sont, aux yeux de la Chine, coupables de violer les engagements inscrits dans la Déclaration. Et ce sera pire lorsque le Code de conduite sera adopté. Car il permettra à la Chine d’intervenir encore plus vigoureusement que dans le cadre de la Déclaration aujourd’hui. Déclaration ou Code, peu importe, son application ne pourra être authentiquement juste que lorsque le tracé en neuf traits aura disparu.

Enfin, la communauté internationale est intéressée par cette question, à deux titres. Le premier se situe au plan des principes : il n’est pas admissible en effet qu’un seul pays veuille faire d’une mer internationale une mer nationale, en l’occurrence, chinoise. Le second en est la conséquence : dès lors que la Chine disposerait de la mer de Chine du Sud comme mer territoriale, elle y disposerait de tous les pouvoirs discrétionnaires pour y règlementer, à sa guise, la circulation maritime internationale. Et la façon dont la Chine interprète parfois les textes auxquels elle adhère font qu’une simple garantie verbale de sa part sur la liberté de la navigation internationale en cet espace ne serait en aucun cas se montrer suffisante. Les marins qui le traversent, et les États dont ils dépendent, doivent être assurés de jouir de cette liberté sans risque quelconque de restriction.

La mer de Chine du Sud est une mer internationale et ne peut pas être autre chose qu’une mer internationale. C’est pourquoi il appartient à la communauté internationale toute entière d’œuvrer pour que le tracé en neuf traits disparaisse. De multiples possibilités existent, qui offrent à la Chine d’abandonner sa prétention sans pour autant perdre la face.

Daniel Schaeffer, Asie21

14 mai 2014

 

Laisser un commentaire