Philippe Le Corre, Alain Sepulchre, éditions Fayard, 2015, 195 pages
Dans Le défi américain paru en 1967, Jean Jacques Servan Schreiber analysait l’offensive américaine en Europe ; dans les années 1980, des livres ont traité de l’offensive japonaise et aujourd’hui, l’Europe fait face à une offensive chinoise qui a redoublé d’intensité depuis la crise de 2008. Philippe Le Corre, chercheur à la Brookings Institute et Alain Sepulchre, enseignant à Paris Dauphine et à Hong Kong, et qui ont tous deux pratiqué la Chine sont bien placés pour l’analyser. Ils commencent par un panorama de la présence chinoise : bien que les grandes entreprises françaises aient multiplié les visites depuis les années 1980, la France n’a pas d’image industrielle aux yeux des entreprises chinoises attirées par ses marques et son agro-alimentaire. Plus intéressées par les technologies allemandes, ces entreprises rachètent parfois des fleurons du Mittelstand. En Italie, les Chinois forment un quart des habitants du Prato : rappelons que dans les années 1990, cette ville de Toscane avait été analysée comme l’illustration des atouts de la spécialisation flexible, la force de la 3e Italie ! Depuis 2008, la crise a ouvert des opportunités aux Chinois dans les infrastructures en Espagne, Italie, Grèce ou Portugal. Mais le Royaume-Uni, ses infrastructures et sa finance conservent la préférence des Chinois. Après ce tour d’horizon, le livre dresse un bilan en demi-teinte des investissements : des acquisitions immobilières pour obtenir des visas de séjour, des projets de zones industrielles qui se révèlent simples opérations immobilières. Quant aux opérations industrielles, le bilan est encore à faire : le rachat de Volvo par Geely n’a pas atteint les objectifs et l’entrée de Dongfeng au capital de Peugeot vient d’être conclue.
Selon la théorie, une entreprise qui s’internationalise s’appuie sur des avantages spécifiques. Cependant, hormis l’impétuosité de leurs fondateurs qui se sont imposés sur le marché chinois, les entreprises chinoises privées semblent avoir plus de faiblesses – dont les défauts habituels des entreprises familiales – que d’avantages. Parmi ces derniers, il y a l’attraction exercée par le marché chinois auprès des partenaires européens, leurs relations avec l’administration, le monde politique (une centaine de milliardaires siègent à l’Assemblée), le Parti Communiste dont les « fils de prince ». Ce guanxi leur donne accès aux largesses financières des banques d’Etat dont la Chinese Development Bank. Les Chinois cultivent aussi leurs relations avec les milieux politiques européens où leurs promesses – ainsi les projets de construction de centre de recherche – n’engagent que ceux qui les écoutent !
Fourmillant d’anecdotes et de portraits, ce livre un peu brouillon souffre néanmoins de l’absence de mise en perspective. Un simple tableau pour montrer que si l’Europe aurait absorbée 85 milliards, 20 % des projets chinois entre 2005 et juin 2014 selon la fondation Heritage, la Chine à l’origine de 3 % des flux entrant dans l’UE est un acteur encore marginal. Par ailleurs, seulement mentionnée, l’asymétrie des relations sino européennes – ainsi à propos de l’accès aux marchés publics – est excusée par les marges dégagées par les entreprises qui sous-traitaient en Chine. Un peu court pour le sujet ! Enfin, on peut regretter qu’après avoir évoqué les ambitions chinoises (1250 milliards d’investissement), les auteurs ne se risquent pas à un exercice de prospective.
Trente ans après l’offensive nippone, les entreprises japonaises représentent 5 % du stock d’IDE en Europe, loin derrière les entreprises américaines qui en assurent la moitié. Les IDE chinois en Europe évolueront-ils selon une trajectoire chinoise ou américaine ?
Jean-Raphaël Chaponnière