Chinese Photobook中国攝影书集 from the 1900s to the Present (The), Martin Parr and Wassik Lundgren, Aperture Foundation

The Chinese Photobook 中国攝影书集 from the 1900s to the Present

Edited by Martin Parr and WassikLundgren, Aperture Foundation, 2015 (150 US$)

 
Martin Parr, membre de Magnum, photographe, collectionneur de renommée mondiale de livres de photos, a publié et composé ce volumineux recueil (445 pages, format 32×33 cm) avec Thijs groom Wassink et Ruben Lundgren, accompagné de commentaires de Gu Zheng, Raymond Lum, Stephanie H. Tung, Gerry Badger. Cet ouvrage présente plusieurs centaines de livres et une part de leur contenu photographique sur la Chine, œuvres de photographes chinois, principalement, ou étrangers, de la fin du 19e siècle jusqu’en 2014. Le résultat est une couverture sous une forme inhabituelle et exceptionnelle, au gré des progrès des techniques et des reproductions photographiques, des conditions politiques, économiques et culturelles qui ont transformé la société chinoise durant près d’un siècle et demi.

Les auteurs distinguent sept chapitres : De la République à la République populaire (1949), La Mandchourie et la guerre sino-japonaise (1931-1945), L’image de la nouvelle Chine (1945-1966), La publication d’État : la révolution culturelle (1966 et au-delà), La renaissance de la photographie chinoise (1979 jusqu’à présent), Hong-Kong et Taiwan (1949 à maintenant), Perspectives du monde extérieur sur la Chine (1949 à nos jours).

La première moitié du 20e siècle est marquée par des sujets contrastés d’une société encore liée fortement à son passé – isolement délibérément imposé par les dirigeants et rejet des influences extérieures – et en pleine évolution à la recherche de son avenir – sous la pression des puissances étrangères, de leurs apports et prétentions. La photographie devient progressivement l’outil essentiel de la formation de l’identité politique, prélude à la propagande à partir de 1949.

Ce n’est pas sans raison que les auteurs ont réservé une place importante aux nombreux et talentueux photographes japonais qui, entre 1931 et 1945, ont fixé, dans la Chine traditionnelle et dans les territoires des périphéries en vue de leurs annexions (Mandchokuo, Mengjiang), les incidents, prétextes et préludes aux annexions, et les opérations militaires, participé à la campagne d’immigration de populations japonaises, propagé l’idéologie de cœxistence, vanté le développement. Dans les régions déjà contrôlées par le Japon, règnent la paix, la prospérité, « l’harmonie entre les races ».

Après l’épisode de la guerre civile, la « Nouvelle Chine » traverse, entre 1949 et 1966, une période contrastée. Durant les premières années, la photographie étant devenue monopole officiel du parti, l’espoir et les réussites s’expriment par les images des progrès économiques, y compris pendant la période dramatique du Grand bond en avant, sans oublier les mérites des camps de réforme par le travail (laogai 劳改), l’amitié sino-soviétique (jusqu’à la fin des années 1950), les visites officielles dans les pays amis.
À partir de 1966, quand commence la Révolution culturelle, toute photographie accompagne dévotement la ligne idéologique de Mao Zedong, strictement appliquée par la « bande des quatre ». Le torrent de propagande déverse les portraits de Mao par centaines de millions d’exemplaires, imposés en première page de toute publication. La censure s’inscrit dans la tradition impériale, dans la lignée de l’autodafé initié par le premier empereur au 3e siècle avant JC (sous une forme adaptée quand, par exemple, l’image du dauphin désigné puis condamné, Lin Biao 林彪, est gommée, découpée, blanchie). Il faudra attendre plusieurs années après la mort de Mao, pour que soient publiés des clichés témoignant des méthodes et des atrocités pratiquées pendant ces années [de Li Zhensheng 李振盛, « Red-color News Soldier » », 2003, sur les campagnes politiques et exécutions à Harbin].

La période commencée en 1976 (mort de Zhou Enlai puis de Mao Zedong) et terminée par les événements de Tian’anmen (mai-juin 1989) paraît encore aujourd’hui comme exceptionnelle. Pleine d’espoir après la tourmente, ouvrant le pays progressivement, elle s’annonce comme le début d’une renaissance culturelle osant parfois contrevenir aux directives de la propagande. La communauté artistique atteint un sommet de liberté et de créativité dont témoignent les médias, la nation tout entière étant lancée dans l’utopique construction d’un pays moderne (désignée parfois comme occidentale), jusqu’à la fin brutale du rêve le 4 juin 1989, largement couverte en des clichés sans concession. Au cours des années qui suivent, une fois de plus la société est emportée par de rapides changements. Les photographes indépendants découvrent un monde cruel avec des images passant des dures réalités quotidiennes au romantisme, entre engagement et détachement. Les scènes de vie ( Liu Zheng, Hou Dengke, Lu Nan, Zhang Hai’er) sont parfois d’un niveau comparable à celui de Henri Cartier-Bresson ou de Marc Riboud. Les plus récentes recherches photographiques sont dominées par une réflexion sur l’actuelle transition de la Chine, entre nostalgie et humour noir, dénonçant des conditions de vie inhumaine (Wumeng Miner de Geng Yunsheng), un monde torturé, tourmenté, déboussolé, souvent en recherche de liberté, sans savoir quelle forme lui donner, lui trouver.

Une place modeste est accordée à Hong-Kong et à Taiwan, sans qu’on ait à le regretter. Le dernier chapitre par contre, consacré au regard du monde extérieur sur la Chine, relève les approches contrastées des étrangers, d’abord optimistes lors des premières années du régime communiste, jusqu’à la révolution culturelle, par les sympathisants au régime (Henri Cartier-Bresson, Caio Garruba, Johannes König, Dmitri Baltermans, Hamaya Hiroshi, Ergy Landau). La période post-Révolution culturelle à l’inverse suscite des réserves, le modèle retenu semblant jusque là avoir adopté le pire des valeurs occidentales, souvent bien au-delà en terme de destruction, de pollution, le tout en laissant de côté la complexe question des droits de l’homme.

Au total, l’ouvrage offre une couverture photographique d’une valeur inestimable qu’on souhaiterait pouvoir approfondir en accédant, au-delà des photographies sélectionnées, à chacun des livres mentionnés, les uns simples brochures de quelques pages, les autres éditions luxueuses et à tirage très limité destinées à des hôtes officiels de passage. Quelques erreurs mineures n’altèrent en rien la qualité de cette publication, panorama unique de la Chine en image sur une si longue période.

Michel Jan, Asie 21

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