Péchés capitaux. Les 7 impasses de la diplomatie française
Club des Vingt, éditions du Cerf, Paris, 2016
Le Club des Vingt est une instance de débats qui réunit vingt personnalités et non des moindres, anciens ministres des affaires étrangères (Hervé de Charette, Roland Dumas, Hubert Védrine), anciens ambassadeurs et autres acteurs ou observateurs du monde politique d’horizons divers. L’opuscule (76 p.) est rédigé par Francis Gutman, qui fut secrétaire général du Quai d’Orsay. Chaque phrase, chaque mot en est pesé.
Les auteurs de cette analyse de notre politique extérieure constatent que la voix de la France n’est plus guère écoutée car elle semble avoir perdu l’indépendance et l’intelligence des situations qui lui donnaient un rôle à part. Elle s’affranchit des réalités de ce monde et réagit au coup par coup dans l’immédiateté. En s’alignant sur les États-Unis et en s’abritant de nouveau derrière eux, elle perd sa crédibilité. Et pourtant elle continue de « se conférer le droit de juger les autres et de les sermonner ».
Les États-Unis restent puissants, mais ils sont impuissants à résoudre les problèmes qu’ils ont parfois suscités. Leur capacité de nuisance reste intacte. Ils professent un « idéal missionnaire et leur messianisme les portent à croire qu’ils sont investis d’une mission ».
Le Club salue l’ambition de l’Europe de constituer un grand ensemble, mais à 28 celui-ci est devenu hétéroclite. Il n’est plus possible d’avoir une politique étrangère commune, alors que de Riga à Madrid les priorités sont différentes. Il appartient à la France et à l’Allemagne de proposer un programme d’action, principalement économique, et de fixer les limites territoriales de l’Union.
Les auteurs déplorent que les Européens et la France en particulier n’aient pas saisi l’occasion de l’effondrement de l’URSS pour jeter les bases d’une politique prenant en compte la nouvelle donne. Or, à cette époque, ils ont estimé que la Russie ne comptait plus sur l’échiquier international. À la suite de Washington, ils ont retrouvé les vieux réflexes de la guerre froide, alors que la Russie s’ouvrait à l’Europe. Aussi importe-t-il de renouer le dialogue politique et de sécurité avec Moscou. Bien sûr, on court le risque de fâcher les Américains, mais nos intérêts ne sont pas les mêmes (p. 33).
Au Moyen-Orient, la France a perdu beaucoup de sa crédibilité en devenant peu indépendante, alors qu’elle pourrait jouer un rôle utile de conciliation ou de médiation. Or sa politique dans cette région manque d’objectifs, de visibilité et de résultats. Une coopération programmatique avec la Russie et l’Iran s’impose comme une évidence (p. 38-39). Un dialogue constructif et sans exclusive doit s’établir ou s’intensifier avec les principaux acteurs que sont la Turquie, l’Égypte, l’Iran et l’Arabie saoudite, sans négliger Israël et la Palestine. Avec l’afflux de migrants en Europe, l’Union européenne et la France se trouvent confrontées directement aux guerres du Proche-Orient.
L’Asie tient peu de place dans ce panorama et les auteurs déplorent que ce continent, à part la Chine, politiquement n’intéresse ni l’Europe, ni la France en particulier. Sous une forme succincte ils ont bien défini l’attitude des Européens, tout en énumérant les menaces que représentent certains pays pour la paix du monde (arme atomique, conflits territoriaux, islamisme radical). Là comme ailleurs et plus particulièrement en Chine, on doute de l’indépendance de la France depuis qu’elle a réintégré tous les organes de l’OTAN. La vente avortée des « Mistral » à la Russie n’a fait que renforcer ce sentiment. La Chine, nous dit-on, est devenue une superpuissance. Cette affirmation mériterait débat tant elle est contestable et contestée. S’agissant du Japon, les auteurs notent fort justement que ce pays n’a toujours pas assumé son comportement pendant la guerre, ni sa défaite de 1945. Aujourd’hui, « le Japon ne sait plus très bien qui il est lui-même ». Les tentatives de la France d’instaurer un dialogue politique avec ce pays n’ont pas eu de suite. Pays de contradictions, l’Inde est déroutante. Nos relations sont bonnes, mais elles ne sont pas à la mesure de ce qu’elles devraient être. On peut d’ailleurs s’interroger sur la réalité d’une pensée stratégique indienne. Dans ce chapitre, l’Asie du Sud-Est, citée in fine, bénéficie d’un satisfecit : sa place ne cesse de croître dans l’économie mondiale, mais dans nos rapports, la politique tient peu de place. Les auteurs mettent l’accent sur l’Indonésie, grande puissance émergente. Curieusement, la Corée n’est pas mentionnée dans ce tour d’horizon asiatique, sans doute à cause des tensions dans la péninsule, alors que c’est un partenaire dynamique, voisin d’un Japon vieillissant.
En conclusion, les membres du Club estiment que la France est et doit être avant tout européenne, mais elle ne saurait se limiter au périmètre qui lui est proche. Et pourtant, le temps est révolu où elle pouvait se dire à l’avant-garde du monde, mais elle peut, dans un monde pluriel et divisé, constituer un trait d’union, c’est-à-dire faire œuvre de médiateur. « Parler avec tous et penser par elle-même », c’est, semble-t-il, ce dont elle a le plus besoin aujourd’hui.
On ne peut que recommander la lecture de ce petit livre, qui dresse un état des occasions manquées, des dérives et des choix inconséquents faits par les responsables de notre diplomatie au cours de ces dernières années et qui propose quelques remèdes pour redresser cette situation.
Jean Perrin, Asie21