La Chine rachète la voiture nationale malaisienne

Le rachat de 49 % de Proton par le constructeur chinois Geely marque la fin de l’histoire de la voiture nationale malaisienne. Il pourrait annoncer le début de l’offensive de la Chine sur le marché automobile de l’ASEAN.

Le 26 mai dernier, à l’annonce de cette nouvelle, le docteur Mahatir a versé une larme. Ce rachat enterre son projet lancé en 1980 qui poursuivait deux objectifs.
  • Le premier était de faire de la Malaisie une nouvelle puissance industrielle, « regardant à l’Est » en s’engageant sur les traces du Japon et de la Corée. Après une longue visite au « pays du matin calme » alors qu’il était ministre de l’Industrie, Mahatir s’inspire de l’entreprise d’État coréenne qui a géré l’entrée dans l’industrie lourde, et crée Hicom. Fer de lance de l’État, Hicom investit en collaboration avec des entreprises étrangères dans la sidérurgie, la construction de motocyclettes, la mécanique lourde et la construction automobile.
  • Le second objectif pour Mahatir était d’accélérer la transformation de la structure socio-économique héritée de la colonisation. Ce qu’avait résumé ainsi le premier rapport de la Banque mondiale de 1955 : la Malaisie est « un pays où du capital et de la main-d’œuvre en provenance d’autres économies se combinent pour réaliser des opérations dans un cadre britannique ». Après les émeutes ethniques de 1969, Mahatir devenu Premier ministre fait adopter la Nouvelle Économie politique (NEP), un projet d’ingénierie sociale qui vise à rééquilibrer la société et l’économie au bénéfice des Bumiputras, les « enfants du sol », en leur faisant davantage profiter de la croissance de leur pays.
La poursuite simultanée de ces deux objectifs est une des explications des avanies du projet de voiture nationale. Lorsqu’il est lancé, quinze entreprises assemblent 80 000 voitures. Faute d’économie d’échelle, le taux de localisation est faible et la valeur ajoutée du secteur inférieure à 1 % du PIB. Ces constructeurs, européens ou japonais, sont tous liés à des entrepreneurs d’origine chinoise qui ignorent les intentions du gouvernement. Certains viennent de conclure de nouveaux investissements lorsque Mahatir demande à Hicom d’engager secrètement des négociations avec Mitsubishi, le constructeur nippon qu’il a choisi pour concevoir une voiture nationale.
Graphique des ventes automobiles sur le marché malaisien entre 1980 et 2016
Graphique des ventes automobiles sur le marché malaisien entre 1980 et 2016
*Cité dans « Rising sun or false dawn », Far Easter Economic Review, 14 février 1985.
En procédant ainsi, Hicom évite les manœuvres politiques qui auraient pu faire capoter ce projet, mais se prive de l’expérience accumulée par les entreprises du secteur. Court-circuitant l’ASEAN qui, à la recherche d’un second souffle, propose des projets intégrateurs dont la construction d’une voiture ASEAN, Mahatir annonce en 1982 le projet et Hicom crée une joint-venture avec Mitsubishi sans appel d’offres. Le « contrat de mariage » entre les deux entreprises est mal ficelé : aucun calendrier sur les modèles à venir, peu de précision sur les modalités d’évolution du taux d’intégration ou la prospection de marchés étrangers. Un rapport de 1985*, conclut que « la probabilité de gain apparaît plus assuré pour le Japon que pour la Malaisie ; pour le premier, le soleil continuera de se lever et pour le second, l’aurore pourrait être suivi des ténèbres ». En effet, ce partenariat ouvre des horizons à Mitsubishi qui contrôle 8 % du marché de l’ASEAN et la fabrication d’un de ses modèles. […]
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21
 

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