En 2017, deux lignes de chemin de fer construites et financées par la Chine ont été mises en service en Afrique subsaharienne. La première (750 km) relie Addis Abeba à Djibouti où Pékin vient d’inaugurer sa première base militaire, et la seconde (477 km) joint Mombasa depuis Nairobi. Ces lignes remplacent celles construites par la France et l’Angleterre. Elles s’ajoutent à trois autres achevées depuis 2014 : Khartoum-Port Soudan (780 km) et Abuja-Kaduna (180 km) au Nigeria. En moins de dix ans, la Chine a ainsi ajouté 2200 aux 55 000 kilomètres du réseau ferroviaire africain. Cette fièvre du train surprend. Elle a pourtant un antécédent : au début des années soixante-dix, la Chine a construit une ligne de 1860 kilomètres reliant Dar es-Salam en Tanzanie à Kapiri Mposhi en Zambie proche de la Copper Belt. Le « Tazara » qui demeure à ce jour en Afrique le plus grand projet de la Chine fut sa première grande manifestation sur le continent noir.
Dès son indépendance en 1964, la Zambie, enclavée entre le Mozambique (alors colonie portugaise), le Malawi, la Rhodésie du Sud (Zimbabwe), la Namibie, l’Angola, la République démocratique du Congo et la Tanzanie, a demandé à la Banque Mondiale d’étudier un projet de chemin de fer vers le port de Dar es-Salam en Tanzanie qui éviterait le transit à travers ces pays parfois hostiles. Cette demande venait d’être rejetée lorsque le président tanzanien Nyerere a rencontré Mao Zedong en février 1965. Saisissant l’occasion de reproduire le geste de l’URSS qui finançait la construction du barrage égyptien d’Assouan, Mao a aussitôt proposé l’assistance de la Chine. Bien accueillie par la Tanzanie socialiste, cette offre l’était moins par la Zambie libérale. Critiquée par les Américains et les Russes qui jugeaient les Chinois incapables de mener un ouvrage aussi ambitieux, la proposition chinoise a toutefois amené les Occidentaux à analyser plus en détail la demande zambienne.
L’US Aid a offert des camions et proposé une route – une alternative « capitaliste » au chemin de fer « socialiste » – qui a été construite en parallèle à la voie ferrée. La Grande-Bretagne a financé un bureau d’études qui, après avoir mené plusieurs vols de reconnaissance au-dessus du tronçon zambien (600 km), a remis un volumineux rapport concluant à la viabilité du projet. Au même moment, une équipe chinoise parcourait à pied le tronçon tanzanien (1200 km) et remettait un rapport de quelques pages dans lequel elle concluait à la faisabilité du projet. N’ayant pas mesuré l’urgence politique de la demande zambienne, les Occidentaux l’ont rejeté en septembre 1965. Deux mois plus tard, la sécession de la Rhodésie et l’arrivée au pouvoir d’Ian Smith ont convaincu la Zambie d’entamer des négociations avec la Chine qui, se déroulant pendant la Révolution Culturelle, ont duré plusieurs années. Les Chinois ont proposé un prêt sans intérêt sur 30 ans avec 8 années de délai de grâce. Réticents à libeller ce prêt en dollar, la monnaie des impérialistes, ils ont envisagé de le libeller en or. Heureusement pour leurs partenaires africains, cette proposition a été abandonnée quelques mois avant l’annonce par Nixon de la fin de la convertibilité du dollar qui a provoqué la réévaluation de l’or !
Commencée en 1973, la construction a été achevée trois ans plus tard avec une année d’avance sur le programme annoncé. Mobilisant 15 000 travailleurs de Chine, dont de très nombreux techniciens détachés de la société des chemins de fer, sa réalisation a assuré la réputation des entreprises chinoises en Afrique.
Le Tazara a coûté 400 millions de dollars, soit autant que le barrage d’Assouan ou le barrage de la Volta. Il demeure à ce jour le plus grand projet chinois en Afrique et a représenté un effort considérable pour la Chine qui était alors bien plus pauvre que la Tanzanie et la Zambie, avec un revenu per capita – en parité de pouvoir d’achat – respectivement deux et six fois plus faible. Cette réalisation a placé la Chine parmi les premiers bailleurs de l’Afrique. Elle illustre plusieurs caractéristiques de l’aide chinoise qui ne sacrifiant pas aux modes a toujours donné la priorité aux infrastructures. Rappelant que « pour devenir riche il faut construire une route », les Chinois doutent à juste titre de la pertinence des réformes libérales dans les pays où, faute de route, les agriculteurs ne peuvent pas vendre leurs récoltes.
La Chine n’a pas présenté la construction du Tazara comme une aide, un mot qu’elle a évité de mentionner jusqu’à la publication du livre blanc sur « l’aide internationale » en avril 2011, mais comme une […]
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Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21