LE MONDE | • Mis à jour le | Propos recueillis par Marc-Olivier Bherer
La spécialiste Sophie Boisseau du Rocher estime qu’avec le discours de mardi, la dirigeante birmane a fait un geste sensible pour l’intégration des Rohingya.
Que vous inspirent les déclarations de la dirigeante birmane sur les Rohingya, qui a condamné « les violations des droits de l’homme » dont ils sont victimes et a déclaré que son pays était « prêt » à organiser le retour des Rohingya réfugiés au Bangladesh ?
Sophie Boisseau du Rocher : Les déclarations d’Aung San Suu Kyi pourraient décevoir ceux qui attendaient un revirement complet et public de ses positions, qui espéraient par exemple qu’elle condamne publiquement l’armée pour les exactions commises dans l’Etat d’Arakan, exactions qui pourraient même paraître sous-estimées. Il s’agit, à mon avis, d’une erreur de jugement et d’une méconnaissance de la situation sur place.
Quand Mme Aung San Suu Kyi évoque « les souffrances de notre peuple » et l’appartenance à une nation complexe, elle fait un geste très sensible à l’égard de la communauté musulmane, qu’implicitement elle intègre à la nation, alors que certains sur place refusent cette appartenance. Ce geste s’inscrit par ailleurs dans le prolongement de celui, passé inaperçu en 2016, du changement d’appellation de Bengali (le terme de « Rohingya » n’est pas utilisé en Birmanie) pour celle de « communauté musulmane de l’Arakan ». Etre reconnue comme communauté de l’Arakan est déterminant, puisque l’Arakan (Etat Rakhine) est un Etat de la Birmanie ; première étape, en pointillé, dans un long processus de reconnaissance.
Sur le fond, la conseillère d’Etat a fait preuve d’un vrai courage en annonçant devant le Parlement et quelques diplomates étrangers qu’elle souhaitait une redéfinition des paramètres historiques de la construction nationale. Et cette déclaration m’inspire à la fois de l’admiration (aucune personnalité politique n’avait jusqu’ici eu le courage d’aborder la question en ces termes) et un vrai doute : comment va-t-elle procéder dans un contexte aussi sensible ?
Cette déclaration s’inscrit aussi dans la suite logique de sa ligne de conduite à l’égard de la question musulmane depuis sa prise de fonctions : reposer les fondements de la construction nationale en Birmanie en y intégrant cette communauté musulmane de l’Arakan. La question de la réconciliation nationale est centrale : elle est une urgence politique et sociétale et elle s’inscrit dans le prolongement de l’action engagée par son père à Panglong en 1947. Dans son esprit, cet objectif passera, et elle a raison, par des compromis politiques.
Aung San Suu Kyi a été critiquée pour son silence dans ce dossier. Pour autant, ces récentes déclarations rompent-elles avec ce qu’elle a pu faire jusqu’à présent ?
Il y a ici deux éléments distincts. D’une part, son silence à l’égard des exactions et persécutions (identifiées assez précisément par des ONG comme Human Rights Watch) est difficilement compréhensible, parce que c’est la dignité humaine qui est atteinte, qui touche des innocents et qui mérite, au minimum, de la compassion. Mais jamais dans l’histoire récente les musulmans d’Arakan n’ont suscité la moindre compassion en Birmanie. D’autre part, il y a son silence à l’égard des exactions perpétrées par l’armée, qui relève plus de la tactique politique.
Il me semble que les médias occidentaux, et certaines personnalités contentes de se faire valoir, ont fait une erreur d’interprétation en affirmant que son silence était un soutien, un blanc-seing, à l’armée. Ceux-là ne connaissent pas la situation sur place et la faible marge de manœuvre dont dispose la conseillère d’Etat et ministre des affaires étrangères : le moindre dérapage et c’est l’ensemble des processus […]
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