Opération Australia, la campagne d’influence de la Chine

Opération Australia,

La campagne d’influence secrète de la Chine en Australie,

Rémi Perelman, Asie21, janvier 2018

Pour devenir une puissance indopacifique – une visée à long terme – et faute de pouvoir investir l’Inde, la Chine cible l’Australie, territoire enviable et relais vers l’Antarctique. Pékin se projetterait ainsi vers deux autres quasi-continents à sa mesure, a priori relativement vulnérables de surcroît.

Dans cette perspective, les objectifs du Parti communiste chinois, PCC, sont au nombre de trois : contrôler les communautés soupçonnées d’hostilité à son égard, se doter de complices et, via de zélés donateurs, influencer favorablement le cours de la politique australienne.

Si l’agence de sécurité australienne, l’Australian Security Intelligence Organisation, l’ASIO, s’en inquiète aujourd’hui sérieusement, le caractère apparemment limité et subreptice des actions incriminées ne soulève pas de vagues sur le plan international, où l’attention est accaparée à juste titre par la première étape du processus qu’est l’avancée en mer de Chine du Sud.

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Avant-propos

Dès le 18e siècle, la suggestion avait été faite que l’Australie devienne un condominium anglo-chinois, réunissant les capitaux britanniques et les vastes réserves de main-d’œuvre chinoise. L’Australie et la Chine ont en effet une longue histoire commune, jalonnée par de multiples péripéties – de la Compagnie des Indes orientales, les ruées chinoises vers l’or, le rejet avec la politique de l’ »Australie Blanche », etc. Ainsi s’expliquait la présence en Australie de 614 694 Chinois en 1998, un effectif quasiment doublé 18 ans plus tard : 1 213 903 en 2016 (dont 704 348 Chinois ou d’origine chinoise nés en Australie), soit au total quasiment 5 % sur une population totale de 24 210 800 habitants cette même année.

Encadré 1

Recensement de 2016, publiées le 27 juin 2017 

(Census of Population and Housing)

Pays de naissance 2016 % 2011 %
Australie 15 614 835 64,49 15 017 846 69,82
Royaume-Uni 907 570 3,74 911 593 4,23
Nlle-Zélande 518 466 2,14 483 398 2,24
Chine* 509 555 2,10 318 969 1,48
Inde 455 389 1,88 295 362 1,37
Philippines 232 386 0,96 185 402 0,86
Divers 5 972 599 24,66 4 295 147 19,97
Total 24 210 800 100,00 21 507 717 100,00

*Sans Taïwan et les deux régions d’administration spéciale (HK et Macao)

Cette population devenue australienne ou en voie de le devenir, reste ethniquement chinoise. Elle est la cible de choix d’une campagne permanent et opaque de la part de la république populaire de Chine, RPC. Les campus universitaires sont tout particulièrement visés (140 000 étudiants chinois en mars 2017, soit 20 000 de plus qu’un an auparavant et 30 % du total des étudiants étrangers en 2017). Les médias s’en sont émus.

Le 19 septembre 2016, « The 7.30 Report », le programme d’actualités télévisées d’ABC, la chaîne fédérale, présentait une enquête détaillée sur les intermédiaires utilisés pour accéder aux dons de la communauté chinoise, notamment ceux des riches hommes d’affaires et des promoteurs millionnaires arrivés récemment – nantis de liens présumés avec le Parti communiste chinois – et cherchant à la fois l’accès aux cercles politiques de premier plan et le prestige dans leur nouvelle patrie.

Une enquête plus détaillée menée pendant cinq mois par Fairfax Media et Four Corners (voir annexe) sur les tentatives du Parti communiste chinois d’influencer les institutions australiennes à travers les organisations communautaires chinoises a suscité un débat important, illustré par un échange entre experts d’opinions opposées (annexe).

Le gouvernement a annoncé une enquête sur l’efficacité des lois des agences australiennes de renseignement et Bill Shorten, chef de l’opposition travailliste, a demandé que la question soit confiée à un comité parlementaire conjoint. Au parlement, la Coalition au pouvoir et le parti travailliste, le Labour, ont évoqué les liens entre hauts responsables politiques et divers donateurs.

Les reportages de Fairfax Media ont eu trois conséquences immédiates. Le ministre de la justice George Brandis a annoncé que l’Australie réformerait ses lois sur l’ingérence étrangère, le chef du parti travailliste Bill Shorten a interdit à son parti de recevoir des dons de MM. Chau et Huang, deux généreux « donateurs ».

Enfin, l’ambassadeur d’Australie à Pékin, Jan Adams, a été convoqué par le ministère chinois des Affaires étrangères pour lui exprimer tout le déplaisir que suscitait le projet de nouvelle loi interdisant les dons politiques étrangers.

***

1 – La ligne du Parti communiste chinois

L’approche de la Chine préoccupe profondément les responsables australiens parce qu’elle est dirigée par un parti étatique dont les ambitions géopolitiques pourraient ne pas être dans l’intérêt de leur pays et que ses efforts d’infiltration ou de subversion vont au-delà des lois et des normes acceptées. Un document de base sur ces opérations d’influence a été produit par James To, un politologue néo-zélandais : « Qiaowu, politiques extraterritoriales pour les Chinois d’outre-mer ». Une grande partie des 48 millions d’entre eux sont astreints à participer à une série d’activités qui permettent au PCC de les surveiller – de crainte qu’ils ne se transforment en une sorte de cinquième colonne – et, le cas échéant, d’en faire des agents de la grandeur de la Chine ». Le directeur de l’ASIO a averti récemment le Parlement que « l’interférence étrangère » en Australie se produisait « à une échelle sans précédent, pouvant causer des dommages sérieux à la souveraineté de la nation, à l’intégrité du système politique, aux capacités de sécurité nationale, à l’économie et autres intérêts. [Mais] les membres de la communauté chinoise australienne méritent les mêmes droits et privilèges que les Australiens, notamment de ne pas être signalés, surveillés et informés de ce qu’ils peuvent penser et ne pas penser ».

Le Qiaowu s’exerce avec la carotte et le bâton. L’Australie compte un peu plus de 140 000 étudiants chinois. Leurs associations sont « parrainées » par l’ambassade de Chine. Elles fournissent des comités d’accueil pour les dignitaires du Parti en visite afin, prétexte invoqué, de « bloquer les manifestants anti-communistes ». Ceux qui se font les complices de Pékin, par activisme ou inadvertance, bénéficient de divers avantages conçus comme moyen de « contrôle et manipulation du comportement ». Le China News Service – filiale du service de propagande du Parti communiste chinois à l’étranger – détient des parts dans certains organes de la presse communautaire chinoise, laquelle devient le relais de Pékin. C’est ainsi qu’à Melbourne, des défilés de protestation contre la volonté de l’Australie de s’opposer aux prétentions chinoises en mer de Chine du Sud ont été suscités par des médias de la communauté ethniquement chinoise.

En revanche, ceux qui sont considérés comme hostiles sont soumis à des « techniques d’inclusion ou de coercition ». Soupçonnés, lors de séjours en Chine continentale, de mettre la sécurité de l’État en danger, les citoyens australiens d’origine chinoise sont suivis, interrogés, contraints de signer des documents leur interdisant de rapporter publiquement au retour leurs observations de voyage, voire menacés (interdiction de prendre un vol de retour ou harcèlement des proches par exemple). Ainsi, les cercles universitaires et la communauté chinoise d’Australie sont invités à « rester loin des sujets sensibles » et ceux des grands médias sino-australiens qui refusent l’offre de devenir ses partenaires éditoriaux et cherchent à imprimer des nouvelles indépendantes doivent faire face à la perspective de menaces, d’intimidation et de sabotage économique.

Les opérations d’influence du Parti communiste en Australie risquent non seulement de diviser la communauté chinoise, mais aussi de susciter l’hostilité entre elle et les autres Australiens.

2 – Argent, pouvoir et nos responsables politiques 

Dans les commentaires adressés à un comité sénatorial à la fin du mois de mai 2017, le directeur général de l’ASIO déclarait, toutefois sans nommer Pékin, « L’espionnage et l’ingérence étrangère continuent de se produire à une échelle sans précédent, ce qui risque de porter gravement atteinte à la souveraineté nationale, à l’intégrité de notre système politique, à nos capacités de sécurité nationale, à notre économie et à d’autres intérêts ». Ses services avaient en effet réuni des preuves tangibles que certains membres des trois principaux partis politiques australiens avaient accepté des millions de dollars de dons de deux hommes d’affaires chinois. On ne devrait pourtant pas parler de corruption, car l’Australie est, jusqu’à présent, l’un des rares pays occidentaux à accepter des dons politiques provenant de l’étranger. Les faits observés montrent cependant que la situation impose le terme.

Les corrupteurs

Deux faits ont émergé sensiblement à la même époque : 1) la production d’un document de l’ASIO, évoquant MM. Chau Chak Wing et Huang Xiangmo et 2) la mise en cause de la femme du diplomate et sinologue australien Roger Uren, Mme Sheri Yan.

1) Peu avant octobre 2015, l’ASIO avait préparé un document exceptionnel destiné à mettre en garde les hauts responsables des trois principaux partis politiques d’Australie (Parti libéral, Parti travailliste, Parti national libéral) avant d’accepter des dons politiques provenant de certaines sources étrangères. Y étaient mis en évidence les liens existant entre le Parti communiste chinois et deux milliardaires donateurs importants pour les partis politiques australiens. Tous deux, nés en Chine et connus pour ne pas s’apprécier, ont amassé une fortune notable : le Dr Chau Chak Wing et Huang Xiangmo, un homme d’affaires. Ni l’un ni l’autre n’étaient pourtant accusés de délit car rien ne les empêchait de faire des dons. Mais le document de l’ASIO décrivait la façon dont le Parti communiste chinois cooptait des hommes ou femmes d’affaires influents et les récompensait pour leur aide. Les dons, bien qu’effectués par l’intermédiaire de sociétés de droit australien, pouvaient donc être assortis de conditions de fait, rarement par écrit. Mais les bénéficiaires se sentent toujours dans l’obligation morale de démontrer qu’ils poursuivent les intérêts du Parti.

Si les dons politiques et le réseautage ne sont que la pratique chinoise habituelle d’obtenir un statut, de « la face » et du prestige, la ligne de démarcation entre la réponse contrainte à une injonction de nature étatique et la libre décision d’une entreprise d’anticiper ce qui est dans l’intérêt de l’État (chinois) n’en reste pas moins floue.

2) Par ailleurs, Sheri Yan, la femme du diplomate et sinologue australien Roger Uren, suspectée d’avoir cherché à corrompre un haut responsable des Nations unies et à infiltrer les cercles politiques et les affaires étrangères australiennes pour le compte des services de renseignement chinois, a fait les frais d’une investigation de la presse. Le Dr Chau Chak Wing a été l’employeur de Mme Sheri Yan.

Chacune de ces trois personnalités font l’objet d’un article ci-dessous.

Après les corrupteurs, l’enquête a retenu des acteurs politiques aussi importants que le syndicaliste et sénateur travailliste Sam Dastyari, le député libéral Andrew Robb et Roger Uren, cibles des tentatives d’influence de Pékin.

Encadré 2

Dons politiques déclarés (2012-16) aux trois principaux partis 

     Liberal Party of Australia, LPA ;

     Australian Labour Party (Parti travailliste), ALP ;

     National Party of Australia, NPA.

Donateurs Dons (nb) LPA ALP NPA Total ($) Total (€)
Chau Chak Wing 36 17 15 4 4 123 500 3 466 356
Huang Xiangmo 46 31 12 1 2 692 960 2 263 795
Total 82 48 27 5 6 816 460 5 730 267

Chau Chak Wing

En Chine. Chau Chak Wing, 周泽荣, est un citoyen australien, né en 1954 en Chine, à Chaozhou, président fondateur du Kingold Group basée à Guangzhou, dont la réalisation, au début des années 1990, de prestigieux projets immobiliers l’a rendu milliardaire. Il restructure avec succès la banque Guangdong Huaxing. Au fur et à mesure que ses affaires se développent, Chau se consacre à la promotion des relations sino-australiennes dans les domaines de l’économie, du commerce, de la culture et de l’éducation, son mécénat est hautement reconnu et salué par les gouvernements des deux pays.

De plus, Chau a investi, près de Canton, dans la construction du Centre des congrès international d’Imperial Springs en tant que plate-forme de premier plan pour les chefs d’entreprise, les universitaires et les dignitaires politiques du monde entier afin d’échanger des idées et des sujets d’intérêt majeur (Cf. Boao Forum for Asia, 1998). Depuis l’ouverture de l’Imperial Springs en 2011, de nombreux hauts responsables politiques et des affaires ou de la culture, comme des représentants d’organisations internationales sont venus assister à des conférences, notamment le Forum des médias Chine-Australie, le Forum d’amitié Chine-Australie sur l’économie et le commerce, le Forum international des musées, le Forum économique mondial, le Sommet mondial des dirigeants de PME et le Forum sur l’Amérique latine et le Forum international d’Imperial Springs. De hauts dignitaires du Parti, y compris des membres du Bureau politique du Comité central du PCC sont invités à participer à ces rencontres. Pour ses réalisations et ses œuvres caritatives, les gouvernements populaires de la municipalité de Guangzhou et de la province du Guangdong lui ont décerné des titres honorifiques. Si l’action culturelle de Chau est médiatiquement mise en valeur, peu de gens sont conscients de ses implications politiques, discrètes en Australie mais réelles.

Alors que de simples citoyens, a fortiori détenteurs de passeports australiens, ne sont pas censés pouvoir s’impliquer dans la gestion de journaux de la RPC, du domaine du Département de la propagande du PCC, Chau a pu acheter le New Express Daily de Guangzhou il y a huit ans dans le cadre d’une coentreprise avec Yangcheng Evening News du gouvernement provincial. Cette qualité le place en partenaire efficace du Département de la propagande du Comité central du PCC, 中共中央宣传部.

De plus, son appartenance à la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) au niveau provincial est également significative car si, officiellement, cette instance est chargée du contrôle du système politique et politique de la Chine, en réalité, elle est utilisée pour renforcer le pouvoir du Parti communiste et promouvoir ses intérêts en Chine et à l’étranger (le « Parti chinois pour l’intérêt public » pour attirer le soutien de la diaspora chinoise et la « Ligue pour l’auto-administration démocratique de Taïwan » sont deux de ses composantes).

Des personnalités comme Chau sont utilisés en tant que membres de la CCPPC par le Département du travail du Front Uni du Parti communiste (A « Magic Weapon » at Home and Abroad, selon Xi Jinping. Cf. annexe), une agence unique qui vise à gagner des amis et isoler les ennemis afin de faire avancer l’agenda du parti : en mai 2015, le président Xi Jinping a publiquement défendu le Front uni et les CCPPC, décrivant ainsi leur mission : « persuader les gens d’étendre la force de la lutte commune ». Précisément, Chau a siégé au comité d’une organisation de Sydney affiliée au Front uni, le « Conseil australien pour la promotion de la réunification pacifique de la Chine », qui prône la défense des revendications territoriales de Pékin, l’accent étant mis sur Taiwan.

En Australie, promoteur immobilier prospère, le Dr Chau est connu pour sa philanthropie, notamment avec deux dons, l’un pour la construction de la Business School de l’Université de Technologie de Sydney (The Dr Chau Chak Wing Building, 20 millions de dollars) et l’autre pour celle d’un nouveau musée à l’Université de Sydney (The Chau Chak Wing Museum, 15 millions de dollars). Il est propriétaire du quotidien en langue chinoise, l’Australian New Express Daily.

L’enquête conjointe menée par Four Corners et Fairfax Media ici résumée ayant révélé que Chau, entre autres, avait fait l’objet d’une mise en garde de l’ASIO au sujet de l’influence de la RPC sur le système politique australien, celui-ci répondait dans un article de presse paru dans The Australian « que les affirmations selon lesquelles il était un agent du soft power chinois étaient « irrationnelles ». Il a argué que les gouvernements successifs depuis l’ère Howard [Premier ministre d’Australie de mars 1996 à décembre 2007] avaient eu recours à son aide pour promouvoir les intérêts australiens en Chine, notamment en permettant à l’Australie de remporter en 2001 un accord de 150 milliards de dollars pour la livraison de GNL en Chine. « J’ai aidé sereinement les entreprises australiennes… cela a été reconnu par le gouvernement australien. J’ai promu le commerce, le tourisme, les affaires et l’éducation en Australie sans chercher à obtenir un gain personnel ou une faveur en retour ».

En résumé, une parfaite illustration du soft power australien… en Chine !

Si Chau a pris position sur des question politique en Australie, il ne l’a jamais fait publiquement. Tout ce qu’il semble avoir cherché via ses dons, est l’accès à certains des hommes et des femmes les plus puissants d’Australie. Mais pour le Parti communiste chinois, l’accès aux bons réseaux vaut de l’or.

Huang Xiangmo

En Chine.

La façon dont Huang Xiangmo, 长黄向墨, né en 1970, a construit son réseau australien est d’autant plus remarquable étant donné ses modestes débuts dans les pâtés de maisons de la province du Guangdong, dans le sud de la Chine. À l’âge de 15 ans, il quitte l’école pendant un an pour s’occuper de sa famille appauvrie après la mort soudaine de son père, avec cinq enfants à nourrir. En 2001, il a déjà assez de fonds pour former la Shenzhen Yuhu Investment Development Company Limited à Shenzen et formé les liens étroits avec le Parti communiste comme attendus de tout promoteur immobilier milliardaire en Chine. Il construit des villas haut de gamme et des immeubles d’habitation avant de se diversifier dans l’énergie et l’agriculture.

En Australie.

En 2011, Huang installe sa famille en Australie et explore le terrain en vue de développer le groupe Yuhu. Il prétend avoir cherché de nouvelles opportunités d’affaires et un endroit « au bon air » pour élever ses enfants. En novembre 2012, le secrétaire du Parti communiste de Jieyang, sa ville natale, avec lequel il avait eu partie liée pendant le boom immobilier en Chine tombe pour corruption – il avait accepté des pots-de-vin excessifs (dont 32 millions de dollars proviendraient de la bourse de notre héros qui affirme qu’il s’agissait d’un acte philanthropique, ajoutant « Je n’ai aucune activité ni aucun investissement à Jieyang et ma société n’a aucun projet à Jieyang »). Il n’empêche, le souffle du boulet et un environnement commercial devenu incertain voire hostile, M. Huang quitte définitivement son pays pour l’Australie.

Il y développe le Groupe Yuhu (Yuhu Group Australia), filiale de Shenzhen Yuhu, son entreprise initiale. Selon les déclarations de ces sociétés, si Huang figure bien comme président sur la liste des administrateurs du groupe, il choisit néanmoins de ne pas détenir d’actions en son nom. Les opérations immobilières lucratives du groupe Yuhu sont majoritairement détenues par son épouse, Huang Jiefang, et par Huang Jiquan, leur fils présumé, également propriétaire formel de la luxueuse résidence familiale. Par ailleurs, Huang s’est fait discret en Chine depuis 2013 si l’on en croit le site Web de Yuhu, qui rapporte tous ses voyages en Australie, à Hong Kong et à Taiwan – mais jamais sur le continent. Huang affirme pourtant qu’il a toute latitude pour retourner en Chine continentale. En 2016, il omet cependant d’apparaître à la réunion annuelle de sa propre société à Shenzhen, où est annoncée la décision stratégique majeure de recentrer les plans d’expansion de Shenzhen Yuhu vers l’Australie, loin du marché chinois continental.

Il lance un fonds philanthropique (recherche médicale pour enfants et universités) et s’y affiche rapidement avec différents hauts responsables politiques et ministres – notamment avec Tony Abbott et Kevin Rudd, deux anciens Premiers ministres ainsi que Julie Bishop, la ministre des Affaires étrangères. Il donne 1,8 million de dollars à l’Université de Technologie de Sydney, UTS, pour l’aider à fonder l’Australia China Relations Institute. En 2015, Huang promet 3,5 millions de dollars pour la construction d’un Institut australo-chinois des arts et de la culture à la Western Sydney University. Cette même année, il est nommé professeur adjoint à l’UTS en reconnaissance de ses réalisations exceptionnelles en tant que chef d’entreprise et contributeur aux relations internationales et au bien-être communautaire. L’Australia China Relations Institute est dirigé par Bob Carr, que Huang dit avoir choisi pour diriger l’institut. Bob Carr est un ancien Premier ministre de Nouvelle-Galles du Sud (1995-2005) et ministre des Affaires étrangères (mars 2012-septembre 2013), période durant laquelle il fut particulièrement actif pour resserrer les liens avec la RPC (« La Chine peut nous assurer un bon niveau de vie à long terme. Avec sa classe moyenne en pleine croissance, c’est comme si un nouveau continent sortait de l’eau au nord de l’Australie. Il n’y a pas de marché similaire dans le monde. C’est l’élément le plus important pour la future croissance de notre économie. Il faut établir un dialogue et une relation solide avec la Chine ».

Le directeur général du Groupe Yuhu, Eric Roozendaal est un ancien député travailliste controversé de Nouvelle Galle du Sud et détenteur de plusieurs postes ministériels. Il conduit victorieuse la campagne électorale de Bob Carr en 2003.

Outre un portefeuille de développements immobiliers en forte croissance, le groupe Yuhu est partie à un accord d’investissement majeur de 1,5 milliard de dollars dans le secteur de l’agriculture, approuvé par le gouvernement fédéral fin 2014.

Il préside le Conseil australien pour la promotion de la réunification pacifique de la Chine et prononce des discours exhortant les Chinois d’Australie à s’opposer à l’indépendance de Taiwan, du Xinjiang ou du Tibet. Lorsque Xi a fait sa première visite officielle en Australie en tant que président à la fin de 2014, Huang était là pour le saluer en tant que dirigeant de la communauté d’affaires chinoise dans le pays. Huang prononce un discours lors de la réception d’adieu de l’ambassadeur de Chine en Australie.

Il est rapidement connu comme une « baleine » dans les cercles de collecte de fonds politiques. Le premier don de Huang de 150 000 dollars le 19 novembre 2012 va au parti travailliste, tandis que deux de ses associés, hommes d’affaires chinois et membres du Conseil de la réunification pacifique apportaient 350 000 dollars. Huang est en effet un généreux donateur politique qui a injecté plus de 1 million de dollars dans les coffres des deux grands partis entre 2012 et 2017, notamment par l’intermédiaire de membres de sa famille ou de membres de ses entreprises. Évoquant ses dons politiques aux deux grands partis, il déclare : « Je participe parfois à leurs activités … J’ai parfois l’impression que leur politique est en ligne avec les entreprises sino-australiennes, conformément à nos normes et à nos idées. « 

Début 2016, Huang s’inquiète de ce que sa demande de citoyenneté australienne progresse plus lentement que prévu. L’ASIO s’intéresse en effet à lui pour son rôle de président de la branche australienne du Conseil australien pour la promotion de la réunification pacifique de la Chine (ACPPRC), branche du Conseil chinois pour la promotion de la réunification pacifique de la Chine. Le siège de cette organisation, à Pékin, lié aux agences de renseignement chinois, gère un projet de « portée mondiale » supervisé par le Front uni du Parti communiste. Le travail de « réunification pacifique » du Conseil implique de saper les mouvements d’indépendance de Taiwan et de Hong Kong et d’affirmer les revendications farouchement disputées de la Chine sur la mer de Chine méridionale. Huang a cependant déclaré la presse que, tout en soutenant la politique d’une seule Chine, le Conseil était « une organisation autonome et non gouvernementale » et qu’il était « incorrect de le décrire … [comme affilié] » au Département du travail du Front uni du Parti communiste chinois. L’organisation « soutient des programmes d’échanges économiques et culturels et des causes caritatives ». Le rôle de Huang, membre clé soutenu par les autorités chinoises, y compris l’ambassade ou le consulat en tant que président de l’ACPPRC, le place toutefois à l’avant-garde du lobbying du Front uni en Australie. Prenant la parole au consulat de Chine lors de la célébration des 66 ans de règne du Parti communiste, il déclarait : « Nous, les Chinois d’outre-mer, soutenons sans réserve la position du gouvernement chinois pour défendre la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale [et], comme toujours, soutenir le développement de la patrie ». Le désir de Huang de se faire le champion des revendications territoriales de Pékin a finalement mené à un conflit avec la politique du parti travailliste.

Sheri Yan

Yan Shiwei, 嚴雪瑞, née en Chine en 1959, où son père est un artiste connu, arrive aux États-Unis en 1987 où elle occidentalise son prénom et à l’américaine, le fait précéder son nom de famille pour devenir Sheri Yan. Elle prend la nationalité américaine. Elle rencontre Roger Uren, né en 1947 à Melbourne, spécialiste de la Chine (l’un des principaux sinologues de l’Australie), alors diplomate à l’ambassade d’Australie à Washington, et l’aide dans ses recherches sur Kang Sheng (Président du Parti communiste chinois entre 1973 et 1975, proche de Mao, spécialiste des purges et grand amateur d’art chinois ancien), sur lequel il envisageait d’écrire un livre. En 1992, Uren revient en Australie comme secrétaire adjoint responsable de la section Asie de l’ONA* et c’est en couple avec Yan qu’il s’installe à Canberra. Uren, a été pressenti en 2011 comme ambassadeur à Pékin par l’ex-Premier ministre travailliste Kevin Rudd, lui-même sinologue (2007-2010), et devenu ministre des Affaires étrangères dans le Cabinet Gillard.

De son côté, Mme Yan, connue pour ses liens étroits avec le Parti communiste, se forge une réputation de lobbyiste, capable d’ouvrir des portes à Pékin pour les entreprises australiennes et américaines cherchant à accéder aux cadres du Parti. Elle offre également ses services à des entrepreneurs chinois désireux de bâtir leur fortune à l’étranger. Sheri Yan est appréciée pour son charme, son dynamisme et son bilinguisme parfait. Son réseau relationnel est florissant et compte des membres de haut vol dans les affaires, la presse, l’administration et le personnel politique. Par ailleurs, elle est très liée à certaines des familles et aux réseaux les plus puissants et les plus influents en Chine. Si elle apparaît comme la « reine » du monde sino-australien, tout le monde ne lui fait cependant pas confiance : John Fitzgerald, ancien directeur de la Fondation Ford à Pékin, devenu expert de l’Université de Swinburne, avait reçu le conseil d’un vieil ami de l’establishment de la sécurité australienne de rester loin de Yan.

En 2001, Uren démissionne de l’ONA et déménage à Pékin avec Yan. Avant de revenir en Australie, Uren joue un rôle de premier plan auprès de la Phoenix Television de Hong Kong, l’un des rares radiodiffuseurs privés à avoir obtenu une licence du gouvernement chinois.

Vers 2007 puis en 2013, Chau engage Yan en tant que consultante en affaires pour l’aider à attirer des conférenciers de notoriété mondiale, tels John Howard et Kevin Rudd, nécessaires au lancement de son centre de conférences d’Imperial Springs, dans le Guangdong.

En avril 2012, Yan est embauché par une firme de Melbourne – dont les dirigeants ont brièvement compté l’ancien premier ministre du Queensland, Peter Beattie – dont un projet visait la création d’un fonds d’investissement de 600 millions de dollars avec la China Development Bank. Selon les documents de la Cour suprême de Victoria, son activité de lobbyiste aurait amené Yan à verser une commission secrète mensuelle de 10 000 dollars à un fonctionnaire de la Banque de développement de la Chine, Mu Lei.

Le 7 octobre 2015, les agents de l’ASIO fouillaient l’appartement de Yan et Uren, un raid resté l’un des secrets les mieux gardés de Canberra jusqu’en juin 2017. Ils cherchaient des indices concernant Sheri Yan. Laquelle et trois hommes d’affaires chinois venaient d’être arrêtés par le FBI à New York pour avoir organisé un système de corruption aux Nations unies. Dans l’appartement, ils trouvent des documents hautement classifiés – ayant été apparemment soustraits de l’ONA avant le départ de Uren en août 2001 – décrivant ce que les agences de renseignement occidentales savaient de leurs homologues chinois. Ces documents n’étaient pourtant pas l’objectif principal de l’ASIO. L’enquête sur Yan, sollicitée par le FBI dans le cadre d’une affaire de corruption au sein de l’ONU, impliquait des soupçons qu’elle ait pu, au nom du Parti communiste chinois, infiltrer ou chercher à influencer secrètement l’ONU et des personnalités aux États-Unis et en Australie.

*L’ONA, Office of National Assessments, auprès du Premier ministre, suit les questions de renseignements hautement classifiées, évalue la portée internationale des décisions gouvernementales – notamment au regard de la sécurité nationale – et coordonne les activités du renseignement australien.

Encadré 3

Bref retour en arrière.

En 2014, Sheri Yan crée une ONG, Global Sustainability Foundation, GSF*, prétendument destinée à promouvoir les objectifs de développement durable de l’ONU, et recrute Heidi Hong Piao, comme directrice financière. En octobre 2015, le FBI les arrêtent dans le cadre d’une affaire de corruption visant John Ashe. Ashe, 61 ans, est ambassadeur du royaume du Commonwealth d’Antigua-et-Barbuda (Caraïbes) auprès des Nations Unies et ancien président de l’Assemblée générale des Nations unies (2013 – 2014). Il aurait reçu plus de 1,3 million de dollars en pots-de-vin d’hommes d’affaires chinois pour défendre leurs intérêts au sein de l’ONU et d’Antigua. En janvier 2016, Yan reconnait les faits devant la justice fédérale.

Extraits résumés de l’acte d’accusation produit le 29 juillet 2016 par le juge Preet Bharara

(U.S. Attorney, Southern District of New York)

Jugement rendu le 29 avril 2016 : « Yan Shiwei, ancienne responsable d’une fondation, est condamné à 20 mois de prison pour avoir corrompu l’ambassadeur et le président de l’Assemblée générale des Nations Unies ».

Rappel des faits. A partir du mois d’avril 2012, Sheri Yan, conjointement avec Heidi Hong Piao, accepte de payer plus de 800 000 dollars de pots-de-vin à Ashe en échange de services au profit de trois hommes d’affaires chinois, nommés CC-1, CC-2 et CC-3 par la Cour [CC-3 est identifié comme étant Chau Chak Wing].

Le paiement initial de 300 000 dollars effectué au nom de CC-1, responsable de médias chinois a pour objet de « faciliter » l’engagement de conversations concernant ses intérêts à Antigua avec de hauts fonctionnaires et le Premier ministre d’alors. Sheri Yan est officiellement nommée conseillère d’Ashe.

En août 2013, elle commence à verser environ 20 000 dollars par mois sur les comptes personnels de Ashe, au titre de « sa présidence honoraire » de Global Sustainability Foundation (GSF)**. Le financement provient d’une société chinoise proche de Yan.

En septembre 2013, Ashe ayant officiellement commencé son mandat d’un an à la présidence de l’Assemblée générale des Nations Unies, Yan lui fait verser 100 000 dollars provenant de China Security Company, compagnie présidée par CC-2. En octobre 2013, elle organise pour celui-ci une rencontre avec des responsables d’Antigua en présence de Ashe. Le second versement de 100 000 dollars à Ashe, déclenche la signature d’un protocole d’entente entre le gouvernement d’Antigua et China Security Company.

Par ailleurs, Yan verse 200 000 dollars à Ashe pour sa participation en sa qualité de haut responsable de l’Organisation des Nations unies à une conférence privée en Chine, organisée par CC-3 alias Chau Chak Wing au palais des congrès et centre de conférence Imperial Springs, sa propriété en Chine du Sud. À cette occasion des dizaines de milliers de dollars en costumes et vêtements sur mesure lui sont offerts. Le FBI a montré que ces 200 000 dollars provenaient de la société du Dr Chau Chak Wing. Mais il n’y a aucune preuve que ce dernier savait que payer des frais de parole à un fonctionnaire de l’ONU était illégal. Par contre, la loi américaine sur la corruption rendant illégal tout versement non déclaré à un individu sous statut de l’ONU, Ashe est donc inculpé. Son immunité diplomatique excluant toute accusation de corruption Ashe n’est accusé que de fraude fiscale. Il décède accidentellement le 22 juin 2016.

Jugée coupable, Yan est condamnée à un amende et à 20 mois de prison. Entretemps, le FBI demande à l’ASIO de mener une enquête sur elle.

 

En outre, Yan avait payé des pots-de-vin à Ashe en échange de services offerts à David Ng Lap Seng, un richissime promoteur immobilier chinois de Macao – aux liens très probables avec les services secrets chinois – qui voulait faire avancer le projet d’un centre des Nations unies à Macao, destiné à organiser les échanges Sud-Sud d’y implanter « un Genève de l’Asie », en fait une opération immobilière.

*Objectifs de GSF (site intégralement en mandarin)

La Global Sustainability Foundation (GSF) est une entité à but non lucratif dédiée à garantir aux êtres humains l’accès aux outils, connaissances et opportunités pour rester autonomes et à leurs communautés l’aptitude à construire des sociétés résilientes protectrices de leur environnement, à honorer la diversité culturelle et à assurer leur développement économique et social. Grâce à la collaboration avec un réseau mondial d’acteurs et d’institutions, avec un large éventail de ressources et une richesse de connaissances et d’informations agrégées, GSF aspire à devenir une ressource internationale de premier plan pour le développement durable. GSF entreprendra l’organisation et l’exécution des initiatives tangibles qui galvaniseront le développement dans chacun de ses trois piliers : science et technologie, ressources et environnement, domaines social et culturel. Grâce à une telle approche holistique du développement durable, GSF affirme le droit fondamental de tous à vivre en harmonie avec la justice et la dignité

Chau Chak Wing et Huang Xiangmo, directement ou par leurs proches collaborateurs, ont procédé pendant plusieurs années au versement de dons importants aux principaux partis. Ces dons étant légaux, l’ASIO a précisé que les partis n’étaient pas tenus de les refuser.

Les corrompus

Cette présentation des corrupteurs étant faite, passons aux corrompus :

Sam Dastyari

Du côté des bénéficiaires, on trouve essentiellement l’homme par qui le scandale arrive, le sénateur Sam Dastyari, né en Iran en 1963 devenu citoyen australien, secrétaire général du parti travailliste, l’ALP, élu en tant que sénateur fédéral en 2013.

Un échange de bons procédés. En 2016, il devient l’âme damnée de Huang Xiangmo au sein du parti travailliste. Dastyari était intervenu à plusieurs reprises début 2016 en faveur de Huang pour qu’il obtienne la citoyenneté australienne – principale préoccupation de celui-ci. En fait, le dossier avait été temporairement bloqué car l’autorité de l’immigration tentait de comprendre sa relation avec le Parti communiste chinois et d’éclaircir certains aspects de sa candidature. Cet important donateur chinois, directement ou par son entourage, vient à son secours en prenant en charge ses frais de voyage et juridiques (5 000 dollars pour une facture contractée en tant que secrétaire du parti). Comme le révèle Fairfax Media le 30 novembre 2017, alors que Huang s’apprête à verser 400 000 dollars au parti travailliste lors de la campagne électorale de 2016, Dastyari le prévient que son téléphone est mis sur écoute par les services de renseignement.

Le relais de la propagande de Pékin. Ces péchés véniels initiaux débouchent sur une affaire plus grave touchant à la politique étrangère du pays d’adoption de Dastyari.

« La mer de Chine méridionale est une affaire propre à la Chine et, sur ce point, l’Australie devrait rester neutre et respecter la décision de la Chine » déclare celui-ci dans un bref article dans un journal de langue chinoise basé à Sydney, rapportant une conférence de presse du 17 juin 2016. Au cours de celle-ci, donnée aux côtés de Huang par Dastyari le 17 juin 2016, le sénateur soutient la position de Pékin dans la mer de Chine méridionale. L’enregistrement de ses propos, rendu public, témoigne que, malgré les tentatives brouillonnes et répétées de l’intéressé pour le nier, il ne s’agissait pas d’une brève improvisation dans une réunion mais bien d’une justification –délibérée et détaillée, écrite à l’avance – de la politique d’accaparement de certains îlots en mer de Chine du Sud par le gouvernement chinois. Il déclare ainsi clairement que « l’intégrité de ses frontières relève de la Chine », se référant ensuite à la défense historique des revendications territoriales de Pékin, évoquant la façon dont, selon lui, l’Australie devrait aborder la question. « En tant qu’amie, l’Australie devrait savoir qui est la Chine et ses milliers d’années d’histoire, et nous n’avons pas à nous y impliquer. La souveraineté sur la mer de Chine méridionale est en partie basée sur des preuves démontrant des droits historiques anciens. Le président Xi Jinping a insisté depuis plusieurs années sur le fait que les îles de la mer de Chine méridionale font partie du territoire chinois depuis l’antiquité. Il a publiquement déclaré son engagement à soutenir sans réserve la position du gouvernement chinois pour défendre la souveraineté nationale et son intégrité territoriale ». […] Et en tant que partisan et ami de la Chine, le Parti travailliste australien doit jouer un rôle important dans le maintien de cette relation et le meilleur moyen de maintenir cette relation est de savoir quand l’Australie est ou n’est pas impliquée ».

On peut supposer que la plume de Pékin n’est pas pour rien dans cet « argumentaire » tant il reprend la position du gouvernement chinois, position rejetée par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye. Selon les responsables de la sécurité nationale, Dastyari avait bien l’intention de faire ces commentaires avant de les livrer au public australien d’origine chinoise et en avait informé M. Huang – ce qu’il a nié. Il a fallu que l’emprise de son « bienfaiteur » soit forte pour qu’il s’exprime publiquement ainsi.

D’abord, et Dastyari ne pouvait pas l’ignorer, la presse venait de rapporter que l’ASIO s’intéressait aux donateurs liés au Parti communiste chinois. Ensuite, il s’est permis de contredire délibérément et publiquement la politique étrangère de l’Australie et de surcroît, celle de son propre parti. Ses propos interviennent en effet, lors de la campagne électorale de 2016, au lendemain de la déclaration publique du porte-parole du parti travailliste pour les questions de défense, Stephen Conroy. Celui-ci venait de fustiger sans ambages les revendications de Pékin en mer Chine du Sud, les qualifiant de « déstabilisantes et absurdes », ajoutant que s’il était élu au gouvernement, son parti montrerait sa ferme détermination à contrer l’agression de la Chine dans la région : « Nous pensons que notre force de défense devrait être en mesure de mener des opérations de liberté de navigation conformes au droit international ».

Tandis que le chef de l’opposition, Bill Shorten, affirmait avoir donné un dernier avertissement au sénateur Dastyari, le Premier ministre Malcolm Turnbull déclarait que le sénateur devrait se demander s’il avait trahi l’Australie et d’envisager de démissionner. Pour sa défense, le sénateur Dastyari n’a pu fournir que des réponses embrouillées. Il a démissionné le 7 septembre 2016.

En conséquence, M. Huang annonçait qu’il reviendrait sur sa promesse de donner 400 000 dollars au parti travailliste.

Plusieurs autres personnalités politiques australiennes ont bénéficié d’une façon moins voyante de dons d’hommes d’affaires chinois.

Ernest Kwok Chung Wong 

Ernest Wong est un avocat, homme politique australien, membre du parti travailliste (Australian Labor Party) et du Conseil législatif (Cf. Sénat) de Nouvelle-Galles-du-Sud depuis mai 2013. Né à Hong Kong vers 1960, il arrive en Australie en 1979 pour étudier le droit et le commerce. Il a été conseiller politique auprès de la première ministre Christina Keneally et du premier ministre Nathan Rees.

Début 2013, Huang utilise ses relations politiques pour solliciter de Wong un appui dans une affaire mineure d’immigration en vue d’obtenir un visa de travail pour un employé chinois, une demande que le Tribunal de révision des migrations rejette malgré la lettre de soutien de Wong, l’emploi proposé ne correspondant pas à la réalité.

Peu après que Wong ait rédigé cette lettre, en mai 2013, il est présenté par le Parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud au Conseil législatif de cet État, dans le siège laissé vacant par la démission d’Éric Roozendaal

. Celui-ci, né en 1962, ancien secrétaire général du Parti travailliste australien, a été membre (sénateur) du Conseil législatif de la Nouvelle-Galles du Sud, de 2004 à 2013. Durant ce temps il occupe plusieurs fonctions ministérielles (2005 : ports et voies navigables, 2006 : routes, 2007 commerce et routes, trésorier de Nouvelle-Galles du Sud). Il est suspendu de ses fonctions à la suite d’un scandale de corruption et démissionne le 7 novembre 2012. Douze jours plus tard, Huang et deux autres membres du Conseil de la réunification pacifique de la Chine dont Wong est le conseiller, font un don de 500 000 dollars au parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud. Wong remplace Roozendaal au Conseil législatif. Roozendaal sort blanchi de l’enquête pour corruption et Huang le recrute à la direction de son Groupe Yuhu. Ce tour de passe-passe comporte des zones d’ombre encore non élucidées.

La suspicion jetée sur les magnats d’origine chinoise par l’enquête menée par Fairfax Media et Four Corners conduit Wong, le 1er décembre 2017, à abandonner son poste d’administrateur de la Fédération de la Guangdong Community Ltd d’Australie, créée pour promouvoir la collaboration entre les organisations originaires du Guangdong en Australie et le Bureau des affaires chinoises d’outre-mer de la province du Guangdong dirigé par le Conseil d’État chinois (le gouvernement de la RPC). Le même jour, il démissionne de son poste de conseiller honoraire du Conseil australien pour la promotion de la réunification pacifique de la Chine, Conseil animé par Pékin, deux organisations dont M. Huang était président, démissionnaire également.

Andrew Robb, dignitaire du parti libéral et ministre du commerce a reçu 100 000 dollars de Huang. Robb est convaincu que « La Chine va faire partie intégrante de notre avenir et [qu’] il est absolument impératif que nous établissions la relation la plus étroite possible ». Pour lui, le don de Huang à l’Australia China Relations Institute de Bob Carr montre dans ce sens ses qualités de visionnaire.

Tony Abbott, plusieurs fois ministre, chef de l’opposition libérale et Premier ministre de septembre à septembre 2015, a rencontré Huang lors de collectes de fonds au parti libéral, à qui il a fait don de 700 000 dollars

Réforme des dons

Les révélations rapportées par Fairfax Media et Four Corners puis commentées d’abondance par les médias australiens comme l’alarme sonnée par les agences de sécurité nationale montrent que le problème ne se limite pas aux dons et risque d’atteindre l’intégrité du système politique et la souveraineté du pays. La situation mise au jour en 2016 a déclenché un début de prise de conscience. Mais malgré les promesses des hauts responsables des deux partis de réformer le statut des dons venant de l’étranger, rien de concret ne s’était produit à la fin de 2017. Le fait que l’Australie reste l’un des seuls pays occidentaux à ne pas avoir interdit les dons étrangers suscite l’inquiétude de Washington.

Le Premier ministre Malcolm Turnbull avait déjà ordonné en juin 2017 une enquête sur les lois australiennes sur l’espionnage et l’ingérence étrangère après les révélations évoquées dans cet article. Son gouvernement dit avoir écouté les avertissements et être prêt à agir dans l’intérêt de la souveraineté et de l’indépendance politique du pays : la classe politique doit prendre une série de décisions pour restreindre et limiter l’influence étrangère dans les décisions australiennes. « La menace d’ingérence politique de la part des services de renseignements étrangers est un problème de la plus haute importance et la situation empire » déclare George Brandis, ministre de la justice et chef de la majorité au Sénat. Le 4 décembre 2017, il annonçait l’introduction prochaine de nouvelles lois visant à « renforcer la capacité des agences à enquêter et à poursuivre les actes d’espionnage et d’ingérence étrangère ». Une déclaration qui dérange la Chine. Sans surprise, Pékin dément ces accusations « totalement infondées et appelle les personnes concernées côté australien à abandonner leurs préjugés ». 

En Australie, certains acteurs politiques vont devoir espérer que toute enquête à venir se limitera à trouver des lacunes dans la loi et n’approfondira pas trop les investigations sur la conduite antérieure des personnes.

3 – Les entremetteurs

En juin 2017, Fairfax Media peut révéler qu’un lien direct entre le Chinagate et l’Australie soulève de sérieuses questions sur une série de dons chinois au Parti travailliste australien. Les protagonistes en sont deux femmes, Liu Chaoying et Helen Liu (sans lien de famille).

Liu Chaoying

Lieutenant-colonel de l’Armée populaire de Libération (APL), travaillant en étroite collaboration avec le deuxième département de l’état-major de l’APL (l’unité du renseignement militaire), Liu Chaoying est la fille de l’amiral Liu Huaqing (1916-2011), ancien vice-président de la Commission militaire centrale (1993-1998) commandant de la Marine chinoise (1982-1988) et membre du Comité permanent du bureau politique du Parti communiste (1992-1997) et éminence du renseignement militaire chinois dans les années 1990. En septembre 2016, à l’occasion du centenaire de la naissance de Liu Huaquing, décédé en 2011, le président Xi Jinping rendra un long hommage personnel au défunt, déclarant qu’il avait été l’un des plus grands chefs de l’armée chinoise moderne. Son frère aîné, Liu Zhuoming, est un amiral influent et membre de l’Assemblée nationale populaire.

Cette « princesse rouge » est vice-présidente d’International Trading for China Aerospace-Industrial Holdings (CASIL ; satellites, missiles et fusées) filiale hongkongaise de China Aerospace Science and Technology Corporation. Elle se présente aux États-Unis comme la PDG de China Resources, une entreprise publique chinoise supervisée par la State-owned Assets Supervision and Administration Commission, SASAC, et regroupant diverses sociétés ou de Marswell Investments, société dont Liu est présidente et Johnny Chung, vice-président, avec un siège social à Hong Kong et une branche américaine, enregistrée en Californie en 1996 sous le même nom.

Liu avait fait l’objet d’une enquête par le FBI et la CIA en 1996 dans le cadre du Chinagate en participant au financement de la campagne des démocrates en vue de la réélection de Bill Clinton (développement ci-dessous).

Liu Chaoying séjourne à Sydney en 1997, en relation avec Helen Liu. Elle crée plusieurs sociétés en Australie, dont une qui partageait une adresse commune avec une société d’Helen Liu. En Australie, son comportement est très différent de celui, discret, qu’elle avait adopté aux États-Unis. Très directe en affaire, elle n’hésite pas à faire valoir sa proximité avec le sommet de l’armée et du gouvernement chinois, se présentant même comme directrice du programme de missiles chinois Long March. Son héritage et ses relations lui ont ouvert des portes et des opportunités en Chine et à l’étranger. La carrière militaire et commerciale de Liu Chaoying montre qu’elle était profondément impliquée dans l’achat d’armes et de technologies militaires ainsi que dans communications, jouant un rôle crucial pour le renseignement militaire chinois dans le financement de l’accord qui a procuré à la Chine l’ancien porte-avions soviétique Varyag qui, rénové, a été renommé Liaoning.

Selon les archives de la Haute Cour de Hong Kong, Liu Chaoying et Helen Liu sont partenaires d’affaires depuis 1999 et au moins jusqu’en 2001, avec notamment une société commune créée dans les îles Vierges britanniques avec l’intention d’investir dans les télécommunications en Chine. Mais leur relation s’est détériorée en 2001 lorsqu’une banque de Hong Kong les a traduits en justice après avoir échoué à se faire rembourser un prêt substantiel. Helen Liu, a déclaré ignorer le rôle de Liu Chaoying dans le cadre du renseignement militaire chinois.

Alors que l’étoile d’Helen Liu se levait, Liu Chaoying avait de réels problèmes. Au début de 1997, le légendaire journaliste de Watergate, Bob Woodward, publie un rapport explosif dans le Washington Post déclarant que le FBI et le département de la Justice des États-Unis enquêtent sur des dons étrangers à la campagne démocrate pour la réélection de Bill Clinton en 1996.

La piste de l’argent de Johnny Chung conduit à Liu Chaoying et à Marswell Investments et, bientôt, leurs noms sont en première page des plus grands journaux américains. Liu Chaoying est publiquement identifiée comme un officier de renseignement militaire chinois notamment dans Newsweek Magazine.

Mais la publicité faite du Chinagate aux États-Unis ne refroidit pas l’ambition de Liu Chaoying de consolider ses activités en Australie : les documents montrent qu’elle y a établi quatre sociétés en 1997 et 1998. Elle est également devenue directrice de la branche australienne de China Aerospace. Dans plusieurs transactions, ses liens avec Helen Liu sont mis en évidence. Des documents d’une des sociétés personnelles de Liu Chaoying, Llexcel Pty Ltd, sont déposés par Donald Junn, un avocat de Sydney détenteur d’une procuration pour les principales entreprises australiennes d’Helen Liu.

L’adresse de Llexcel à Sydney donnée par Liu Chaoying est identique à celle utilisée la même année par Helen Liu pour enregistrer une de ses entreprises à Hong Kong.

Avoir été démasqué comme agent de renseignement chinois n’empêche pas Liu Chaoying d’étendre ses opérations en Australie, impliquant à la fois ses propres intérêts et de ceux de l’État chinois.

En 2007, des diplomates américains rapportent que Liu Chaoying est « impliquée dans des ventes d’armes à des pays étrangers par l’intermédiaire de Huawei et d’autres compagnies militaires ou quasi militaires aux conseils d’administration desquelles elle siégeait ».

Après quelques difficultés au début des années 2000, le père de Liu Chaoying se brouille avec le président Jiang Zemin, ce qui entraîne une brève arrestation. Son patron, le général Ji, purge une peine de 20 ans de prison pour corruption. Mais pour elle et sa famille, tout semble aller pour le mieux e en Chine

Helen Liu

Helen Liu est issue d’une famille connue dans la province du Shandong (nord de la Chine) où son père, responsable de la nomination des fonctionnaires du Parti au niveau provincial dispose d’un puissant réseau de relations. Helen Liu arrive en Australie à la fin des années 1980 en tant qu’étudiante. À Sydney, elle est embauchée par une entreprise exportant de la laine vers la Chine et acquiert la citoyenneté en 1989 grâce à un mariage blanc avec un Australien. Puis, brutalement, son genre de vie change du tout au tout, comme si elle avait touché le gros lot. L’argent provient d’entités contrôlées par le gouvernement chinois, telles que la Banque industrielle et commerciale de Chine, Beijing Hengtong Trust, Jinan Iron and Steel Group et la Shandong Fisheries Corporation, lesquels ont créé des coentreprises avec des entités associées à Helen Liu et à son compagnon d’alors, Humphrey Xu.

En 1997, le portefeuille immobilier du couple est évalué à plusieurs dizaines de millions de dollars. L’administration du gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud compte parmi leurs locataires. Ils exportent vers la Chine non seulement de la laine mais également du minerai de fer australien. Dans plusieurs provinces de leur pays d’origine, le couple se lance dans d’importants programmes immobiliers, en coopération étroite avec les autorités locales tandis qu’elle commence à établir un réseau d’amis politiquement puissants dans son pays d’adoption.

Sa cible : la faction de droite du parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud, la NSW Labour Right.

Ainsi, au cours des années 1990 et 2000, Liu Chaoying entre en relation avec plusieurs hauts responsables du parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud, dont Éric Fitzgibbon, député travailliste. Elle le connaît pour avoir organisé en 1993 avec une des sociétés qu’elle dirige avec Humphrey Xu, Diamond Hill International, un voyage dans le Shandong – sa province natale – voyage effectué avec Joël Fitzgibbon qui accompagnait son père. Joël Fitzgibbon sera, à la mort de son père, élu député fédéral travailliste avant de devenir ministre de la défense dans le cabinet de Kevin Rudd. Ce voyage au Shandong fut le début d’une longue amitié entre Helen Liu et les Fitzgibbon, qui ne devint publique qu’en 2009 lorsque Fitzgibbon devient ministre de la défense. Liu fait prendre en charge des cadeaux et de brefs voyages en Chine de J. Fitzgibbon en 2002 et 2005, avantages qu’il se garde de déclarer comme l’exige le Parlement et pour lesquels il devra présenter des excuses publiques. Sa carrière politique est soutenue par des dons de 40 000 dollars via sa compagnie Wincopy de Liu, dont 20 000 dollars pour sa campagne électorale de 1998. Fitzgibbon a récemment déclaré qu’il ignorait tout des liens entre Helen Liu et Liu Chaoying et aucune preuve n’a émergé pour suggérer le contraire. Dans sa déclaration à la Cour, Helen Liu précise qu’elle n’a jamais présenté Liu Chaoying à des personnalités politiques australiennes.

Entretemps, Helen Liu est devenue une donatrice du parti travailliste australien. Au moment du transfert des 250 025 dollars à la société Marswell Investments de Liu Chaoying (Cf. Chinagate), elle contribue au financement des deux premières campagnes fédérales en 1996 et 1998 avec des dons totalisant 40 000 dollars. Entre 1999 et 2007, Helen Liu et sa sœur Queena versent plus de 120 000 dollars au parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud (Fairfax Media ne suggère en aucune façon que ces dons étaient « illégaux ou inappropriés »). En effet, les lois australiennes n’interdisent pas les dons aux partis politiques venant de l’étranger, ce qui explique que ceux de Liu n’ont jamais provoqué un scandale semblable à celui observé aux États-Unis à propos du Chinagate. L’entourage d’Helen Liu n’a jamais fait l’objet d’un examen adéquat par les autorités australiennes bien qu’Helen Liu ait admis une relation d’affaires avec Liu Chaoying.

Pendant cette période, Helen Liu s’est rapprochée d’autres politiciens travaillistes aussi connus que Bob Carr, premier ministre de longue date. Elle a été photographiée avec les anciens premiers ministres John Howard et Kevin Rudd et l’ancien chef de l’opposition Kim Beazley – sans oublier Bill Clinton, une photo prise par son amie Liu Chaoying.

Les sociétés d’Helen Liu ont également financièrement contribué à séries de visites en Australie de dignitaires chinois comme Zhao Kezhi, secrétaire du parti de la province du Hebei et dont certains pensaient qu’il pourrait présider la Chine. Sur l’itinéraire de ces visites, des réunions étaient organisées avec des personnalités du parti travailliste telles que Bob Carr, Joël Fitzgibbon et Mark Arbib. Quand un haut dirigeant chinois, comme les anciens présidents Jiang Zemin ou Hu Jintao, faisait des tournées en Australie et dans le Pacifique, Helen Liu participait à la fête itinérante. Cela a fait d’elle l’intermédiaire ultime. Des entreprises du gouvernement chinois lui demandent de s’approvisionner en minerai de fer auprès de Rio Tinto, de BHP et de Hancock Prospecting. Il est courant qu’un député rencontre et dîne avec des dignitaires étrangers, mais aux yeux de l’opinion cette information s’ajoutait à celles qui avaient placé Rudd – qui parle le mandarin – et d’autres députés travaillistes sous le feu des projecteurs pour une série de voyages en Chine payés par l’entrepreneur chinois et donateur politique Ian Tang et d’avoir accueilli « secrètement » le chef de la propagande du Parti communiste chinois à sa résidence officielle

Helen Liu devient vice-présidente d’une organisation liée au gouvernement chinois appelée World Federation of Overseas Chinese Associations. Cette organisation est dirigée par un ancien officier de l’APL, Ren Xingliang, et travaille en étroite collaboration avec le Département du travail du Front uni du Parti communiste pour promouvoir les objectifs de Pékin à travers la diaspora chinoise. Il est considéré depuis longtemps comme un facilitateur des campagnes d’influence de la Chine à l’étranger.

Les amis travaillistes d’Helen Liu ont toujours affirmé que son soutien financier ne soulevait aucun risque pour la sécurité nationale. Cependant, la révélation qu’Helen Liu avait un lien direct avec un acteur clé du renseignement militaire chinois (Liu Chaoying en l’occurrence) qui était intervenu dans une campagne présidentielle américaine rendait nécessaire d’examiner sous un angle différent son implication dans la politique australienne.

En février 2009, un haut responsable du département de la défense australien informe secrètement deux des journalistes impliqués dans l’affaire Liu (The Age et The Canberra Times) des relations de celle-ci avec Joël Fitzgibbon, alors ministre de la défense, affirmant qu’Helen Liu était en relation avec le renseignement militaire chinois. À cette époque, elle était inconnue des médias australiens et, a fortiori, du grand public. Malgré 15 ans d’implication dans la politique australienne par le biais de dons et de collectes de fonds, elle avait réussi en effet à « rester sous le radar ». Déposé auprès du Parlement, le registre des intérêts de Fitzgibbon ne mentionnait pas Helen Liu malgré leur longue amitié.

En mars 2009, quelques heures après la publication des premiers articles des médias révélant qu’Helen Liu avait fait des dons à Joël Fitzgibbon et au parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud, l’ancien ministre de la justice Robert McClelland, du gouvernement travailliste de Kevin Rudd, prend la décision de procéder à une déclaration : « Le directeur général par intérim de la sécurité m’a informé que l’ASIO n’a aucune information concernant Mme Helen Liu. Ses activités ou associations ne soulèvent aucune préoccupation concernant la sécurité ».

Experts et médias se sont interrogés sur les raisons de cette décision inhabituelle, d’autant que la presse avait révélé les liens financiers et personnels de Helen Liu avec Liu Chaoying, fait susceptible de mener à un nouvel examen minutieux de ses donations et de ses relations avec de hautes personnalités politiques comme l’ancien Premier ministre de Nouvelle-Galles du Sud Bob Carr et Joël Fitzgibbon.

Paul Monk, l’un des meilleurs experts australiens en matière de renseignement et ancien chef du bureau Chine à la Defence Intelligence Organization, DIO, est perturbé par les circonstances qui ont conduit l’ancien gouvernement Rudd à faire publier une telle information par l’ASIO : « Est-il crédible qu’en 2009, l’ASIO n’ait pas eu connaissance des relations personnelles et professionnelles qu’entretenait Helen Liu avec le lieutenant-colonel Liu Chaoying depuis plus d’une décennie ? Que Liu Chaoying, fille d’un personnage de l’APL aussi haut placé que l’amiral Liu Huaqing, était vice-présidente d’une branche de la filiale aéronautique chinoise CASIL ? Des informations irréfutables sont maintenant révélées, montrant qu’en fait il y avait, bien avant 2009, de très graves inquiétudes concernant la bonne foi d’Helen Liu et ses liens au plus haut niveau avec les agences militaires de renseignement chinoises ».

En fait, des raisons politiciennes ont conduit le gouvernement travailliste à utiliser la déclaration de l’ASIO pour éluder les critiques évoquant des préoccupations de sécurité relatives à Helen Liu et à ses liens étroits avec le ministre de la défense et pour repousser les questions de l’opposition à propos du budget fédéral.

Joël Fitzgibbon a survécu en tant que ministre de la défense jusqu’à la mi-2009. Et ce ne sont pas ses relations avec Helen Liu qui ont mis fin à sa fonction. Un conflit d’intérêts présumé impliquant la compagnie de son frère a suffi. Grâce à sa position au parti travailliste de Nouvelle-Galles du Sud, il est devenu « whip » en chef du gouvernement fédéral en 2010, membre et brièvement président de l’influent Comité mixte sur les affaires étrangères, la défense et le commerce du Parlement.

En juin 2013, il est nommé ministre de l’Agriculture dans le deuxième ministère de Kevin Rudd. Il est aujourd’hui «  de l’Agriculture » du shadow-cabinet de Bill Shorten, le leader de l’opposition.

Quant à Helen Liu, elle déclare au journal à sensation News Limited The Daily Telegraph qu’elle a « le cœur brisé ». « C’est injuste pour moi que les gens disent que je suis une menace pour la sécurité nationale ». Elle a engagé une longue et coûteuse bataille juridique dans le but de découvrir l’identité des informateurs.

Certains des plus proches amis d’Helen Liu dans le parti travailliste ont contre-attaqué. Bob Carr a déclaré qu’il était « plutôt honteux pour les médias de qualifier cette femme de suspecte pour des raisons de sécurité sans la moindre preuve alors qu’en fait, l’ASIO déclare qu’elle ne l’intéresse pas ».

Henry Tsang, député de Nouvelle-Galles du Sud, a écrit que Helen Liu avait été « présentée à tort comme une menace pour la sécurité nationale ». Joël Fitzgibbon a déclaré que son amie était une « femme d’affaires australienne très estimée et respectée. Son nom a été traîné dans la boue … et sa réputation a été ternie d’une manière hautement diffamatoire. Je vais certainement prendre toutes les mesures possibles pour m’assurer qu’à l’avenir, elle ne sera pas attaquée personnellement de cette manière ». Selon Wikileaks, la déclaration de l’ASIO a même été utilisée par des hauts responsables du ministère australien de la défense pour assurer en privé à leurs homologues américains qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter de Helen Liu.

Laquelle a passé presque entièrement ces dernières années en Chine. Deux entreprises de sa famille y ont été confrontées à des problèmes judiciaires. Un jugement de 2014 de l’île-province de Hainan rapporte que la présidente d’Australia Diamond Hill Holdings Limited a reconnu avoir soudoyé un fonctionnaire local avec 34 000 dollars et une bouteille de vin rouge. Le jugement identifie comme présidente une femme avec le nom de famille « Liu » mais sans préciser s’il s’agit d’Helen, de sa sœur ou de quelqu’un d’autre. Elle a nié toute implication récente dans les entreprises citées dans le jugement de la Cour de Hainan. Sa résidence de Double Bay à Sydney a longtemps paru abandonnée. Toutefois, elle et sa sœur ont rétabli récemment une présence effective en Australie.

Encadré 4

Rappel, aux États-Unis : le Chinagate

Le 11 août 1996, dans un restaurant de la station balnéaire chinoise de Zhuhai, le général Ji Shengde, chef du renseignement militaire chinois a rendez-vous avec un de ses contacts, Liu Chaoying, une femme d’affaires de 37 ans et Johnny Chung, une de ses relations, un entrepreneur Américain installé en Californie qui a ses entrées à la Maison Blanche au moment où Bill Clinton se présentait pour un deuxième mandat. En juillet 1996, Liu avait accompagné Chung à un événement lors de la collecte de fonds à Los Angeles et avait été photographié avec le président Clinton.

 « Nous aimons vraiment votre président. Nous espérons qu’il sera réélu. Je vais vous donner 300 000 dollars pour votre président et le parti démocrate » déclare le général Ji à Chung.

10 jours après cette réunion, 250 025 dollars, enregistrés comme frais de marketing à l’étranger, sont virés par Wincopy Pty Ltd, une entreprise de Sydney appartenant à une femme d’affaires sino-australienne, Helen Liu, sur le compte de Marswell Investments, l’une des sociétés de Hong Kong de Liu Chaoying. Cette somme, complétée par le versement d’une entreprise – que la justice américaine identifiera plus tard comme étant l’une des sociétés-écrans du renseignement militaire chinois – permet à Liu Chaoying de transférer quelques jours plus tard 300 000 dollars sur le compte de Chung à Taiwan. Une partie de cet argent tombe dans les coffres de la campagne des démocrates, en violation des lois américaines interdisant les donations politiques étrangères.

Le ministère chinois des Affaires étrangères et China Aerospace Corp. nient le versement : « l’entreprise a mené une enquête sur l’affaire et constaté qu’aucun de ses membres n’avait participé, de quelque manière que ce soit, à la collecte de fonds politique. Liu elle-même a déclaré clairement que les accusations sont sans fondement et fondées sur la rumeur ».

China Aerospace Corp. fabrique des fusées et lance des satellites notamment pour des clients occidentaux. Certains républicains allèguent qu’un de ces clients, Loral Space and Communications Ltd., a reçu des dérogations de l’administration Clinton à l’exportation de technologie satellitaire en contrepartie des contributions du PDG de Loral, Bernard Schwartz à la campagne électorale.

Cette transaction est devenue plus tard l’objet d’une enquête criminelle du Congrès des États-Unis sur ce que les médias américains ont appelé le Chinagate, un scandale politique majeur et… un vaste plan visant à influencer la politique américaine et à favoriser l’acquisition de technologies avancées et sensibles par Pékin.

Cette enquête sur les financements politiques des acteurs du scandale du Chinagate, Liu Chaoying, Johnny Chung et d’autres, a été conduite de 1997 à 1998 par le procureur Mike McCaul, avant qu’il n’entre en politique comme député républicain – il préside le Comité de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants des États-Unis. Incapable de découvrir le transfert australien parce que le gouvernement chinois avait bloqué ses tentatives d’accéder aux comptes bancaires de Liu Chaoying à Hong Kong, il ne pouvait pas se douter d’une connexion australienne jusqu’à ce qu’il soit approché par Fairfax Media et Four Corners avec des documents montrant le transfert de 250 000 dollars de la compagnie d’Helen Liu. Il se dit aujourd’hui certain que Marswell était une société-écran du renseignement chinois.

McCaul pense que les Chinois voulaient la réélection de M. Clinton, supposé plus pragmatique que son adversaire républicain en matière de restrictions imposées à l’exportation vers la Chine de technologies satellitaires. Le comité bipartite du Congrès constituée spécialement pour enquêter sur les dons politiques de la Chine a conclu que les 300 000 dollars étaient destinés à faciliter l’acquisition, par Liu Chaoying pour le compte de China Aerospace, de technologies informatiques, de missiles et de satellites aux États-Unis. Les enquêteurs du Congrès ont placé Liu Chaoying, trouvée deux fois aux États-Unis sous de fausses identités, à l’avant-garde des ventes illégales d’armes et des opérations de contrebande.

McCaul a été surpris d’apprendre que l’Australie autorisait les contributions étrangères et choqué qu’une personnalité de la scène politique australienne comme Helen Liu, en fait une intermédiaire du régime chinois, ait été financièrement et personnellement impliquée avec Liu Chaoying dans l’affaire du Chinagate.

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Annexes

Les protagonistes de l’investigation

L’enquête conjointe à été réalisée par Four Corners et de Fairfax Media (journalistes : Nick McKenzie/Richard Baker/Saska Koloff/Chris Uhlmann/Daniel Flitton). Diffusion sur ABC et par Sydney Morning Herald le 5 juin 2017.

Four Corners est un programme de journalisme d’investigation australien, le plus dense et fouillé de son genre à l’échelle nationale.

Fairfax Media Ltd est l’une des plus grandes sociétés australiennes opérant dans le domaine des médias (journaux, magazines, radios, médias numériques). Un accord de coopération et de logistique a été signé le 27 mai 2016 entre Fairfax Media – aux côtés de l’Université de Technologie de Sydney, Global News et Weldon International – avec l’Agence de presse Xinhua, China Daily, China Radio International, le Quotidien du Peuple et Qingdao Publishing Group.

ABC : Australian Broadcasting Corporation, est le diffuseur public national en Australie (télévision, radio, plateformes en ligne et mobiles). Financée et détenue par le gouvernement, ABC reste éditorialement indépendante…

Les titres originels des trois parties de CHINA’S OPERATION AUSTRALIA sont respectivement :

  • The party line
  • Payments, power and our politicians
  • The go-betweens

La communauté australienne du renseignement

L’Australian Intelligence Community (AIC) comprend six agences de renseignement, les deux premières sont consacrées à la collecte de l’information, les deux dernières, à son évaluation :

  • Australian Security Intelligence Organisation (ASIO),
  • Australian Secret Intelligence Service (ASIS),
  • Australian Signals Directorate (ASD),
  • Australian Geospatial-Intelligence Organisation (AGO)
  • Office of National Assessments (ONA),
  • Defense Intelligence Organisation (DIO),

L’ASIO

Fréquemment citée dans cet article, l’ASIO est chargée des actions de contre-espionnage, de surveillance de l’ingérence étrangère et des résidents malveillants. Voici ce qu’en dit le site de cette organisation :

« L’Australie est depuis longtemps la cible d’espionnage et d’interférences étrangères de la part de services de renseignement étrangers hostiles. L’espionnage peut impliquer le vol d’informations sensibles, privilégiées ou classifiées qui portent atteinte aux intérêts nationaux de l’Australie. L’ingérence étrangère peut entraîner une influence indue de nos processus politiques ou de l’opinion publique au profit d’une puissance étrangère. Les initiés malveillants peuvent exploiter leur accès de confiance pour assister intentionnellement ou involontairement une puissance étrangère, ou pour nuire aux intérêts de l’Australie ».

 

Courte sélection d’articles de presse

Dans cet article, John Fitzgerald montre comment les médias nationaux se mettent la corde au cou en signant de alliances « gagnant-gagnant » avec des entités chinoises, rappelle la longue histoire des Chinois en Australie et décrit le rôle éminent du Département du Travail du Front Uni.

La fidélité via liens et contrôle : la longue histoire de la diplomatie de la diaspora chinoise

John Fitzgerald, 11/05/2014

John Fitzgerald est le directeur du programme CSI Swinburne pour l’investissement social et la philanthropie en Asie-Pacifique ; Directeur adjoint, Centre for Social Impact Swinburne.

Avant de rejoindre Swinburne en 2013, John a servi cinq ans en tant que représentant de la Fondation Ford à Pékin, où il a dirigé les opérations de la Fondation en Chine.

Avant cela, il était chef de l’École des sciences sociales de l’Université La Trobe et, avant cela, dirigeait de nouveau le Centre international d’excellence en études sur l’Asie-Pacifique à l’Australian National University. À Canberra, il a été président du Comité de l’éducation du Conseil australo-chinois du Département australien des affaires étrangères et du commerce, président du Comité de coopération nationale et internationale du Conseil australien de la recherche et secrétaire international de l’Académie australienne des sciences humaines. Ses recherches portent sur le gouvernement territorial et la société civile en Chine et sur les diasporas asiatiques en Australie.

Ses publications ont reçu une reconnaissance internationale, notamment le prix Joseph Levenson de l’Association américaine pour les études asiatiques et le prix Ernest Scott de l’Australian Historical Association.

Début 2014, l’Australian Broadcasting Corporation (ABC) a supprimé son programme d’informations en langue chinoise en anticipation de la signature d’un accord avec une entreprise de médias du gouvernement chinois. L’accord d’ABC avec le Shanghai Media Group a été signé le 4 juin 2014, 25e anniversaire du massacre de la place Tiananmen.

Pour Pékin, l’accord éliminait des voix critiques sur une plateforme étrangère nationale majeure et garantissait qu’ABC ne ferait pas mention du massacre ni pour le 25e anniversaire de cet événement ni dans l’avenir.

De son côté, l’ABC a empoché un accord portant sur des médias qui est une première mondiale. La direction d’ABC pouvait véridiquement se targuer d’être la première entreprise de médias étrangère à obtenir l’approbation du gouvernement chinois pour diffuser des programmes depuis l’intérieur de la Chine, bien que dans ce cas ce soit conditionné par la suppression des informations en langue chinoise.

La direction d’ABC continue de célébrer ce succès aujourd’hui sans scrupules quant à sa réputation d’intégrité journalistique ou se soucier de ses lecteurs en langue chinoise déçus par la décision apparente de troquer ses valeurs contre des parts de marché.

Dans sa relation avec la Chine, l’Australie est surtout préoccupée par le commerce et la sécurité, la « peur et l’avidité », dans le langage coloré de Tony Abbott. Pékin a d’autres priorités, y compris un investissement à long terme dans les affaires des Chinois d’outre-mer qui est sans parallèle dans les cercles politiques australiens. Le parti communiste chinois prend grand soin de ses propres valeurs et intérêts lorsqu’il démarche pour gérer et contrôler les communautés chinoises et les médias en langue chinoise outre-mer.

Les Chinois d’outre-mer, un sujet d’attention qui a une longue histoire

Ce n’est pas le premier régime chinois à le faire. La gestion des affaires des Chinois d’outre-mer est placée haut dans les priorités de la politique chinoise en Australie depuis plus d’un siècle. Le premier contact officiel de l’empire Qing avec les colonies australiennes comprenait une tournée de commissaires impériaux inspectant les conditions de vie et de travail des Chinois en Australie en 1887. Une deuxième commission impériale fit une visite similaire en 1906. Après que l’empire Qing eut ouvert en 1909 un office consulaire dans la capitale fédérale de Melbourne, le bien-être et la gestion des Chinois d’outre-mer continua d’être la préoccupation principale du consul résident, en parallèle avec le commerce. Des initiatives éducatives et culturelles allaient bientôt s’ensuivre.

La Chine avait des décennies d’avance sur l’Australie pour planifier des programmes éducatifs bilatéraux impliquant les communautés chinoises d’outre-mer. Entre 1921 et 1925, 400 visas d’étudiants furent émis par le gouvernement du Commonwealth à la demande du consulat de Chine à Melbourne, permettant à de jeunes étudiants chinois de séjourner chez des familles chinoises et d’étudier en Australie. Cette initiative peu connue, comparable par sa taille au plan Colombo, était très en avance sur les premières initiatives de l’Australie en matière de diplomatie éducative dans la région Asie-Pacifique.

Les gouvernements suivants, y compris le gouvernement nationaliste du Kuomintang des années 1930 et 1940 assura une représentation forte et cohérente en faveur des hommes d’affaires, étudiants et travailleurs sino-australiens à travers son consulat australien, en particulier face aux affaires de discrimination durant la Politique de l’Australie Blanche. Et à une époque où peu de gens en Australie ne promouvaient une connaissance plus approfondie de la Chine, le consul Tsao Wenyen (1936-1944) conseilla de construire les relations sur la base d’une compréhension mutuelle de « l’histoire et la culture » (cité par Mark Finnane dans In Same Bed Dreaming Differently).

Outre les représentants du gouvernement, le Kuomintang envoya des officiers de liaison du parti pour rallier les communautés chinoises locales pour soutenir le parti au pouvoir en Chine. L’un de ces officiers de liaison du Kuomintang, Yu Chun-hsian, rencontra et épousa la fille du révérend John Young Wai à Sydney. L’un des heureux résultats de cette union fut la naissance de leur fils, le docteur John Yu, qui a été nommé « Australien estimé » de l’année 1996.

 Le rôle éminent du Département du Travail du Front Uni dans la poursuite de l’intérêt national chinois

Aujourd’hui, le parti communiste qui gouverne la Chine [se préoccupe] de faire progresser les intérêts nationaux chinois et, de plus en plus, de projeter l’image d’une Chine douce et au-dessus de tout reproche à l’étranger. L’agence qui a la responsabilité ultime de la stratégie et de la politique des Chinois d’outre-mer aujourd’hui est le Département du Travail du Front Uni (中共中央统一战线工作部) du parti communiste. L’expression Front Uni (Tongyi zhanxian, littéralement front de bataille uni) est un terme de guerre dans la terminologie de l’orthodoxie communiste qui renvoie aux années 1920, lorsque les communistes formèrent pendant une brève période un front militaire unifié avec le Kuomintang pour mener une guerre civile contre le gouvernement de Pékin. Les communistes ressuscitèrent le terme une décennie plus tard pour combattre les envahisseurs japonais. Le Département du Travail du Front Uni fut établi durant la guerre pour attirer des élites sympathisantes en Chine et parmi les Chinois d’outre-mer pour servir la cause communiste. Après la défaite du Japon, le Département du Travail du Front Uni conduisit des opérations clandestines durant la guerre civile où il renversa le gouvernement nationaliste du Kuomintang.

Toujours sur un pied de guerre

Jusqu’à ce jour, le Département n’a pas été dissout et le terme « Front Uni » n’a pas été abandonné. Le parti se considère toujours sur le pied de guerre quant à sa relation aux Chinois d’outre-mer.

En guerre contre qui exactement ? La tâche officiellement confiée au Département du Travail du Front Uni est de :

Protéger les droits propres et légitimes des Chinois d’outre-mer, d’unifier les Chinois d’outre-mer sur un large front, de renforcer l’amitié avec les citoyens chinois des autres nations, et de se battre pour le rajeunissement de la Zhonghua (nation chinoise) pour la réunification de la mère patrie et pour développer l’unité, l’amitié et les échanges coopératifs avec toutes les nations.

Il s’ensuit que le Parti est sur un pied de guerre avec tous ceux qui s’opposent à la « réunification » de Taiwan, ou qui se mettent en travers du chemin du « rajeunissement » de la nation Zhonghua et de ses revendications territoriales sur la Mer de Chine du Sud. Le parti conçoit sa politique des Chinois d’outre-mer en ayant en tête ces buts stratégiques et ces ennemis implicites.

La structure de commandement pour les affaires des Chinois d’outre-mer reprend l’ancien style de commandement d’opérations durant la guerre. Le Département du Travail du Front Uni est placé plus haut dans l’ordre hiérarchique que le ministère des Affaires étrangères et que tous les autres ministères sectoriels sur la question des Chinois d’outre-mer. Par exemple, les affaires des Chinois d’outre-mer ne sont pas indiquées sur la liste des 19 responsabilités principales du ministère des affaires étrangères. C’est parce qu’elles sont gérées officiellement à un niveau supérieur de l’État via le Bureau des Affaires des Chinois d’Outre-mer du Conseil d’État, qui adopte une approche interministérielle sous la direction ultime du Département du Travail du Front Uni (par l’intermédiaire de son troisième bureau). Comme le précise James Jiann Hua To dans Qiaowu: Extra-Territorial Policies for the Overseas Chinese, les ambassades et les attachés consulaires de différentes agences gouvernementales basées à l’étranger, y compris du ministère du commerce, du ministère de l’éducation et du ministère des Affaires Étrangères travaillent tous à un plan stratégique commun pour la diaspora chinoise formulé au sein du quartier général central du parti pour soutenir les objectifs stratégiques du parti et les directives du Conseil d’État.

Historiquement, la gestion sur un pied de guerre des affaires des Chinois d’outre-mer était compréhensible. Des années 1950 à la fin du siècle, la compétition entre le gouvernement communiste sur le continent et le gouvernement nationaliste de Taïwan engendrait un effort pour conquérir les cœurs et les esprits des sino-australiens et des autres Chinois d’outre-mer. Les deux parties étaient au sens propre sur un pied de guerre.

La compétition politique entre Pékin et Taipei pour la loyauté de la diaspora s’est atténuée au XXIe siècle lorsque les nationalistes du Kuomintang arrêtèrent d’associer la loyauté à leur parti avec la loyauté à la Chine dans le cadre de la démocratie taiwanaise multipartite. Pourtant, les responsables continentaux n’ont pas abandonné leur principe fondamental selon lequel la loyauté au parti communiste et le soutien de ses objectifs stratégiques est nécessairement un indicateur de la loyauté patriotique des Chinois d’outre-mer. Obtenir la loyauté des sino-australiens vis à vis des valeurs, des buts, des objectifs, des politiques, de la conduite et de la direction du parti communiste chinois est le but prioritaire du programme chinois de diplomatie de la diaspora en Australie.

Le plus souvent, cela implique que les missions diplomatiques chinoises en Australie construisent des liens fructueux avec les réseaux communautaires, participent aux festivals nationaux et civiques et soutiennent une large gamme d’activités culturelles. Mais cela peut aussi comporter une surveillance clandestine, une infiltration et une subversion de ceux qui sont perçus comme ennemis du parti, y compris les organisations religieuses, les militants démocrates, les réformistes constitutionnels, les journalistes, les cinéastes, les artistes, et les personnalités des médias de la diaspora qui ne présentent aucune menace existentielle à la Chine mais dont les activités dérangent le parti communiste lui-même.

Cela implique aussi de prendre le contrôle des journaux, des radios et des autres médias de la communauté chinoise en Australie et ailleurs, et d’inciter le courant principal des médias internationaux à limiter ou supprimer des offres en langue chinoise susceptibles d’être perçues comme offensantes par le parti.

 L’accord avec ABC sert la stratégie chinoise

Cela peut impliquer de persuader les entreprises d’information étrangères que leurs intérêts sont mieux servis en Chine en réduisant leur empreinte en langue chinoise dans les informations. La décision de la direction d’ABC de supprimer toutes les informations en langue chinoise sur les plateformes nationales et internationales du diffuseur national australien, en échange de la conduite d’une opération semi-commerciale à l’intérieur du pare-feu médiatique chinois, sert bien la stratégie chinoise.

Pour apprécier ce qui a été perdu en signant cet accord, les relations de l’Australie avec la Chine doivent passer de « la peur et l’avidité » à la reconnaissance de l’importance des valeurs dans la relation et du respect des importantes contributions que les communautés sinophones australiennes confèrent aux relations avec la Chine en matière de recherche, d’éducation et de culture, en plus des affaires et du commerce. Avec 1,2 millions de personnes d’origine chinoise qui résident maintenant en Australie, il n’est plus possible de faire comme si les médias en langue chinoise ne comptaient pour rien.

Qu’est-ce que devrait faire l’Australie ? L’empire Qing a fait le premier pas en reconnaissant le rôle des résidents chinois en Australie il y a 130 ans. La République populaire a mis les relations avec les Chinois d’outre-mer sur un pied de guerre de temps de guerre. L’approche actuelle de Pékin risque d’endommager les liens mutuellement respectueux entre l’Australie et la Chine au niveau de personne à personne. L’Australie ne devrait pas imiter cela.

Les gouvernements et les municipalités australiennes pourraient cependant envisager d’adopter une réponse politique concertée, englobant l’intégration culturelle et sociale, et une diplomatie de diaspora efficace, pour rattraper le niveau d’efforts et de ressources que Pékin investit dans les affaires des Chinois d’outre-mer, y compris les médias en langue chinoise.

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Deux articles illustrent le débat actuel qui agite les Australiens : utiliser l’influence chinoise à l’avantage de l’Australie ou se méfier des États léninistes autoritaires sans diaboliser les Chinois ?

La première attitude est prônée par Peter Drysdale et John Denton, la seconde, en réponse, par John Fitzgerald.

L’influence chinoise et comment l’utiliser à l’avantage de l’Australie

Par Peter Drysdale, professeur émérite, président du Bureau de l’Asie orientale de recherche économique et coéditeur du Forum de l’Asie orientale. John Denton est PDG de Corrs, Chambers Westgarth

Financial Review, 3 octobre 2017

Vous cherchez des preuves de l’influence chinoise en Australie ? Ne cherchez pas plus loin que le recensement. Environ 1,2 million de personnes se sont déclarées d’origine chinoise. Environ 600 000 sont nés en Chine continentale. Et, bien que la récente couverture de « l’influence » chinoise dans la politique australienne pourrait vous faire penser autrement, la communauté australo-chinoise n’est pas un poignard pointé au cœur de la démocratie australienne – c’est une communauté diverse avec tous les droits de participer à la politique.

Il y a aussi plus de 150 000 ressortissants chinois dans nos universités. La grande majorité d’entre eux viennent aux frais de leurs familles pour acheter une expérience éducative australienne.

Il y a un récit qui vous ferait croire qu’une cabale d’ombre de gens d’affaires nés en Chine essaie de contrôler la politique nationale avec de l’argent et que les étudiants chinois sont déterminés à renverser nos précieuses institutions, libertés et droits. C’est une insinuation sans fondement. La preuve pour cela est rare. Lorsque des infractions surviennent, elles doivent être traitées par les institutions juridiques et politiques australiennes et par nos universités – et non par la calomnie de classes entières dans notre communauté.

Les gens d’origine chinoise et les hommes d’affaires domiciliés en Chine font des dons aux politiciens, universités et autres institutions australiennes, pour les mêmes raisons que les autres : acquérir du prestige, établir une position, accéder à certains cercles sociaux, ou parce qu’ils ressentent affinité avec les idées des politiciens ou des partis qu’ils soutiennent. Certains espèrent sans doute influencer les résultats politiques, tout comme les donateurs de toutes les nationalités. Cela ne signifie pas que ces espoirs sont réalisés. On ne peut pas non plus supposer qu’ils agissent sur l’ordre d’une agence gouvernementale à Pékin.

Pourquoi cibler les Chinois maintenant ?

Les étudiants chinois apportent-ils des visions du monde différentes à nos campus d’étudiants australiens, indiens ou étrangers ? Bien sûr qu’ils le font. Certains d’entre eux sont en fait membres du Parti communiste chinois, bien que l’écrasante majorité ne le soit pas. La plupart sont profondément influencés par l’expérience de la culture, de la société et des institutions australiennes. Pas tous, bien sûr, mais ils ne sont pas tous les nôtres.

Alors, pourquoi les donateurs d’origine chinoise ou les étudiants d’origine chinoise sont-ils ciblés maintenant ?

Fait important, il existe une diabolisation élevée de la Chine pour étouffer les angoisses profondes qui entourent l’imprévisibilité de l’alliance américaine sous M. Trump.

Le battage reflète aussi la superficialité de la façon dont certains commentateurs australiens comprennent le système politique chinois et expriment des inquiétudes quant aux directions qu’il pourrait prendre. Le Parti communiste chinois compte 90 millions de membres : plus que toute la population allemande. Il est ridicule d’imaginer qu’ils sont tous des espions, ou que Pékin est capable de rassembler tous les hommes d’affaires ou les étudiants à l’étranger pour poursuivre son programme géopolitique, même s’il le voulait.

Fausse dichotomie

Une autre erreur qui nuit à la compréhension qu’a l’Australie de la Chine est celle d’une fausse dichotomie entre démocratie libérale et totalitarisme. La Chine n’est pas le fruit de la politique de Jefferson, c’est certain. Mais ce n’est pas non plus la Corée du Nord. Aucune personne bien informée ne pense qu’il y a une équivalence politique entre eux. Les normes démocratiques ne sont pas ancrées en Chine et le pays est un État à parti unique en changement, mais nous reconnaissons l’État et ses institutions et encourageons raisonnablement les ambitions chinoises à long terme à les améliorer.

Les différences de système n’empêchent pas les liens étroits entre l’Australie et Singapour, ou l’Australie et la Thaïlande. Les différences avec le système chinois sont d’un autre ordre. Mais, dans des domaines comme le commerce mondial et le changement climatique, Pékin devient un défenseur essentiel de l’ordre fondé sur des règles sur lequel nous comptons pour la sécurité économique et politique. Leurs systèmes diffèrent profondément, mais l’Australie et la Chine ont des causes et des objectifs communs importants.

Le gouvernement chinois a-t-il des perspectives sur les intérêts de la Chine qu’il promeut à l’étranger ? Bien sûr, et quand ils diffèrent de l’Australie, il y a toutes les raisons de clarifier nos positions.

Ce qui pourrait empêcher les liens étroits entre l’Australie et la Chine de fournir leurs avantages économiques et politiques, avec de lourdes conséquences, c’est l’incapacité à réfléchir sur la façon de gérer la relation. La confiance mutuelle sur des questions clés est un objectif réalisable, tant qu’un cadre d’engagement existe pour un dialogue continu – et aussi longtemps que toute l’Australie peut engager un débat basé sur des faits plutôt que sur une fausse logique et association. Agir autrement c’est n’accorder aucun crédit à la confiance et à la loyauté envers nos valeurs et institutions nationales.

Remodeler le paysage financier mondial

La Chine est prête à supprimer de nombreuses restrictions sur où et comment ses citoyens peuvent économiser et investir. Cela va remodeler le paysage financier mondial, entraînant un changement de comportement politique en Chine même. Pour l’Australie, cela signifiera les flux financiers qui stimulent les investissements des entreprises et garantissent l’infrastructure de construction nationale. L’interaction entre les étudiants chinois et leurs camarades australiens crée des liens essentiels et des atouts inestimables à mesure que les deux économies deviennent plus interdépendantes. Ces opportunités seront gaspillées si la politique australienne vis-à-vis de la Chine est inadaptée. Les politiques australiennes doivent donner aux investisseurs chinois la confiance nécessaire pour être traités équitablement, et non pas injustement désignés comme boucs émissaires pour les échecs de l’élaboration des politiques australiennes plutôt que pour l’influence étrangère malveillante. Les institutions politiques et les universités australiennes sont les plus fortes partout. Elles peuvent convaincre le reste du monde que leur intégrité est solide et sûre. Les dons politiques en Australie devraient être réglementés de manière plus stricte afin d’éviter qu’ils ne soient utilisés de manière abusive ou qu’ils ne faussent les processus d’élaboration des politiques. Si les règles sont resserrées, elles devraient être resserrées pour tout le monde de la même manière. Ne blâmez pas une communauté ethnique pour un phénomène qui ne lui est pas unique. Les universités australiennes sont respectées pour la sauvegarde des traditions de liberté académique et d’enquête impartiale – de la part de gouvernements de toutes sortes. En tant que nation, nous avons rejeté le maccarthysme lorsque nous avons rejeté le projet de loi de dissolution du parti anticommuniste. Cela protégeait le droit des Australiens à être membres du Parti communiste australien – qui a disparu en temps utile. Il est essentiel que les Australiens réalisent que leur prospérité et leur sécurité futures dépendent du rejet de la pensée simple de guerre froide, et qu’ils se lancent dans la tâche importante mais nécessaire de construire une relation de confiance, constructive mais constructive avec la Chine.

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Non, la Chine n’est pas diabolisée

John Fitzgerald, 6 octobre 2017, The Interpreter, publié par le Lowy Institute, Sydney

Il est difficile de voir un avenir pour l’Australie qui n’implique pas la Chine dans une large mesure, que ce soit dans le commerce, les services, l’investissement, la sécurité régionale, les échanges culturels et la migration. Il s’ensuit que garantir un avenir sûr et prospère pour l’Australie signifie que les relations avec la Chine sont bonnes.

Naturellement, par conséquent, Peter Drysdale et John Denton tiennent à ce que les relations soient bonnes. Un débat longuement attendu sur les relations entre l’Australie et la Chine est en cours, et dans leur récent article d’opinion, Drysdale et Denton prétendent détecter dans ce débat un effort concerté pour diaboliser la Chine et dépeindre l’ensemble de la communauté sino-australienne comme perfide. Ils retracent cette démonisation aux angoisses profondes de l’alliance américaine à l’époque de Trump. Ils prescrivent un remède d’un débat public fondé sur des preuves et exempt d’insinuation et de fausse dichotomie.

Si leurs revendications étaient fondées, il y aurait lieu de répondre. Ont-ils du mérite ?

Drysdale et Denton prétendent que la couverture récente de l’influence chinoise en Australie implique que toute la communauté australo-chinoise est un « poignard » pointé au cœur de la démocratie australienne. Si tel est le cas, l’insinuation doit être corrigée immédiatement. Mais d’où vient l’insinuation ?

Le journalisme d’investigation à l’origine de ce débat a fait un certain nombre de revendications spécifiques et contestables venant d’une poignée de gens d’affaires nommément désignés. Il a tracé les liens institutionnels liant ces personnes à Pékin. Et il a montré qu’un certain nombre de leurs revendications ne se rapportent pas à leurs intérêts commerciaux mais à la promotion des intérêts nationaux de la Chine en Australie et dans la région. Aucun des articles ou des programmes n’a insinué quoi que ce soit au sujet de la trahison présumée de la communauté sino-australienne en général. Dans ce cas, l’insinuation semble reposer sur les auteurs.

Des programmes clés, y compris l’épisode « Pouvoir et influence » de Four Corners, affirment explicitement que la communauté sino-australienne est le meilleur atout de ce pays face à la résurgence de la Chine. Un certain nombre de Chinois-Australiens ont été interviewés pour ce programme, comme cela a été fait dans de nombreuses dépositions qui ont alimenté le débat actuel sur la Chine. Les Australiens d’origine chinoise en sont des participants essentiels et non des objets passifs nécessitant une protection de la part des leaders d’opinion influents dans les cercles commerciaux et politiques australiens.

Il y a, bien sûr, des opinions irresponsables. Mais, parmi plusieurs centaines d’articles et de programmes qui ont résulté des efforts d’investigation des journalistes au cours de ces dernières années, je n’ai trouvé dans les médias grand public que trois articles d’opinion critiques à l’égard de la communauté sino-australienne en général. Dans les journaux locaux en langue chinoise, je n’ai vu qu’un nombre comparable d’articles d’opinion irresponsables déclarant que la loyauté sino-australienne doit aller vers Pékin en priorité. Ces types d’opinions appartiennent à la marge de tout débat rationnel fondé sur des données probantes.

En traçant la prétendue diabolisation à des « angoisses profondes » au sujet de l’alliance américaine à l’ère de Trump, Drysdale et Denton doivent prendre du recul car ce débat était en cours bien avant que Trump ne prenne ses fonctions. Les rapports d’enquête antérieurs et les examens internes du gouvernement n’ont été motivés ni par Trump ni par l’alliance américaine, mais par des preuves de plus en plus nombreuses que le comportement du gouvernement chinois mettait en péril la souveraineté australienne.

En 2015, il était déjà clair que le gouvernement chinois achetait, contrôlait et censurait les médias communautaires chinois en Australie, qu’il compromettait les services de nouvelles en langue chinoise d’ABC, qu’il recrutait (et payait) des hauts dirigeants politiques et commerciaux australiens pour faire l’emporter dans les appels d’offres et qu’il plaçait des dispositifs de propagande dans les universités australiennes. À l’époque, la presse avait fait état de ces atteintes à la souveraineté.

Une preuve supplémentaire que ce débat remonte bien avant Trump peut être trouvé dans la législation prévue pour être présenté au parlement cette année sur l’espionnage, l’enregistrement des agents étrangers, et les dons politiques. Il serait difficile d’imaginer qu’une législation complexe et sensible de ce type aurait pu faire l’objet de recherches, de plaidoiries, de propositions, d’ébauches ou être présentée au Parlement sans plusieurs années d’intense préparation. La législation n’a rien à voir avec Trump et ne vise pas exclusivement la Chine. Elle concerne l’Australie et vise à remédier aux faiblesses de la démocratie australienne en limitant la portée des failles dans l’élaboration des politiques australiennes.

Drysdale et Denton prétendent que la distinction longtemps reconnue entre la démocratie libérale et le totalitarisme est une « fausse dichotomie », qu’ils décrivent comme « la pensée de la guerre froide ». Cependant, pour l’Australie, l’enjeu n’est pas de savoir si le léninisme et la démocratie libérale peuvent fonctionner de manière heureuse et coopérative dans des régimes séparées, mais s’il est possible pour une démocratie de maintenir une séparation institutionnelle dans une relation de dépendance avec un État dont le mode opératoire est de type léniniste. Quoi que nous puissions penser des États léninistes autoritaires, dont la Chine contemporaine en est clairement une, ils sont fondés sur une « mentalité antagoniste », et ils ont de grandes difficultés à reconnaître les limites territoriales et institutionnelles de leur autorité hiérarchique démesurée. Comment une Australie libérale peut-elle faire face à une Chine léniniste alors que ce pays s’affirme de plus en plus au-delà de ses frontières ? Une presse libre et audacieuse est l’un des rares instruments dont dispose une démocratie pour empêcher l’empiétement d’un État léniniste sur sa souveraineté. Une conversation ouverte, respectueuse et fondée sur des preuves sur cet empiétement dans les médias est essentielle pour que les relations de l’Australie avec la Chine soient bonnes. Ce n’est pas diaboliser la Chine que de rapporter ce que le gouvernement chinois dit de lui-même : c’est un État riche et puissant qui n’a pas le même tempo qu’un gouvernement démocratique responsable, dont les tribunaux ne sont pas indépendants et dont les systèmes sécuritaire et médiatiques nient la participation politique universelle. Cette situation n’offre aucune protection pour l’exercice des droits fondamentaux de la liberté de parole, de religion ou de réunion. En Chine, cela s’appelle guoqing. Il n’est pas prévu de changer de sitôt. De même, interroger le comportement de quelques colporteurs d’influence nommés et présumés de Chine ne ternit pas plus la réputation de tous les Australiens chinois que d’enquêter sur la conduite des agents de Poutine à Washington en mettant en cause la loyauté de l’ensemble des Américains russes. En somme, les affirmations faites par Drysdale et Denton n’ont aucune portée. Il n’y a pas de cas pour répondre.

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Le manuel de suivi et de contrôle des Chinois d’outre-mer analysé par un expert néo-zélandais. L’interview de l’auteur par le Wall Street Journal suivi d’une présentation de son ouvrage.

Qiaowu : Extra-Territorial Policies for the Overseas Chinese

Présentation sommaire

(Les politiques extraterritoriales pour les Chinois d’outre-mer, mai 2014)

L’auteur de l’ouvrage, James Jiann Hua To, PhD., de l’Université de Canterbury, Nouvelle-Zélande (2010), politologue, enseigne au Collège international du Pacifique, Palmerston North. 

L’ouvrage, qui résulte d’enquêtes approfondies et nuancées, doté d’une bibliographie abondante, compare les politiques et pratiques rivales du Parti communiste chinois et des gouvernements nationalistes du Kuomintang et du Parti démocrate progressiste de Taiwan. L’auteur analyse le rôle que joue les relations de la Chine avec sa diaspora, le qiaowu, dans l’exploitation du pouvoir des communautés stratégiques outre-mer et souligne les implications pour les relations extérieures de la Chine. Depuis plus de 150 ans, le qiaowu 侨务 a évolué en fonction de l’environnement géopolitique national et international.  Les activités culturelles et économiques en sont les modalités les plus visibles. Cependant, l’objectif principal est de cultiver, d’influencer et de gérer les Chinois ethniques dans le cadre d’un projet transnational mondial visant à rallier le soutien de ses partisans.

Une étude antérieure « Politiques de Pékin pour la gestion des communautés chinoises de Han et de minorités ethniques à l’étranger », est parue dans le Journal of Current Chinese Affairs (4/2012).

« Qiaowu » 侨务 : les politiques extra-territoriales pour les Chinois d’outre-mer

Interview de l’auteur

James Jiann Hua To, The Wall Street Journal, 16 août 2014

James Jiann Hua To, un politologue néo-zélandais, est l’une des premières autorités chinoises à guider ses Chinois d’outre-mer – les « mille grains de sable ». Il est l’auteur de « Qiaowu : Politiques extraterritoriales pour les Chinois d’outre-mer ».

L’un des plus grands mouvements de population de l’histoire est en cours : un grand nombre d’étudiants, de chefs d’entreprise et de touristes sortent de Chine. Plus de 100 millions de personnes ont traversé la frontière l’année dernière. Partout où ils iront, ils seront suivis par l’État léniniste qu’ils croient laisser derrière eux. Le Bureau des affaires chinoises d’outre-mer du Conseil d’État est chargé d’assurer leur loyauté envers la Chine et le Parti communiste. Ses activités sont connues sous le nom de qiaowu.

Andrew Browne de China Real Time (un des blogs du Wall Street Journal, créé en 2008 et clos en juillet 2017) s’est entretenu avec lui par courriel. Extraits :

Quelle est la définition de qiaowu ?

Moyennant diverses techniques de propagande et de gestion de la pensée, le but du qiaowu est de rallier le soutien de Pékin le maximum des 48 millions de Chinois d’outre-mer. La grande majorité d’entre eux sont inconscients de cette activité. Les principaux groupes cibles sont ceux qui sont ouverts et qui même acceptent de recevoir le qiaowu et des liens plus étroits avec la Chine et son service extérieur, tels que les nouveaux migrants ou les étudiants de la RPC à l’étranger.

 Comment le qiaowu joue-t-il au milieu de l’énorme croissance du tourisme chinois, de l’émigration et du flux des étudiants ?

Premièrement, une distinction claire doit être faite entre les ressortissants chinois résidant à l’étranger et les Chinois d’origine étrangère. Pékin fait très attention à ce qu’il ne soit pas perçu comme une ingérence dans les affaires étrangères au moyen d’une cinquième colonne. Cependant, la portée du qiaowu est si large que tous les Chinois sont a priori concernés et la distinction devient assez floue.

La République populaire de Chine a la capacité de surveiller les affaires chinoises à l’étranger à travers le monde – en particulier en ce qui concerne les sentiments anti-chinois ou les catastrophes naturelles. En outre, Pékin a publiquement déclaré qu’il était prêt à tout faire pour protéger les Chinois d’outre-mer contre le racisme, le harcèlement et les dommages à la propriété.

 Comment la Chine cherche-t-elle à influencer les activités médiatiques et culturelles en langue chinoise à l’étranger ?

Pendant des décennies, le PCC a utilisé les journaux, la radio, la télévision et d’autres sources médiatiques pour influencer les perceptions et les comportements des Chinois d’outre-mer. L’objectif principal de Pékin est d’encourager la réunification, de stimuler la fierté nationaliste et de s’opposer aux mouvements hostiles au Parti communiste chinois. Cependant, Pékin fait très attention à ne pas apparaître comme interférant.

Bien qu’il réussisse surtout avec de nouveaux migrants et des étudiants chinois à l’étranger qui ont peut-être encore des sentiments pro-Pékin, ce type de travail a peu ou pas d’influence sur les Chinois bien établis et enracinés dans des valeurs de leurs pays de résidence. Cependant, Pékin cherche activement à guider la manière dont les festivals traditionnels sont célébrés en offrant des décorations gratuites et des ressources culturelles, attisant la sentimentalité ancestrale et mettant en valeur l’essor de la Chine sur la scène internationale.

Cela pourrait-il entrer en conflit avec les valeurs démocratiques dans les sociétés d’accueil comme les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ?

Avec l’influence croissante de Pékin dans les cercles culturels et médiatiques chinois, d’autres interprétations de la « Chine » se trouvent mises à l’écart. Dans les pays où la liberté d’expression et la pensée indépendante sont très appréciées, le qiaowu a fonctionné de telle sorte que les Chinois étrangers s’autocensurent pour maintenir de bonnes relations avec Pékin afin de ne pas compromettre l’accès à ses ressources et opportunités économiques.

 Le débat grandissant sur les Instituts Confucius est-il un signe d’événements à venir ?

Le programme de l’Institut Confucius est la plus importante initiative de diplomatie publique et de sensibilisation culturelle de la Chine. Son objectif à long terme est de rassembler un large éventail de soutiens pour que la Chine puisse influencer le développement de la politique étrangère du pays hôte afin qu’elle soit favorable à Pékin. Les instituts promeuvent activement le mandarin putonghua, pas d’autres dialectes comme le cantonais, les caractères simplifiés et la prononciation du pinyin.

Une interprétation de ce que signifie être chinois, inspirée par le PCC, est le signe des choses à venir pour les communautés chinoises à l’étranger, à moins qu’elles ne travaillent activement pour préserver leur caractère unique.

Comment la mission de la Chine pour protéger les ressortissants chinois à l’étranger influencera-t-elle sa posture en matière de sécurité mondiale ?

À mesure que les investissements chinois à l’étranger augmentent, Pékin pourrait envisager une diplomatie navale ou une protection militaire pour surveiller les actifs sous contrôle chinois à l’étranger, ou intervenir lorsque les Chinois d’outre-mer sont en difficulté. Par exemple, il a préconisé l’envoi d’officiers de police de la République populaire de Chine pour faciliter les enquêtes à la suite d’attaques contre des Chinois d’outre-mer.

La Chine souhaite être acceptée par la communauté internationale et s’abstient de tout ce qui pourrait être perçu comme un comportement agressif. Par exemple, elle a hésité à envoyer une assistance en uniforme et affrété des avions commerciaux au lieu d’envoyer des avions militaires ; les navires militaires sont envoyés en tant que visites navales de bonne volonté.

 La question des loyautés nationales chinoises en Asie du Sud-Est refera-t-elle surface ?

Dans les années 1980, le gouvernement de Singapour a cherché à réduire l’élite chinoise et ses liens avec la Chine en ne conservant que les aspects culturels politiquement inoffensifs de diverses associations claniques chinoises à l’étranger. Au début des années 1990, Lee Kuan Yew a exprimé sa crainte d’une éventuelle discorde raciale si les Chinois d’outre-mer répondaient à la ligne de Pékin d’une culture chinoise commune. Alors que le soutien à Pékin est le plus évident parmi les nouveaux groupes de migrants et les étudiants chinois qui étudient à l’étranger, la plupart des Chinois résidant dans leur pays d’accueil (beaucoup depuis des générations) ont peu d’appuis à Pékin. Le problème est que les gens du pays peuvent ne pas être en mesure de faire la distinction entre ces groupes très différents, et par conséquent tous les Chinois apparaissent comme « peints avec le même pinceau ».

 Il y a eu plusieurs cas d’espionnage industriel aux États-Unis impliquant des ressortissants chinois. Est-ce que cela fait partie de la politique qiaowu ?

Alors que le qiaowu comprend la collecte de renseignements sur les Chinois d’outre-mer et leurs activités, les frontières entre l’administration qiaowu et l’État se brouillent lorsqu’on mobilise des Chinois d’outre-mer pour des intérêts nationaux qui vont au-delà de son mandat. Dans ces cas, l’administration qiaowu préfère laisser des pratiques agressives et coercitives à d’autres agences. En tant que « milliers de grains de sable » chinois, les ressortissants de la RPC et ceux d’origine chinoise à l’étranger sont incités à fournir des informations ou des technologies pour le développement de la Chine sous la forme de micro-espionnage décentralisé. Les cibles ignorent souvent qu’elles font l’objet d’une telle manipulation. Beaucoup répondent positivement et volontairement en faisant appel à leur fierté ethnique et leurs sympathies pour « aider la patrie à avancer ».

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