La Sibérie, LA priorité nationale du XXI siècle
La conférence de l’APEC – Asia Pacific Economic Cooperation -, s’est tenue pour la première fois en Russie à Vladivostok, en 2012. La Russie affirme sa vocation asiatique avec une déclaration du Président Poutine: « Le développement de la Sibérie et de l’Extrême Orient est LA priorité nationale pour la Russie durant tout le 21ième siècle. L’objectif est de développer l’ouverture sur l’Asie et le Pacifique, les défis sont sans précédent à cette échelle ce qui implique que les mesures qui seront prises sont hors du commun et hors des standards ».
L’objet de cette note est de faire un point d’étape six années plus tard.
LES FAITS
La Sibérie est un monde aux limites géographiques incertaines où le mythe se confond avec l’histoire, où la démesure est la règle et où l’homme se trouve confronté à une nature difficile à dominer, donc à exploiter ! Est elle Asiatique, est-elle européenne? Est-elle une extension de l’Europe au-delà de l’Oural vers l’Asie avec la conquête des Pomores, Varègues et Cosaques, ou l’héritière des Mongols qui, venus d’Asie au XII et XIII siècles, ont constitué et géré le plus grand Empire ayant jamais existé? La Sibérie est finalement le cœur de l’Eurasie qui bat aujourd’hui encore à la cadence russe ! Et demain ?
Carte générale de la Russie avec la Sibérie
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La Sibérie, une épopée de 5 siècles avec des aventuriers et du hasard
La conquête ou comment «la fripe douce et précieuse ou l’or doux » a nourri les caisses du tsar.
- Un oligarque commence l’aventure.: La conquête de la Sibérie commence au seizième siècle avec Ivan le Terrible. Le tsar victorieux de khans tatares prend le contrôle de la Volga – la Volga Matouchka-, fait sauter le verrou à l’Est en prenant Kazan, centralise son royaume en écrasant la riche cité rebelle Novgorod, mais n’arrive pas à sécuriser la voie maritime nord contrôlée par la Suède. Le 30 mai 1574 il confie le contrôle de la frontière et la gestion des nouvelles terres à conquérir pour le compte de la couronne, aux Stroganov, un entrepreneur à succès enrichi par la production et le commerce du sel et du fer. Déjà des mines, déjà un oligarque!
- Les cosaques continuent la conquête…:C’est le début d’une épopée conduite par les Cosaques, des mercenaires structurés et efficaces attirés par les gains liés au commerce des fourrures, «la fripe douce et précieuse ou l’or doux». La conquête de la Sibérie se résume alors à une histoire de fourrures, de voies fluviales, et d’impôts perçus par le tsar – jusqu’à 40% de ses recettes fiscales- . La course à la fourrure par fleuves – car qui contrôle les eaux, contrôle la Sibérie- détermine le rythme de la conquête!. Les héros cosaques ont attaché leur nom à la conquête de cet espace , avec Ermak – qui brise en 1582 le verrou en prenant à Koutchoum sa capitale, Sibir, avec Moskvitine qui atteint le Pacifique en 1639 (6.000 km couverts en moins de 40 ans!), avec Semion Dejnev qui part pour un voyage de 1an et revient 20 ans plus tard en passant par la voie maritime Nord en découvrant le passage avec l’Alaska, en 1662…
- Secteur privé entreprenant et état fort cohabitent..: Deux traits importants ont marqué cette période: le goût du risque des promichlenniki, aventuriers motivés par les fourrures, et le contrôle de l’Etat avec le Sibirski Prikaz, une organisation au coeur du Kremlin qui, jusqu’à la Grande Catherine contrôlera tout et surtout percevra les taxes sur les fourrures avec la collecte du Iassak. ! Conséquence importante: les indigènes qui chassent les animaux à fourrures et enrichissent les coffres de l’empire, sont des sujets du tsar, donc protégés, alors que les Cosaques, eux, protègent les frontières!. Le seul territoire géré en dehors de ce système est l’Alaska, il est géré directement par une société privée russo-américaine…et il sera vendu par le tsar en 1868 pour 7 millions $! L’occupation russe protège l’indigène, il est le contraire du mode anglo-saxon, où on progresse en massacrant les populations locales et en occupant les terres libérées avec de l’élevage extensif! Il en résultera que en 150 ans, la population indigène (les indiens) a été divisée par 10 en Amérique du Nord, et multipliée par 3,5 en Sibérie.
Le transsibérien, une conséquence de la guerre de Crimée et une nouvelle Route de la soie
- Le pari du transsibérien était aussi démesuré que celui lancé aujourd’hui par le Président Poutine afin de poursuivre l’épopée sibérienne avec un moteur économique moderne!
Poser plus de 6.000 km de voies ferrées en moins de 15 ans dans des terres inconnues, avec des conditions climatiques extrêmes, est un pari insensé, il a permis à la Sibérie d’être pleinement intégrée dans la Russie.
La guerre de Crimée est le fouet qui décida définitivement de l’urgence absolue de construire le transsibérien. La guerre a été perdue, elle a ruiné la Russie, elle a montré la fragilité de l’Empire russe et mis en évidence les difficultés d’assurer la défense les terres lointaines de l’Extrême Orient. Il fallait plusieurs mois pour les rejoindre par terre ou par mer
L’Angleterre, la première puissance mondiale maritime, a toujours voulu dominer le continent russe et sibérien par le contrôle de ses fleuves . Déjà en 1555, R. Chancellor, envoyé par Elizabeth I, avait voulu ouvrir la voie du Nord et obtenir le monopole des privilèges de navigation de la part d’Ivan le Terrible ..qu’il refusa!
Alors qu’une flotte britannique tentait de prendre les Solovki en 1854, que Sebastopol était assiégée, une flotte franco-anglaise tenta une autre diversion en Extrême Orient avec un débarquement en 1855 au Kamchatka. L’Amiral Nevelskoï et le Gouverneur Mouraviev, désobéissant aux ordres du tsar, avaient descendu le fleuve Amour pour découvrir son embouchure et rejoindre le port de Petropavlosk. Ils l’ont alors défendu avec succès.
Enfin, la Chine – 400 millions habitants -, à la même époque, avec l’aide d’ingénieurs anglais, commençait la construction d’un chemin de fer depuis Pékin vers le nord, en direction de la Mandchourie puis vers la ville de Hunchun, à seulement 100 kilomètres de Vladivostok….
Il y avait péril en la demeure russe.
- Pour gagner le pari insensé du transsibérien– où le faire passer, comment le construire dans un pays aux conditions physiques impossibles, qui va payer, comment négocier le parcours avec la Chine -, il fallait des hommes obstinés et de génie capables de remuer des montagnes, capables de transformer leur rêve en réalité! Evguenii Bogdanovitch lança son premier projet en 1868, Sergei Witte le modifia et le réalisa entre 1891-1904, le tracé fut complété en 1916. Il n’empêcha pas en 1.905 la prise de Port Arthur par les Japonais, déjà soutenus financièrement et militairement par les Anglais et Américains.
- Une nouvelle route de la soie est née. L’Extrême-Orient russe autrefois, « île » coupée du reste de la Russie, en était devenue une partie intégrante. Une nouvelle route de la soie s’ouvrait, elle brisait le monopole anglais du commerce maritime entre la Chine et l’Europe. La Russie se rapprochait dangereusement de la puissance britannique dominante en Asie.
Le tracé du transsibérien et des autres voies ferrées reliant l’Asie à l’Europe.
L’épopée du pétrole du gaz et « La Sibérie flotte sur une mer de pétrole ». L’or noir remplace l’or doux de « la fripe douce et précieuse » et sauve la Russie.
- Une découverte où la chance, l’abnégation et la désobéissance créent l’imprévisible et avec l’or noir qui sauve l’URSS…
En 1946, les USA produisaient 240 Millions T de pétrole contre 180 au début du conflit, l’URSS en produisait 19 contre 33 en 1941. En 1946, Staline, grand connaisseur de la problématique pétrolière, exige que l’on produise 60 Millions t. à moyen terme… En 1948 on découvre les gisements de Romachka, et la production du Tatarstan dépasse bientôt celle du Caucase. En 1960, la production de l’URSS dépasse les 150 millions t. La découverte du pétrole au Tatarstan joue le même rôle que celui de la prise de Kazan par Ivan le terrible: un verrou est levé et la porte de la Sibérie est ouverte, hier pour les cosaques, maintenant pour les géologues! Le second miracle russe va se produire. Un géologue Goubkine, comparant les chaines de l’Oural aux Appalaches, avait eu l’intuition dès 1931 que la Sibérie avait des ressources pétrolières importantes. On ne le croyait pas !
Les recherches, arrêtées durant les terribles années 30 – avec une vague de géologues fusillés – et la Grande Guerre, reprennent, elles sont infructueuses. Le 23 juillet 1953, on signe l’arrêt des « caprices sibériens ». Depuis 5 ans on cherchait à l’aveugle et à la boussole dans la région de Beriozovo, chez les Khantis. Quelques jours avant le retrait des équipements – le 21 septembre -, on découvre le gaz sibérien en quantités énormes (il faudra 6 mois pour contrôler le puits d’où a jailli le gaz), l’aventure pétrolière sibérienne débute. En 1956, Kroutchev est à la tête de l’URSS, c’est un homme du charbon (Donbass) et du maïs, il n’a que mépris pour le pétrole. « Les reserves de gas et de pétrole dont nous parlent les gens de Tioumen n’existent que dans leur imagination » (vice président du Gosplan). C’est l’époque des grands barrages et de l’électricité. On projette, encouragé par les experts US, de barrer les fleuves sibériens, en commençant par l’Ob avec un construction à son embouchure et un lac de retenue 3 fois plus grand que le Baïkal… Un géologue azéri, Salmanov, sans mandat ni autorisation, tente un coup de force en forant dans le village de Sourgout sur le cours moyen de l’Ob et le 21 juin 1960: c’est le GRAND PETROLE qui apparaît… , « les éléphants du sous sol sibérien dormaient et n’attendaient qu’à être éveillés ». Et c’est fait, on a découvert des dizaines de Tatarstan.
Les bassins de pétrole et gaz en Russie et Sibérie- évolution de la production pétrolière de la Russie
« La Sibérie flotte sur une mer de pétrole dont Farman Salmanov est le premier explorateur navigateur ».
Aujourd’hui: c’est un fait certain, le pétrole est bien là (voir la carte), en grandes quantités. On en produit plus de 460 millions de tonnes, alors que produisait le pari de Staline de 60 millions de tonnes en 1946 triplait la production de 1945. Il paraissait insensé…..avec les conséquences pour les exécutants…Les réserves de pétrole et de gaz russe sont en écrasante majorité en Sibérie et sont parmi les premières du monde.
Mais il y a bien d’autres ressources minérales en Sibérie
Elles semblent apparaître à des moments les plus inattendus…et cela a commencé par Anika Stroganov extrayant le sel par chauffage, puis avec les mines de fer dans l’Oural, dont l’empire avait besoin pour ses armées…
On trouve tous les minerais de la planète en Sibérie, du Nickel, du charbon , du fer, de la bauxite pour l’aluminium , de l’uranium… L’Extrême Orient est la région la mieux pourvue, avec l’or, l’argent, le tungstène, l’étain, les diamants.. L’écrasante majorité des richesses minérales russes se trouve et Sibérie, à commencer par le gaz et le pétrole.
La privatisation post-soviétique et les nouvelles fortunes
Les structures d’exploitation, héritées du communisme, sont maintenant entre les mains de groupes privés, avec des sociétés gigantesques comme Norilsk – numéro 1 mondial en Nickel et Palladium, Rusal, numero 1 mondial de l’Aluminium etc…, tous deux avec des Chiffres d’Affaires de 8 à 10 milliards $…
Il suffit de regarder la liste des milliardaires russes pour comprendre que le contrôle et l’exploitation des ressources minières ont engendré des richesses individuelles de grande ampleur.
40 des 50 plus grandes fortunes russes (plus de 2,1 milliards $) sont des hommes d’affaires directement liés à l’exploitation et transformation minière. C’est au moins ce qu’affirme le Trésor américain quand il identifie, grâce à Forbes, les hommes d’affaires russes en vue de les sanctionner et de rendre plus difficiles leurs activités industrielles!.
La Sibérie: une immensité vide de population.
- La Sibérie s’étend sur13 millions de km2, elle est faiblement peuplée – 3 habitants au km2 – . L’espace parait d’autant plus vide que la population est urbanisée à 75%. Ses voisins asiatiques – tous très peuplés – ont des histoires longues et compliquées! Son climat actuel est rude…
Densité de population dans les grandes régions sibériennes
- Durant 400 ans, la croissance de la population a été constante en Sibérie pour diverses raisons comme
- L’attrait de l’aventure et du gain avec les fourrures. La croissance du peuplement était liée à la vitesse de la disparition des animaux à fourrure. C’était l’époque de la colonisation plus ou moins sauvage, le long des fleuves avec la construction des ostrogs (ou mini-forteresses derrière des palissades),
- La collecte de l’impôt avec une l’administration pléthorique qui la fixait et la « contrôlait »..
- La protection avec des militaires, surtout des Cosaques,
- La fourniture de nourriture avec une agriculture rapidement devenue florissante,
- L’éloignement et le bagne du temps tsariste, suivi en fin de la peine à l’obligation de rester en Sibérie,
- Une politique volontariste forte pour créer une agriculture paysanne pour occuper l’espace et le mieux défendre. L’objectif est de prendre le relais des Cosaques, les protecteurs des frontières depuis le début de l’occupation russe. C’était la vision prophétique de Witte et Stolypine qui, en 1882 et en 1906, ont lancé l’agriculture sibérienne moderne avec 2 lois qui prévoyaient
- des attributions de terres pouvant aller jusqu’à 100 ha par famille (le double pour les Cosaques), dans des schémas d’aménagement cohérents et localisés,
- des exemptions de taxes sur 5 ans,
- des aides financières mensuelles importantes pour que les migrants vivent bien durant les 18 premiers mois de leur installation,
- des aides à la construction des maisons,
- un voyage gratuit Vladivostok-Odessa annuel .
- Le transsibérien, il a joué un rôle majeur dans les mouvements de populations, il a mobilisé des centaines de milliers de travailleurs, dont un certain nombre est resté sur place, il a surtout facilité les migrations.
- Le goulag qui combinait deux facteurs, la privation de liberté et le travail forcé non payé, pour effectuer les projets prioritaires de l’Etat. La Sibérie devint ainsi la plus grande prison du monde, jusqu’en été 1954 où, après une longue grève dans plusieurs camps, on en conclut que le système n’est pas rentable … et qu’il fallait l’abandonner!
- Les conditions privilégiées pour les travailleurs sur les chantiers sibériens – salaires multipliés par 2, logements et autres avantages en nature.
- À partir des années 1990, l’Etat protecteur s’est désengagé de toutes ses obligations, le libéralisme s’est imposé autant dans la prise de contrôle des opérations minières que dans l’agriculture et dans les services publics. La « liberté sans contrôle » a tué le fragile modèle de vie sibérien.
- Quelques chiffres pour mieux saisir le problème démographique d’un espace riche dans son sous sol et vide de population:
- La Grande Catherine a lancé la politique d’éloignement en grand, avec l’envoi de 10.000 personnes en Sibérie chaque année,
- La politique agricole du début du siècle fut un immense succès avec 3 millions de personnes installées officiellement (82% des colons restèrent) et 750 000 établis hors programme. Entre 1897 et 1914, la population de Sibérie va s’accroître de 73 % et la surface cultivée va doubler.
- Entre 22 et 27 millions de personnes sont passées par les goulags entre 1926 et 1956, avec 1,7 millions de morts. La population des goulags a atteint son maximum avec 2,3 millions de personnes. La construction la plus aberrante imposée par Staline était la « transpolaire » 1459 km à travers la toundra des Nenetses, dans des marécages, on l’appela la Stalinka. Tellement inutile et inhumaine qu’elle a été arrêtée immédiatement après la mort de Staline… 25 ans plus tard, on s’est aperçu qu’elle était en plein coeur des plus grands gisements de gaz de l’URSS et du monde! Humour russe!
- La population de l’Extrême Orient Baïkal a été multipliée par 5 entre 1926 et 1991.
- De 1965 à 1990, 16 villes apparaissent, de 1965 à 1980, 15 millions de migrants arrivent (1 million par an), la grosse majorité repart après quelques années, surtout quand ils travaillent dans les industries.
- Alors que la population n’avait cessé de croitre durant 400 ans en Sibérie, l’éclatement de l’URSS a bouleversé la structure de la population en Russie et plus encore en Sibérie. En 12 ans quand la Russie perdait 2 millions d’habitants, et la majeure partie de la baisse population provient de la Sibérie qui perdait 1,5 millions d’habitants.
- Le cas de l’Extrême Orient russe: cette région constitue depuis toujours la partie de la Russie la plus menacée par ses voisins. La presse, toujours en avance sur les rumeurs, écrivait déjà dans le « Courrier International » de novembre 2009 « Far East, quand la Sibérie sera Chinoise ».… La presse russe n’est pas en reste. Ces craintes sont alimentées par les mouvements de population des 20 dernières années. La population est passée officiellement de 9 à 6 millions d’habitants … quand on annonce que la population chinoise officielle ou clandestine s’élèverait entre 1,5 et 5 millions habitants… ou peut être moins de 200.000, selon les sources et les objectifs recherchés…!
Baisse de population en Extrême Orient russe
La Sibérie possède la plus grande réserve d’eau douce du monde. Après l’or doux et l’or noir, c’est l’or bleu qui sera le bien le plus précieux de demain !
- La Sibérie est un monde d’eau avec des lacs, des fleuves et une banquise au Nord. La Sibérie a
- 4 des 10 plus grands fleuves du monde, l’Yenissei (débit moyen de 19.800 m3/s et 4.100 km) , l’Ob(10.600 m3/s et 5.410 km), la Lena (16.800 m3/s, 4.400 km), l’Amour (11.000 m3/s , 4.350 km) A titre comparatif le Rhin a un débit moyen de 2.330 m3/s et une longue de 1.230 km.
- Le lac Baikal contient 23.600 km3 d’eau, soit 23% des réserves d’eau douce du monde, un trésor à terme plus important que le pétrole.…
- Les programmes d’utilisation des eaux des fleuves sibériens ont foisonné. On notera les suivants:
- Dans les années 70, on voulait changer le cours de certains fleuves sibériens et les diriger vers le Sud pour remplir la Mer d’Aral qui s’évapore car c’est un schott de type saharien et non une mer intérieure. Cette idée – déplacer des eaux qui coulent Nord pour les faire évaporer au Sud, bien qu’étrange – a été reprise en 2012 par le Président Nazerbaïev qui déclarait alors: « Pourquoi ne pas se pencher sur le projet de dérivation des fleuves sibériens vers le sud de la Russie et le Kazakhstan. ».
- Des projets de vente d’eau du Baïkal à la Chine pour alimenter la ville de Pékin via un « pipe » ont été inventés depuis longtemps et jamais mis en oeuvre, tant à cause des montants d’investissements que du caractère sacré du lac Baï La nécessité de demain risque de prendre l’avantage sur le rituel d’hier!
- Le Ministre d’Agriculture de Russie en mai 2016 à Barnaul a proposé de vendre à la région autonome de Xinjiang Uygur, 70 million m3 d’eau (étendus à terme à 1 milliard), via une déviation des eaux de l’Altaï à partir de l’Ob, qui traverserait le Kazakhstan, ce qui déclencha une opposition des scientifiques et écologistes de haut niveau (professeur Vladimir Kashin).
- Un projet pilote russo-chinois est en cours d’élaboration pour vendre de l’eau douce du Kamchatka en vrac à partir de Petropavlovsk-Kamchatsky à des districts chinois ou à des sociétés privées (COFCO Coca-Cola Beverage Ltd) en Chine, combinant containers et « water-pipes ».
La Sibérie, la plus grande forêt du monde, mal exploitée, une source de richesses inestimables, en croissance!
- La Sibérie,1/3 plus grande que les USA (partie continentale), est couverte de forêts sur moitié de sa superficie, avec 605 millions ha, dont 450 millions ha de conifères. Elle possède 20% des réserves forestières mondiales et 50% des conifères du monde, beaucoup sur le permafrost ou dans des zones montagneuses (60%). Il y a 61,4 milliards de m3 de bois en stocks sur pied dont 50 milliards m3 de conifères. Ce sont des puits de Carbone exceptionnels, qui, selon Alexeyev et al. (1995), ont accumulé 94 millards tons de carbone.
Comparaison des volumes de bois exploités et des volumes exploitables actuellement avec une gestion cohérente et durable des ressources forestières. CIBC, 2007)
- L’exploitation forestière actuelle est erratique avec plusieurs défauts majeurs:
- le gaspillage et la « mal exploitation » , avec une surexploitation là où l’accès est facile, une sous exploitation dans le cas contraire, d’où un taux moyen d’exploitation bien faible,
- le trafic illégal en particulier vers la Chine, « impossible » à contrôler,
- les problèmes sanitaires (insectes, champignons parasites) consécutifs aux gaspillages et au bois coupé et laissé sur place (jusqu’à 1/3 des arbres abattus),
- les incendies, 500.000 ha sont détruits chaque année,
- les problèmes de transport.
- La Sibérie exploite entre 1/3 et 1/2 de ce qui est considéré comme économiquement viable.
Les autorisation de coupe AAC (Annual allowable Cut) – qui comprennent bois utilisation commerciale ou bois de chauffe – étaient de 382 millions m3, dont 261 pour les conifères- alors que les coupes s’élevaient à 126 millions m3.
l’Est Sibérien (Sibérie hors Oural) possède un potentiel de croissance de 360 millions m3 par an, dont 93 millions m3 pourraient être exploités sur le moyen et le long terme avec 70% de conifères, , (Backman 1985), à peine la moitié est exploitée, et mal!
- En conclusion, les ressources forestières se détériorent lentement et sûrement, l’exploitation actuelle n’est ni tenable ni durable.
L’agriculture sibérienne: une réalité devenue une anecdote avec comme conséquence l’échec dans la politique d’occupation du territoire.
- L’agriculture sibérienne a permis de satisfaire les besoins alimentaires des populations locales, elle a nourri en partie la Russie européenne menacée de famine à plusieurs reprises au dix-neuvième siècle. Lorsqu’il a fallu définir le tracé du transsibérien, le lobby des agriculteurs (céréaliers surtout) était très actif et puissant. Il exportait alors les productions céréalières et laitières (beurre et fromages) récoltées au delà de l’Oural. Il a perdu la bataille du tracé des voies, tracé défini en fonction du montant des investissements immédiats – les moins chers -, et n’intégrant pas les profits retirés du développement des activités agricoles existantes. On a condamné des milliers d’hectares déjà cultivés et occupés.
- Aujourd’hui, la situation est autre. Les régions de la Sibérie du Sud sont favorables à l’agriculture et à l’élevage avec la moitié du blé de printemps – environ 14 millions ha – cultivés. Les rendements sont faibles – autour de 2T/ha -, les coûts de production aussi. On produit du blé à moins de 100$ la tonne, le transport vers les ports d’exportation revient plus cher que la production. La réorientation et la libéralisation de l’agriculture depuis la chute de l’URSS a conduit à de fortes réductions de terres ensemencées, donc occupées par les hommes. Les superficies semées en céréales ont diminué de 20%.
- La situation en Extrême Orient est différente, l’objectif est d’assurer l’autoconsommation, ce n’est pas le cas actuellement. Deux régions au Sud -Amour et Primorsky Krai- assurent 50% de la production agricole. On y cultive du blé, du soja et du colza. Les potentialités sont grandes, le marché chinois voisin est demandeur… mais on ne peut produire sans investissement en matériel, en technologie, en transport…
- Quelques réalisations sont en cours avec des agroholdings pour élever du porc (Russagro a un projet de 700.000 porcs, une compagnie locale Merci-Trade a un projet de même taille), pour produire du lait – une unité de 20.000 t de lait -, une autre enfin pour produire des légumes sous serres – projet russo japonais de JGC Evergreen- .Toutes ces opérations mobilisent des ressources importantes de l’Etat.
- On parle beaucoup des actions chinoises, en fait, il y a peu de réalisation si on considère l’importance des besoins. La province chinoise la plus proche est celle de Heilongjiang Province. Depuis 2007, des chinois -en général des petits entrepreneurs – ont investi dans la production agricole. Officiellement, il y a un accord entre responsables russes locaux et chinois de Heilongjiang pour la mise en culture de 460.000 ha, et 3 milliards $ ont été investis dans l’agriculture, l’exploitation forestière et la pêche en Russie (Far East ) jusqu’en 2016. Mais la méthode utilisée, avec des petites entreprises, relève d’une dynamique très porteuse…
Les rapports avec les voisins, Europe (dont Allemagne) et Chine Japon Corée.
- La Sibérie et la Russie ont deux grands voisins, l’Europe et la Chine. Pour en mesurer poids et importance, il suffit de suivre leurs échanges commerciaux sur les dernières années à travers les chiffres du WTO
- L’UE est le premier client et le premier fournisseur de la Russie, bien loin devant la Chine, et devant le trio Chine Japon Corée.
- Les importations russes proviennent à 38% de l’Europe et 17% de la Chine, ces valeurs étaient respectivement de 43% et 11% en 2013.
- Les exportations russes sont dirigées pour 45% vers l’Europe et pour 13% vers la Chine, ces valeurs étaient de 46% et 10% en 2013
- L’Allemagne est de loin le 1er acteur dans les relations russo-européennes. Le poids de la France n’est que moitié de celui de l’Allemagne.
- Les tendances des dernières années montrent une importance croissante de la Chine – avide d’hydrocarbures qu’elle importe de Russie et d’Asie Centrale dans les rapports commerciaux avec la Russie.
Les échanges commerciaux entre Russie et UE, Chine, Japon , Corée en milliards $ source WTO
Pour la Chine le marché russe est marginal 1,7% de ses exportations et 2,6% de ses importations, l’inverse n’est pas vrai!
Les échanges commerciaux entre la Chine et ses principaux partenaires commerciaux.en milliards $ (WTO source)
Ce dernier tableau permet de replacer le rôle des USA pour la Chine, son principal client, et l’importance relative de la Russie avec la réalité des échanges commerciaux, sans ignore qu’ »un pays n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts », et que la notion de durée n’a pas la même signification aux USA – unité de 10 ans-, en Russie – unité de 100 ans -, et en Chine unités de 1000 ans-
Nature des échanges commerciaux entre la Chine et la Russie
Les échanges n’ont pas des natures équilibrées, matières premières pour l’un, produits finis pour l’autre.
Russie et Chine, des échanges agricoles très faibles.
La Chine est un grand importateur de produits agricoles, 4,25 millions t de blé et 100 millions de t de grain de soja et colza. 0,5% de ces produits viennent de Russie. Les seuls produits d’une certaine importance sont les huiles végétales produites par les Chinois dans les régions frontières avec la Chine.
Les échanges commerciaux agricoles en volume en valeur entre la Chine et la Russie en 2017
Que dire de voir la Chine, l’un des premiers importateurs du monde de blé – plus de 4 millions tonnes -, importer 18.000 tonnes de son voisin, Russie, le premier exporter mondial en 2017 avec 33 millions tonnes!
LES ENJEUX
La Sibérie constitue le pivot central de l’Eurasie, c’est une donnée géographique. Elle est trop riche pour ne pas être exploitée. Elle a trop de ressources énergétiques et minières connues et à découvrir, elle a trop d’espace agricole inoccupé, elle a trop d’eau douce, elle a trop de forêts gaspillées, elle a trop de richesses dormantes… et elle est vide d’habitants. La nature a horreur du vide, surtout quand les voisins, proches ou lointains, y voient une partie de leur avenir avec des solutions à leurs propres problèmes.
- Sera – t – elle demain le domaine de la future expansion des puissances asiatiques voisines sous l’égide de la Chine?
- Constituera elle le troisième pilier d’un pont reliant les USA et la Chine, le premier pilier étant constitué par l’Europe actuelle – à l’étroit dans son savoir -, et le second par la partie européenne de la Russie trop faible pour la mettre en valeur seule?
- La Russie réussira t elle à l’incorporer sous son contrôle, dans sa puissance économique et politique, et à faire enfin que le plus grand pays du monde en superficie comme en ressources minérales (eaux comprises) devienne la première puissance mondiale?
- La Russie joue son avenir avec la mise en valeur de l’espace sibérien, comme elle l’avait déjà joué il y a un siècle avec le pari « irraisonnable » de la construction du transsibérien. Le tsar et le capitalisme l’avaient fait.. et il a sauvé l’ Union Soviétique naissante et le communisme à partir des années 1920. Réussira t elle le pari sibérien de Poutine?
- Qui contrôlera la Sibérie, conduira le monde. Exploiter des richesses minérales – pétrolières et autres – aussi grandes soient elles, nécessite des investissements gigantesques qui n’ont de sens économique que dans la durée. On ne répétera pas l’histoire des emprunts russes pour mettre en valeur les richesses sibériennes. La puissance mondiale dominante – les USA -, comme l’Angleterre au dix-neuvième siècle pour le transsibérien, mettra tout son poids pour retarder cette mise en valeur. La Chine, pour des raisons inverses et quelquefois autant historiques que futuristes, fera l’inverse… et la Russie fera tout pour rester le maître du jeu. L’enjeu de la mise en valeur de la Sibérie dans le vingt et unième siècle est un défi majeur non seulement pour la Russie mais pour le monde. Les enjeux – espace, terres, eaux, sous sol – sont si importants que l’on peut dire aujourd’hui que celui qui en contrôlera le développement jouera un rôle majeur dans le monde de demain.
COMMENTAIRES PROSPECTIFS
La clé philosophique selon le Président Poutine: L’eurasisme et le « passionarnost »
- Les Russes ont toujours vécu à la croisée de deux civilisations en adoptant, à leur manière, les valeurs culturelles de l’Europe et de l’Asie, avec cette question posée sous diverses formes à travers les âges: « La Russie est elle européenne ou asiatique? ». Sans la Sibérie, elle est européenne, et on rejoint la philosophie de de Gaulle pour qui l’Europe s’étendait de l’Atlantique à l’Oural. Avec la Sibérie et l’exploitation de ses richesses, le schéma est tout autre.
- Dans le domaine culturel, si important en Russie, la guerre entre les pensées européenne et asiatique a toujours été vive. Sans entrer dans la polémique des pères fondateurs de la culture russe Pouchkine, Dostoievski ou Tolstoi, on rappellera les brèves déclarations de Tchekhov sur le peuple russe: « On a un amour-propre et une fatuité qui sont européens d’origine, et on évolue et agit comme les asiates.» et de Blok en 1918, avec un poème dédié aux Européens: « Vous êtes des millions. Et nous sommes innombrables comme les nues ténébreuses. / Essayez seulement de lutter avec nous ! / Oui, nous sommes des Scythes, des Asiatiques / Aux yeux de biais et insatiables ! »
- L’Eurasisme est une philosophie des années 20 reprise par L. Gumilev et de A.Dugin, où la Russie se définit comme un “troisième continent”, entre l’Europe et l’Asie. Par-delà sa situation géographique, la civilisation slave, singulière, irréductible à tout autre, a pour destin historique de s’opposer à la double tentation de l’Occident et de l’Orient. Le Président Poutine est attaché à ce concept, il le dit dans son adresse au Parlement en décembre 2012, en y ajoutant un terme de Lev Gumilev, le « passionarnost »: «l’avenir d’un pays ne dépend pas seulement de son potentiel économique mais de sa capacité à mobiliser son énergie interne – passionarnost – et d’assumer le changement ».
Il faudra mobiliser beaucoup de passionnarnost pour que la Sibérie donne une dimension nouvelle à la Russie, car elle peut gagner le pari impossible du développement de ces vastes territoires vierges et, avec ce succès, faire battre le coeur sibérien au son des trois cordes de la balaïka et non des deux cordes de l’erhu ou des cinq cordes du banjo!
Que faire? Le fameux « что делать »
de N. Tchernychevski, repris par Lenine
Il faut occuper durablement la Sibérie et renverser les tendances…
Avec la mine l’homme passe, avec l’agriculture, il reste.
- La logique de l’exploitation minière est simple, on investit pour extraire le minerai et après une transformation primaire on l’évacue par des réseaux – chemin de fer, navires ou tubes-. Quand la mine est épuisée, on va ailleurs.
- La logique de l’exploitation agricole est tout autre, il convient d’occuper l’espace pour y rester et retirer de la nature les produits nécessaires à la consommation humaine. L’agriculture investit pour que l’homme produise et se fixe, contrairement à l’exploitation minière.
La grande interrogation sur la Sibérie actuellement se pose
- au niveau du risque climatique – qui change les données de production dans le monde et risque de donner un avantage compétitif important et non prévisible au monde sibérien, car il dispose de terre et d’eau ,
- au niveau du risque de sa politique agricole qui actuellement manque de cohérence dans son approche, car on oublie que l’agriculture possède deux fonctions d’importance équivalente: occuper l’espace et produire! Aujourd’hui, on a une obsession: produire, et on oublie l’homme, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur l’évolution de la démographie sibérienne.
L’imprévisibilité des changements climatiques.
Les prévisions en matière de climat donnent naissance à d’innombrables spéculations. La Russie, si riche en scientifiques, académiciens et philologues, a tout imaginé dans les variations de ses climats. On retiendra ces quelques conclusions:
- Une augmentation de température de deux degrés conduira à des augmentations bien supérieures en Sibérie, jusqu’à neuf degrés de plus en Yakoutie. On prévoit alors deux conséquences:
- la Sibérie aura des conditions climatiques permettant de cultiver de 50 à 80 % des terres en Sibérie centrale, un déplacement des zones forestières vers le Nord, des conditions de vie meilleures pour les hommes, les animaux et les cultures annuelles
- le dégel du permafrost, ces sols gelés qui stockent actuellement 1400 gigatons de carbone (2 fois plus que tout le carbone dans l’atmosphère), ce qui relâchera des gaz (CO2 et CH4) en grandes quantités, ce qui contribuera à augmenter la température et provoquer les déplacements vus au point précédant. !
- L’évolution sera longue, mais se passera dans le vingt et unième siècle.
La solution au risque de désert démographique passe par une agriculture dynamique valorisant les richesses naturelles et exprimant les potentialités sibériennes.
- La baisse de population est le grand risque de la vaste Sibérie: qui l’occupera? Qui rappellera la phrase du Président Poutine: « Vous connaissez mon goût pour l’armée, mais je dois admettre que l’agriculture, c’est plus important que les fusils »,ce qu’on peut traduire par « la Russie est mieux protégée par ses paysans qui occupent ses terres que par l’armée qui en défend les frontières! »
- Ce ne sont pas les projets industriels d’extraction de minerais ou de pétrole avec les travailleurs migrateurs qui peupleront la Sibérie,
- Ni les agro-holdings avec leurs unités de 10.000 vaches, avec leur investisseurs qui confondent l’élevage laitier avec des usines à lait et, plus grave encore, oublient que l’herbe des plaines sibériennes (surtout du Sud) est de loin la meilleure matière première pour produire du lait et de la viande avec des bovins adaptés et en suivant des techniques parfaitement connues. Leur modèle est celui de la vache hollandaise élevée dans des étables climatisées dans les déserts saoudiens et nourris de luzerne séchée importée des USA, et d’orge importée de Russie, des vachers indiens et avec un suivi vétérinaire digne des hôpitaux les plus spécialisés. C’est une hérésie économique, écologique, une insulte à l’intelligence agronomique et mêle animale!
- Ni les élevages porcins et leurs projets de 700.000 porcs (en cours de mise en place), autre hérésie animale conjuguée à des risques sanitaires majeurs,
- Ni le programme présidentiel de distribution de 1 ha par demandeur qui en deviendra propriétaire s’il a mis en valeur son lot de terre dans les 5 ans, car ce programme ne produira rien et ne construira rien.
- Ceux qui semblent occuper l’espace rural sont les Chinois, discrets, intégrés qui, lentement et sûrement s’installent sur les terres frontalières louées sur long terme et cultivent et produisent!
- L’agriculture combine deux fonctions: produire et occuper l’espace rural avec des hommes formés, organisés et structurés pour recevoir les appuis scientifiques adaptés.
- L’agriculture dans le monde est une fonction d’hommes libres. Il n’y a pas eu de servage en Sibérie, le paysan sibérien était souvent un serf qui avait fui sa condition dans la Russie européenne, il était devenu un homme libre et il en est encore fier aujourd’hui! Le potentiel agricole humain en Sibérie est immense, c’est un capital à valoriser…
- L’agriculture est aussi une entreprise de transport, pour les productions comme pour les hommes. Sans route, il n’y a pas d’agriculture moderne.
- L’élevage bovin à viande en Sibérie possède un potentiel exceptionnel lié à l’existence de prairies naturelles riches. Les races françaises bovins à viande importées dans les années 2.000 ont donné d’excellents résultats techniques dans la région de Tioumen.
- Les variétés de plantes annuelles adaptées aux conditions sibériennes existent.
- Le marché chinois voisin est tellement attractif que les Chinois ont tendance à venir s’installer en Russie, provisoirement…(?) pour le marché chinois demandeur.
- L’Europe – la France en particulier – dispose d’hommes capables, avec du savoir mais sans terre. Ils sont prêts à s’installer et courir le risque du Far East comme leurs ancêtres sont allés courir le risque du Far West. C’était d’ailleurs la demande du Gouverneur de Tioumen – maintenant maire de Moscou – en l’an 2.000 quand il souhaitait recevoir plus de vaches françaises excellentes mais avec des jeunes éleveurs et entamer ces migrations paysannes de l’espoir de l’Ouest vers l’Est.
- Sans une politique agricole claire combinant ces facteurs de base, il n’y aura pas d’agriculture « occupatrice de l’espace sibérien » et on restera avec des îlots de vie autour des zones d’extraction minière ou énergétique dans un désert de toundra, taïga….en attendant l’arrivée des paysans chinois….
Les nouvelles relations pétrolières…: on passe de l’ouest à l’est ..en apparence???
Suivez les oléoducs, les gazoducs .. et vous aurez les directions des politiques sur les 15 prochaines années!
Jamais l’Europe n’a autant importé de gaz en provenance de la Russie.
La Chine s’approvisionne en gaz auprès du Turkménistan, en pétrole auprès de l’Iran, et comme le disait récemment un exportateur russe de céréales, il expliquait son échec en Chine par le fait que les hommes d’affaires et banquiers chinois suivaient plus que quiconque la politique des sanctions imposée par les USA à la Russie! « les banquiers chinois sont encore plus timorés que leurs collègues européens… »
Les grands projets d’infrastructure de la Sibérie, à l’Est et à l’Ouest
Les projets d’exportations de gaz de la Russie vers la Chine.
Les relations avec les voisins, leur évolution est elle prévisible?
- l’Europe: sa destinée est fondamentalement liée au destin de la Russie, malgré les crises, malgré les appels au large de l’atlantisme. L’ Allemagne, la France et la Russie sont de grandes nations continentales, à la différence des anglo-saxons qui sont maritimes. On ne peut pas et on ne veut pas penser que les destinées de ces peuples continentaux ne soient pas convergentes.
- Les nations asiatiques ont quelques litiges frontaliers qu’il semble difficile d’ignorer.
- La cas de l’île de Wrengel, longtemps contestée par les USA, est résolu depuis 1990;
- Le litige des Kouriles avec le Japon n’est pas résolu, et on ne voit pas de manière réaliste se dessiner une solution acceptable pour les deux pays. Les Kouriles ne sont pas l’Alaska russe, et il ne paraît pas raisonnable de penser que la Russie transférera sa souveraineté contre des investissements dans des projets de développement, même importants, en Sibérie ou dans l’Extrême Orient. Le réalisme finira peut être par dégager une solution maintenant les principes de souveraineté inalienable et les intérêts économiques des deux puissances asiatiques dans une dynamique de développement conjoint de la région.
- Le cas de la Chine est très différent. La présence russe en Asie est longue – 500 ans – avec l’arrivée de Moskivitine en 1639 sur le Pacifique et avec la fondation de Vladivostok en 1859 par le comte Nikolai Mouraviev Amourski, mais pour la Chine avec ses 4.000 ans d’histoire, c’est très court! La Chine a 4.300 km de frontière commune. D’un côté dans le province frontière de Heilongjiang, il y a 40 millions d’habitants, et de l’autre, sur la Sibérie avec 60% du territoire russe, il y a 39 millions d’habitants. L’Extrême Orient russe, seul n’a que 6 millions d’habitants soit 1,2 habitants au km2, et une terre riche par son sol et son sous-sol et une population en baisse. La Chine n’a plus de problème frontalier avec la Russie depuis 2.008.
- On apprend aux touristes chinois que Vladivostok et Irkoutsk étaient des villes chinoises
- La Chine investit dans les voies de communication reliant les villes chinoises aux grandes villes russes…Les Chinois venant en Russie parlent russe et exportent leurs produits agricoles bruts ou transformés (huile) en Chine en respectant les frontières et les règlements russes. Serait on en passe d’avoir une province russe peuplés de Chinois? C’est une possibilité, surtout que les Chinois occupent les terres en les cultivant.
En conclusion,
- La Sibérie sera t elle le coeur d’une Russie nouvelle, qui aura su la développer en mobilisant, sous le contrôle de l’Etat, les ressources financières gigantesques nécessaires à sa mise en exploitation, et les ressources humaines pour occuper son espace géographique?
ou
- « L’Extrême Orient» russe, le plus riche en ressources minières, le plus éloigné de Moscou, et le moins peuplé, passera t il sous le contrôle de la Chine dans la lenteur du temps long que l’Empire du Milieu maîtrise si bien?
Ou encore
- Constituera – t- elle le troisième pilier d’un pont entre les deux puissances mondiales dominantes – USA et Chine -, l’Europe en étant le premier pilier et la Russie européenne le second? La Sibérie se placerait alors dans la continuité historique des mouvements de population vers l’Est, et non dans la continuité mongole de ceux de Gengis Khan! Deviendra-t-elle alors le « Far East» qui fera rêver les Européens comme ils ont rêvé au « Far West » au XIX siècle?
Cette occupation de l’espace par des paysans chinois n’est pas sans risque à moins que, comme certains politologues l’imaginent, le contexte « état-nation-peuple » prenne un sens autre que celui communément admis, et on peut alors rêver à une autre utopie:
On se dirigerait vers un espace commun appelé Sibérie, avec des frontières qui ne sont pas contestées et des échanges croissants. Comme les Russes ne peuvent être éternellement les gardiens des ressources massives de la Sibérie avec des dépenses militaires grandissantes imposées par la conjoncture actuelle, ne pourrait on pas essayer de partager ces ressources au profit de ceux qui les exploitent, éviter les guerres, et inventer un nouveau concept du « vivre ensemble » autour de la même table, sans drapeau nation, un « vivre ensemble » à l’initiative et sous le « contrôle » du pays d’accueil, la Russie? UTOPIE, bien sûr.
Maurice Rossin, Asie21