L’étonnante présentation au Groenland de la future station de réception au sol de Beidou-3, système dual de télédétection spatiale
Pékin a mis en œuvre une communication très maîtrisée (exoprop) à propos de l’installation à Nuuk, la capitale du Groenland, d’une station nécessaire au déploiement mondial de Beidou-3/COMPASS, le GPS chinois.
Beijing has implemented a very controlled communication (exoprop) about the installation in Nuuk, the capital of Greenland, of a station necessary for the worldwide deployment of Beidou-3 / COMPASS, the Chinese GPS.
L’origine
Une coopération interuniversitaire pluriannuelle entre, d’une part, l’Institut de recherche sur le changement climatique et les sciences du système terrestre de la Beijing Normal University, BNU, et d’autre part, deux organismes situés à Nuuk : l’Institut des ressources naturelles et Tele-Post (l’organisme public de la poste, des télécommunications et du service de la radio côtière pour les communications de sécurité et d’urgence maritimes). Dans ce cadre, BNU offre au nom du ministère chinois des sciences et de la technologie une carte satellite à haute résolution de son territoire au gouvernement du Groenland – lequel ne dispose que de deux spécialistes en télédétection.
L’objectif
La coopération débouche sur un projet d’installation hors de Chine d’une station chinoise de réception des données satellitaires (notamment une antenne de réception satellitaire VHF implantée sur le terrain de Tele-Post). Son lancement, le 30 mai 2017, donne lieu à un chef-d’œuvre de « camouflage » dont l’objectif est de marquer l’étape initiale d’un projet crucial pour la couverture mondiale de Beidou, informer l’opinion publique chinoise de cette avancée sans toutefois attirer l’attention du gouvernement du Groenland ni surtout de Copenhague. Qu’on en juge…
Le décor
Le lieu sera non pas Nuuk, lieu de la future station et où il aurait été difficile de passer inaperçu, mais à 317 km de là, à Kangerlussuaq (Sonder Strömfiord en danois), un village 500 habitants, ancienne base aérienne américaine dotée d’un port et d’un aéroport, mais sans lien routier avec la capitale. Mieux encore, le lieu des festivités est une salle d’un excellent restaurant, dans un site isolé à 4 km de l’aéroport. Prestement déroulée, l’Université en paravent comme le montre la photo, une bannière annonce la Cérémonie de lancement du projet de station au sol de télédétection du Groenland [格] 遥 遥 [感] 卫星 [地] 面 站 启动 [仪] 式. La cérémonie sera très courte, 30 minutes environ, à midi, juste avant le déjeuner.
Les acteurs
Chine. Non pas le président de la BNU, mais Cheng Xiao, directeur de l’Institut de recherche sur le changement climatique et les sciences du système terrestre de la BNU, accompagné d’un de ses collègues. Cheng présente brièvement les activités générales de son Institut dans l’Arctique, notamment au regard du changement climatique, avant d’évoquer le projet de station de Nuuk, insistant sur son importance pour « servir la population du Groenland ».
Groenland. : non pas le directeur de l’Institut des ressources naturelles mais son représentant de 3e niveau, Karl Zinglersen, responsable du système d’information géographique et expert de la base de données au sein de l’un des quatre Départements scientifiques de l’Institut, celui de l’environnement et des ressources minérales et, non pas le président de Tele-Post mais son directeur commercial, Flemming Enemark.
Petite figuration : de gauche à droite : Karl Zinglersen, Cheng Xiao, Flemming Enemar et un collègue de Cheng (Source : ScienceConnect.cn).
Les participants. Hormis les quatre « acteurs » chinois et groenlandais de troisième rang susnommés, l’assistance est composée exclusivement d’une centaine de touristes chinois, une élite d’entrepreneurs et de responsables triés sur le volet, arrivés en avion de Copenhague en fin de matinée, avant de repartir, ayant déjeuné, en hélicoptère vers un palace flottant, à l’ancre dans le port de Kangerlussuaq, pour une croisière d’une semaine dans l’Arctique. Ce seul évènement auquel ils auront participé au Groenland est mentionné dans le document promotionnel du voyage.
Mais, fondus dans la masse des touristes, deux personnalités connues des médias chinois, valent par leur seule présence (ils ne prennent pas la parole), le contre-amiral Chen Yan, ancien commissaire politique de la Flotte de la mer de Chine méridionale, et Zhao Yaosheng, une importante personnalité du système Beidou, ingénieur de formation militaire, membre du parti et ancien PDG de BDStar Navigation, première compagnie autorisée à utiliser Beidou à des fins civiles. Pour l’opinion publique chinoise, leur simple présence lors de cette cérémonie de lancement institutionnalise l’événement et témoigne de l’importance de l’Arctique pour l’intérêt national de la Chine. Couverture médiatique assurée par les organes ad hoc du gouvernement chinois – aucun média local.
Le public groenlandais et ses représentants élus n’ont en effet appris l’existence du projet qu’après son lancement. C’est en particulier le cas d’Aaja Chemnitz Larsen, présidente du comité des affaires étrangères et de la sécurité du parlement du Groenland. Tout en mettant en garde contre la crainte systématique de tout projet chinois, elle s’inquiète de ce que le gouvernement groenlandais n’ait pas été informé de l’évènement. Elle regrette avoir été tenue dans l’ignorance de ses conditions, notamment le type de données traitées par la station et leur accès pour le Groenland et le Danemark.
Au Danemark, le contre-amiral Nils Wang, directeur du Collège de défense de ce pays, un expert danois – malgré son patronyme – reconnu de la sécurité dans l’Arctique n’est encore moins au courant de l’événement. Il déclare que le royaume doit avoir un accès complet aux données brutes reçues par la station chinoise. Selon lui « une telle station au sol n’est pas nécessairement un problème en soi si les données qu’elle recueille ne servent qu’à la recherche scientifique et sont partagées ouvertement entre les partenaires de l’accord, mais en l’absence d’un accord clair sur l’accès aux données par le pays hôte, une telle station peut évidemment être utilisée pour la collecte de renseignements en vue d’objectifs militaires ».
Un double objectif. La combinaison du lancement du projet avec une croisière « fournit » un public chinois d’agents d’influence conviés à un événement bilatéral apparemment officiel, tandis que son intégration dans un voyage touristique de routine passant en outre à l’écart de la capitale, évite d’attirer la presse groenlandaise. Les deux hauts responsables cités, venus et repartis comme simples touristes, ne suscitent aucune attention indésirable.
Réseau mondial des stations terrestres de contrôle du système Beidou. Mises à part des allusions non recoupées à trois pays : Thaïlande, Finlande et Géorgie et exception faite du Groenland et de la Tunisie, la recherche relative aux stations du futur réseau terrestre de contrôle est restée infructueuse.
Le Centre sino-arabe BDS/GNSS, le premier du système de navigation et de positionnement par satellites chinois BeiDou, a été officiellement inauguré mardi 10 avril 2018 en Tunisie.
Exoprop
L’exoprop qualifie le langage d’un État-parti autoritaire qui attache une grande importance à la gestion de sa communication. Ici, les médias chinois magnifient les activités polaires dans leurs éditions en langue chinoise et les minimisent dans les versions destinées à l’étranger. Ces dernières sont destinées aux interlocuteurs étrangers, universitaires ou fonctionnaires, sans expertise chinoise. Elles ont cependant pour effet de susciter la méfiance chez les autres, en suggérant que la Chine veut cacher quelque chose, notamment le caractère dual des technologies concernées.
Groenland : 56 000 habitants, 17 villes et villages. Capitale : Nuuk, 16 000 habitants.
La Chine s’intéresse au Groenland notamment pour les réserves estimées de rang mondial de ses terres rares (2e, derrière la Chine) et d’uranium (3e). Le groupe minier chinois General Nice Group a tenté en vain d’y acheter la base navale américaine désaffectée de Grønnedal, le gouvernement danois s’y étant opposé en 2017.
Source principale : https://jichanglulu.wordpress.com/2017/12/14/greenland-satellite/
Rémi Perelman, Asie21
Voir également
- La politique arctique de la Chine (China’s Arctic Policy)
-
La Chine dans la géographie de l’Arctique – China in the geography of the Arctic
- Asie21 n° 49, mars 2012, Daniel Schaeffer : Le Danemark, tremplin de la Chine vers les terres rares de l’Arctique
- Asie21 n° 51, mai 2012, Rémi Perelman : Chine, ne pas perdre le Nord
- Asie21 n° 63, juin 2013, Jean Perrin : Chine-Russie-Islande, Conseil de l’Arctique
- Asie21 n° 109, septembre 2017, Rémi Perelman : Le développement malaisé de l’Arctique russe