Birmanie : chute d’une icône

La presse internationale relate à l’envi la chute de popularité de Mme Aung San Suu Kyi dans l’opinion internationale en raison de son silence devant l’expulsion sanglante de la plupart des Rohingyas musulmans de l’Etat (bouddhiste) de l’Arakan par l’armée birmane.

Pourtant, cette popularité est peu affectée dans l’opinion birmane elle-même. Il faut se rappeler que « la Dame » n’est ni présidente ni premier ministre mais « conseillère d’État » – titre créé pour elle – et n’a constitutionnellement pas d’autorité sur l’armée. Par ailleurs, le cas des Rohingyas est particulier parmi les ethnies présentes sur le territoire de l’Union de Birmanie.  À la différence des 135 peuples reconnus comme minorités nationales, c’est-à-dire autochtones ou présents depuis des siècles et plus ou moins intégrés, souvent rebelles aussi, dans la vie nationale, les Rohingyas sont perçus par les autorités et les autres ethnies non comme une « minorité » mais comme une communauté étrangère amenée du Bangladesh voisin (et musulman) par le colonisateur britannique au 20ème siècle. C’est le point de vue de « la Dame » elle-même, « bonne Birmane », globalement populaire dans les minorités ethniques et fille de son père le général Aung San, artisan de l’indépendance. À ce « péché originel », les Rohingyas ajoutent leur appartenance à l’Islam, et le fait qu’ils sont devenus une proie facile pour les djihadistes, malgré les dénégations ou réserves gênées de beaucoup de media ou organisations diverses, mais comme en témoigne la récente et spectaculaire manifestation en costume islamique (burkhas, etc) dans le plus grand centre de réfugiés du Bangladesh. Ce n’est pas leur rendre service que d’occulter cette réalité alors que la nation  birmane s’identifie au bouddhisme. Les autorités birmanes rappellent aussi que l’expulsion massive et violente de ces derniers mois, qui n’honore pas l’armée nationale, est la conséquence des attaques du « Front de libération des Rohingyas » contre des postes de police et des postes -frontière en 2017, qui ont fait des dizaines de morts. Refuser la nationalité et le droit de séjour permanent à des personnes dont  beaucoup sont nées sur place est choquant pour nous Occidentaux, dont les nations sont fondées en général sur une volonté historique de vivre ensemble (cf. la Fête de la Fédération en 1790 en France) et sur le droit du sol. Ce n’est pas le cas en Birmanie et dans beaucoup de pays d’Asie qui fonctionnent ainsi sur une base ethnique. 

Enfin, il est un peu injuste de brûler ainsi ce qu’on a adoré en vouant aux gémonies, dans le confort de nos bureaux parisiens ou new-yorkais, celle qui a passé quinze ans de prison ou d’assignation à résidence et échappé à des tentatives d’assassinats pour rétablir la démocratie, ouvrir l’économie et libérer la parole et les media.  Elle y est parvenue. Cela justifie déjà son Prix Nobel. Le drame des Rohingyas est aussi le sien. Elle a déjà évoqué un retour partiel des exilés selon des critères précis.  Elle n’a pas fini sa mission et ce qui est sûr en tout cas, c’est que si elle s’opposait frontalement aux militaires, ceux-ci ne se gêneraient pas pour la destituer comme ils l’ont déjà fait.  Ce n’est sûrement pas en l’y encourageant qu’on aura œuvré pour les droits de l’Homme.        

Jean Hourcade Asie21.

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