Identité multiple. Dans les pas de George Eliot

George Eliot et les Juifs

En ce XIXe siècle, les Juifs, chassés de plusieurs pays d’Europe, affluent en Grande-Bretagne. Ils sont plus ou moins bien perçus, les uns en raison de leur réussite fracassante, les autres à cause de leur pauvreté.

Une petite fille grandit sagement dans une famille modeste de la campagne anglaise. Rien n’était fait pour la distinguer de son entourage sinon sa boulimie de lecture et son intelligence hors norme ; dès son plus jeune âge elle apprend des langues telles que l’allemand, le latin et le grec. Mary Ann Evans, c’est son nom avant de devenir la célèbre romancière George Eliot, va passer des années à traduire de l’allemand en anglais des textes ardus.

Mary Ann Evans se nourrit également de lectures concernant les religions ; très tôt, elle prend ses distances envers les croyances familiales et devient agnostique mais elle conservera toute sa vie un intérêt particulier pour le fait religieux, tout en pointant les méfaits des dogmatismes et le danger des doctrines qui ne font que diviser les hommes.

Lorsque vers dix-huit ans, elle va à Londres pour quelques jours avec son frère, c’est pour lire la Bible, enfermée dans sa chambre. Plus tard, en Allemagne, elle prend conscience des problèmes qui se posent aux Juifs.

Lorsqu’on lui prête Le livre des chants de Heine, elle lit à haute voix un poème qui évoque les problèmes entre juifs et chrétiens. Des moustiques, « odieux comme les Juifs au long nez » ont piqué Dona Clara qui déclare son amour au beau chevalier qui ressemble à Saint-Georges : « oui, je t’aime, mon bien-aimé, je te le jure par le Christ, que les Juifs, maudits de Dieu, ont lâchement crucifié jadis » . Au petit matin elle apprend que son amant n’est autre que le fils du grand et illustre rabbin Israël de Saragosse. Pourquoi Mary Ann Evans donne-t-elle la préférence à ce poème ? On sent une empathie très forte pour les Juifs d’Allemagne. Elle est mise en présence des malheurs de Rahel Varnagen qui avait essayé en vain de sortir de sa condition de juive allemande. Heine sera l’autre exemple concret 

Progressivement, elle va s’intéresser à la situation des Juifs de plus en plus nombreux en Grande-Bretagne, de ceux qui ont réussi à se créer une fortune importante et qui attisent la jalousie des Britanniques mais aussi de ceux qui sont dans la misère. Elle va découvrir toute une classe moyenne industrieuse. Son intérêt commence par une diatribe violente contre Disraeli, alors Premier ministre. Elle vitupère contre ses romans qu’elle a tous lus.

Partout, dans ses propres romans, Mary Ann Evans devenue George Eliot va d’abord introduire des personnages qui n’ont qu’une parenté lointaine avec un membre juif de la famille. Tout ce qu’elle lit et tout ce qu’elle voit la conforte dans le sentiment qu’il faut trouver une solution. Alors vient le magnifique roman Daniel Deronda que les Anglais de l’époque n’ont pas su apprécier. Daniel part en Palestine pour y fonder une nation pour les Juifs. La dernière intervention littéraire d’Eliot sera une défense sans faille des Juifs et la volonté de créer une nation où ils seraient protégés.

Suivre George Eliot dans le cheminement de sa pensée, c’est retrouver toutes les questions qui agitaient la Grande-Bretagne et l’Europe au XIXe siècle. Identité multiple. Dans les pas de George Eliot nous introduit dans l’univers fascinant des méditations et des réflexions d’un auteur qui, à juste raison, demeure l’un des très grands écrivains de l’ère victorienne.

Hubert Dolonac

Vient de paraître

Identité multiple. Dans les pas de George Eliot,   
par Jacqueline Lernie-Bouchet, Éditions l’Harmattan,  31décembre 2018.

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