Loin de racheter le monde, la Chine investit moins : une tendance structurelle ?

Mike Poon, Pdg du groupe chinois Casil Europe, qui détient 49,99 % des parts de l'aéroport de Toulouse-Blagnac depuis 2015, va les vendre au groupe français Eiffage. (Source : La Tribune)
Mike Poon, Pdg du groupe chinois Casil Europe, qui détient 49,99 % des parts de l’aéroport de Toulouse-Blagnac depuis 2015, va les vendre au groupe français Eiffage. (photo source : La Tribune)
Ces quarante dernières années, l’émergence économique de la Chine a fait craindre un véritable raz-de-marée. Ses produits « envahissent les marchés », ses entreprises « rachètent le monde » et l’empire du milieu devient le « banquier du monde ». Sur ces trois fronts, la vague chinoise est en plein reflux.

LA PART DE MARCHÉ DES EXPORTATIONS CHINOISES N’AUGMENTE PLUS

En 1980, lorsque les États-Unis ouvrent leur marché aux produits chinois, Pékin exporte alors autant que la Corée du Sud, vingt fois moins peuplée à l’époque. Vingt ans plus tard, lorsqu’elle adhère à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la part de la Chine dans les exportations manufacturières mondiales a sextuplé, grimpant de de 1 à 6 %. En 2015, elle atteint 19 %. Depuis, elle a légèrement diminué.
Cette trajectoire rappelle celles du Japon et de l’Allemagne à partir de la Seconde Guerre mondiale. Très basse au début, la part de ces deux pays dans les exportations manufacturières mondiales a plafonné à 16 % vers 1985. La Chine a-t-elle atteint aujourd’hui un « plafond de verre » ? A la veille de la Grande Crise de 1929, la part de marché des États-Unis (18 %) et de l’Allemagne (16 %) approchait de celle du Royaume-Uni (20 %). Les Anglais avait dominé les exportations manufacturières depuis le XIXème siècle de même que les Américains les ont dominé pendant l’après-guerre, jusqu’à être dépassés par les Allemands dans les années 1960, puis par les Japonais et les Chinois.

BAISSE DES INVESTISSEMENTS ET CROISSANCE DES DÉSINVESTISSEMENTS

Entre 2010 et 2018 inclus, la Chine a été le troisième investisseur à l’étranger en matière de flux derrière les États-Unis et le Japon, selon la CNUCED qui reprend les statistiques chinoises. Après avoir atteint 178 milliards de dollars en 2016, les investissements directs à l’étranger (IDH) de la Chine diminuent : 128 milliards en 2018 et 50 milliards au premier semestre 2019. Comment expliquer cette baisse ? Selon le ministère chinois du Commerce, les trois quarts des IDE du pays se dirigent vers Hong Kong, les îles Caïmans et autres paradis fiscaux, d’où une grande partie repart vers d’autres destinations. Pour contourner l’absence de données sur la géographie des IDE chinois, des bureaux d’étude – Rhodium pour les États-Unis et l’Europe, American Entreprise Institute pour l’ensemble du monde – ont construit de nouvelles bases de données. Certes imparfaites, elle permettent néanmoins un suivi des IDE de la Chine et montrent qu’ils s’étaient redéployés des pays émergents vers l’Amérique et les pays européens. Mais ce mouvement s’est arrêté : les IDE chinois se sont effondrés aux États-Unis, dégringolant de 54 milliards de dollars annoncés en 2017 à 2,5 milliards au premier semestre 2019. De même en Europe, ils ont chuté de 80 % en 2019.
La guerre commerciale et les réticences européennes ne suffisent pas à rendre compte de cette baisse. Elle est également la conséquence des mesures prises par les autorités chinoises à partir du dernier trimestre 2016 pour freiner les sorties. Autre facteur d’explication : la forte baisse de l’excédent de la balance des paiements courants qui limite la marge de manœuvre de la Chine.
La diminution des IDE s’accompagne de la montée des désinvestissements. A partir de 2015, les entreprises chinoises ont été saisies d’une véritable boulimie d’acquisitions à l’étranger : 103 milliards de dollars en 2015, puis deux fois plus en 2016. Les autorités chinoises ont réagi parfois violemment pour freiner ce mouvement qui pouvait masquer des fuites de capitaux – le PDG d’Anbang qui avait racheté le Waldorf Astoria a écopé de 18 ans de prison. Depuis deux ans, les entreprises chinoises multiplient les cessions d’actifs – Casil qui avait acheté l’aéroport de Toulouse l’a revendu. En 2019, selon Dealogic, les désinvestissements aux États-Unis ont dépassé les acquisitions.

L’ÉVOLUTION DES PRÊTS

Les IDE ne forment qu’une partie des sorties de capitaux de la Chine, devenue le créancier de très nombreux pays émergents. L’Exim Bank et la China Development Bank prêtent plus que l’ensemble des banques de développement. À Pékin, le gouvernement dispose de toutes les informations sur les activités de ces banques d’État. Cependant, n’ayant adhéré ni au Comité de Développement de l’OCDE ni au Club de Paris, il n’est pas tenu de les publier. Depuis 2015, il renseigne la Banque des règlements internationaux sur le montant agrégé de ses prêts. Rien sur leur répartition. le pays craint-il que l’analyse de ces données permette de cerner sa stratégie d’influence ? Prête-t-il plus aux pays riches en matières premières ? Ou davantage aux pays qui importent plus de produits chinois ? Cette opacité crée d’autres problèmes : par exemple, lorsque Pékin annonce un doublement de son aide à l’Afrique, les pays africains qui savent ce qu’ils reçoivent et non ce que reçoivent les autres, attendent tous un doublement !
Que financent ces prêts ? Une part concerne la construction d’infrastructures par des entreprises chinoises payées en yuans par les banques chinoises, elles-mêmes remboursées par l’exportation de pétrole ou de produits miniers du pays emprunteur. Ne donnant lieu à aucun flux financier entre la Chine et l’emprunteur, ces prêts sont parfois ignorés et on les découvre à l’occasion d’une crise. Ainsi, les prêts chinois au Venezuela étaient remboursés par des livraisons de la société pétrolière étatique PDVSA. À cause de la crise, cette dernière n’a pas pu respecter ses engagements. Résultat : sa demande de dollars à la Banque Centrale du Venezuela pour acheter du pétrole a aggravé la pénurie de devises.
Après avoir compilé plusieurs milliers de prêts chinois depuis 1949, représentant un encours de 530 milliards de dollars, Sebastien Horn, Carmen Reinhart et Christof Trebesh montrent que 200 milliards de dollars, soit près de la moitié de l’encours, sont ignorés par les institutions financières internationales. Une situation inquiétante car les conditions de ces prêts (taux d’intérêt, délai) sont plus proches des prêts commerciaux que des prêts des banques de développement.
En fin de compte, il est difficile de connaître l’évolution des prêts chinois, compte tenu de l’incertitude qui les entoure. Cependant, de nombreuses initiatives fondées sur le suivi de la presse ou la mobilisation de la société civile ont permis la construction de bases de données. Toutes signalent que le montant de ces prêts diminuent : divisé par 2,5 vers l’Amérique latine entre 2015 et 2018, divisé par 2 vers l’Afrique subsaharienne entre 2014 et 2017. Selon l’American Economic Enterprise, le montant des contrats de construction à l’étranger (que financent des crédits) aurait diminué de moitié entre le premier semestre 2018 et le premier semestre 2019.
Ces évolutions sont-elles de nature structurelle ou conjoncturelle ? Probablement structurelle dans le cas du commerce, car l’érosion de la part de la Chine dans les exportations accompagne le rééquilibrage de l’économie vers la demande domestique. Plus conjoncturelle dans le cas des IDE et des prêts, car la baisse de l’excédent des paiements courants n’est pas le résultat de la réduction de l’excédent commercial, mais de l’envolée des dépenses des touristes chinois à l’étranger. Des restrictions (impopulaires) à ces sorties peuvent regonfler l’excédent et redonner plus de carburant aux IDE chinois.
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21

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