1346: la peste noire en route pour l’Europe
selon Le léopard de Kubilaï Khan de Timothy Brook.
Quand Djanibeg, khan de la Horde d’Or descendant direct de Genghis khan, décide de corriger un marchand vénitien qui a insulté un prince mongol en 1342 à Tana, petit port sur le Don, personne ne peut imaginer alors que, 4 ans plus tard, cet incident changera la face du monde, entrainant la diffusion de la peste qui tuera 4 Européens sur 10 en 1.000 jours. Quand environ 7 siècles plus tard, la Chine, l’atelier du monde tousse et se met en arrêt, à cause du coronavirus inconnu il y a encore 2 mois, la santé de l’économie mondiale est atteinte d’une fièvre aux conséquences imprévisibles. La finance déteste les incertitudes et les affaires du monde sont fragiles: célérité rime avec dangerosité.
Timothy Brook, dans son dernier livre (« le léopard de Kubilaï Khan »), suit les péripéties du bacille de la peste en Asie centrale et en particulier en Chine, longtemps soupçonnée d’être son berceau d’origine. Les routes mongoles ou routes de la soie, ont permis aux navires italiens, de diffuser la peste à travers l’Europe, elles sont alors devenues routes de la mort.
En 2020, l’Italie est devenue, comme en 1346, le premier état européen touché par cette nouvelle épidémie mystérieuse venue d’Asie
La pacification autoritaire avec l’ouverture de voies de commerce avait permis aux Mongols de conquérir le monde. Selon Timothy Brook, l’explosion des échanges qui en suivit fut une des causes de leur effondrement Et si l’histoire ne se répète jamais, comparaison n’est pas raison et un bacille (ou bactérie) n’est pas un virus.[1] Il existe cependant des similitudes, au moins géographiques, entre les deux pandémies de Yersina plagis et du COVID-19. L’étude de T. Brook permet des réflexions originales, dans le nouveau contexte sanitaire de 2.020.
[1] Le bacille est un être vivant constitué d’une unique cellule entourée d’une paroi et dépourvue de noyau, il peut être bénéfique ou à l’origine de maladies graves. Le virus (« poison » en latin), vingt fois plus petit qu’une bactérie, représente un agent infectieux réduit à son strict minimum : une capsule en protéine ou capside protégeant un brin de matériel génétique codant pour lui-même et la capsule. Pour se multiplier, il doit rentrer dans une cellule hôte et parasiter ses fonctions de réplication. L’antibiotique agit contre la bactérie, il est inactif contre le virus.
La note qui suit, analyse et complète le travail de T. Brooke selon deux approches , l’une historique, et l’autre scientifique. Elle se conclut par quelques considérations sur les pandémies et la fragilité de notre monde.
Carte : source Emerging infectious deseases
L’approche historique
L’Europe a été longtemps traumatisée par les ravages de la peste noire. Il y a eu une obsession à identifier le mal et de grandes réticences à en endosser l’origine, en particulier en Chine. Les données historiques sont essentielles mais fragiles. Les recouper constitue un art difficile et réinventer l’histoire par ses conclusions est un art dangereux. En tirer des conclusions et imaginer le futur à partir de ses incertitudes, c’est soutenir la gageure de la prévision.
Les sources de l’étude de Brook sont de 2 ordres:
- Les écrits des grands voyageurs – l’Italien Gabriele de’ Mussis (1280-1356), l’historien cairote Taqi al-Din al-Maqrizi (1364-1442), le voyageur marocain Ibn Batutta (1304-1368) et l’historien syrien Ibn al Wardi (1292 -1349)-. Comme il n’existe pas de documents ou de rapports de voyage écrits par des Chinois, la conclusion tirée par les historiens de la Chine est que, l’absence de documents en chinois était une bonne raison de penser que la Peste noire n’avait pas mis les pieds en Chine.
- L’étude, en particulier dans les archives chinoises des documents indiquant les grandes catastrophes humanitaires des années 1232-1400 et, selon les descriptions relevées (nombre de morts, rapidité) celles dont que la peste pourrait en être la cause.
L’approche historique est classée en 3 périodes:
- L’année pivot 1346: le passage de la peste de l’Asie à l’Europe par les marins italiens,
- La période antérieure à 1346: le drame de 1346 s’était-il déjà produit antérieurement? Peut on identifier la date du début des épidémies?
- La période postérieure à 1346: jusqu’à quand des épidémies similaires ont elles continuer en Chine?
1346: date pivot de première guerre bactériologique de l’humanité avec la peste à Caffa (base: chronique de Gabriele de’ Mussis,)
- Tanais – ou Tana, plus tard Azov- , fondée sur le Don par des colons de Milet au V siècle avant JC, est longtemps restée le point de rencontre entre les commerçants méditerranéens (grecs puis vénitiens et génois), et les populations d’Asie Centrale et de Chine que Genghis Khan et ses successeurs ont soumises à la loi mongole à partir du début du dix-huitième siè Les Vénitiens pour se soustraire au châtiment des Mongols s’enfuient à 300 miles, à Caffa, en Crimée -aujourd’hui Théodosie- port tenu par les Génois.
- Le siège de Caffa commence en 1342 et s’éternise quand en 1346, un mal mystérieux décime les troupes assiégeantes mongoles. Avant de lever le siège, les Mongols constatant qu’ils ne pourraient prendre Caffa, lancent avec des pierrières leurs nombreux cadavres atteints de ce mal noir mystérieux: ils catapultent la peste. C’est, selon selon Mark Wheelis[1], la première guerre bactériologique. Le commerce, avec en premier les bateaux italiens, en assure la diffusion et la disperse tout autour de la Méditerranée en 1347-48. Les rongeurs – rats, et gerbilles (Rhombomys opimus)- , avec leurs puces sont les vecteurs principaux auprès de populations européennes affaiblies par les guerres incessantes et surtout par le refroidissement climatique des années 1340-1350, début du « Petit Age Glaciaire », PAG[2].
En 1000 jours, l’Europe perd 40 % de sa population, sans oublier le pourtour méditerranéen et la péninsule arabique qui est également touché. La peste étend ses ravages entre les deux capitales religieuses, du sud – La Mecque – au nord -Nidaros (Trondheim), royaume de Norvège-.
La période antérieure à 1346 ou la recherche de l’origine du mal : Ghengis Khan, Kokonor et la marmotte de l’Himalaya…
1205-27 Kokonor ou lac Qinghai 1232: Kaifeng
1307-13: littoral du Zhejiang
1344-45: Fengxiang (ouest deXian-), Fuzhou Shaowu, Yanping, Dinzhou, Jinan.
Carte de l’auteur Timothy Brook
[1]Mark Wheelis, microbiologiste de l’université de Californie à Davis.
[2]Le Petit Age Glaciaire est une période de refroidissement de 5 siècles avec 3 périodes très froides: 1303 -1380, le dernier tiers du seizième siècle et 1815 -1860
En remontant le temps à partir de la date pivot 1346, on note que durant les années précédant 1346 apparaissent des épidémies aussi brutales que soudaines.
- En 1344-45, les archives chinoises notent plusieurs épidémies à Fengxiang , à Fuzhou, à Shaowu, à Yanping, à Dinzhou,et à Jinan.
- En 1344 Taiyuan et Ouest de Fengxiang, sont ravagé
T. Brook conclut que l’épidémie de Caffa, origine du drame européen de 1348-1350, ne peut venir de la Chine, car il est fort improbable que la peste ait pu quitter les zones dévastées durant les années 1344/45 pour se retrouver, par voie terrestre à 6000 km à Caffa en 1346, son point de sortie vers l’Italie.
Mais d’autres catastrophes ont été notées auparavant, comme :
- 1331, la ville de Hengzhou, qui a vu sa population quasi détruite,
- 1307-1313, Shaoxing sur le littoral du Zhejiang, qui subit une épidémie massive qui tue la quasi totalité de la population.
Mais il faut remonter à 1232 et aux années précédentes, pour trouver des informations troublantes
- Fin 1231, le khan Ögödei, fils et héritier de Genghis Khan, ,remporte une série de victoires faciles. Il passe alors la muraille de Chine en vue de prendre Kaifeng, la capitale du grand état Jin, quand brusquement il tombe malade. Les chamanes, qui le guérissent, accusent les destructions mongoles généralisées qui auraient offensé « les terres et les rivières des Cathayens[1] » . Ögödei guérit.
- en avril 1232, les troupes mongoles assiègent Kaifeng, et 6 semaines plus tard, une épidémie se déclare, identique à celle qui ravagera Caffa 116 ans plus tard. Aux portes de Kaifeng, « on a sorti 900.000 cadavres de la ville en 50 jours »… et sans compter les trop pauvres qui ne pouvaient payer leur enterrement….
- 1205-1227, Genghis Khan finit au bout de 4 campagnes par annihiler les irréductibles Tanguts, (Xi Xia pour les Chinois), un groupe ethnique du Nord Ouest de la Chine établi sur le plateau tibétain. Les massacres si situent autour de Kokonor,. un lieu qui se trouve être l’habitat naturel des marmottes de l’Himalaya(voir infra), les hôtes naturels du bacille de la peste.
- Genghis Khan meurt.
- On ne note plus rien avant cette date : le point de départ se situerait dans la région des Tanguts?
La peste serait elle la vengeance du fier Tangut par la marmotte, son animal de compagnie ?
[1]les Mongols désignaient les Chinois du nord « Khitat », car ils avaient été autrefois les sujets du grand état de Khitan, ils les appelèrent ensuite « Han ».
La période postérieure: 1346 – 1362: vers la fin des épidémies avec le retrait mongol et la fermeture chinoise avec l’arrivée des Ming
À partir de 1352, la Chine subit au moins une épidémie par an (sinon 2) pendant 11ans
- 1352 Shanxi 1353: Yangtsi 1354 Beijing (yili)
- 1356: Henan
- 1357 et 59: Shandong
- 1358 Shanxi et nord de Guangdong
- 1360 Shaoxing (déjà touchés en 1307 et 1313) 1362 Shaoxing
- Après 1362, les épidémies se raréfient avec la fin de la domination mongole de la Chine (dynastie des Yuan 1279-1368) et l’arrivée de la dynastie des Ming.
Les Mongols, par les échanges ont ils été indirectement les facteurs de propagation de la peste en Chine? La question reste ouverte, d’autant plus que les épidémies se raréfient avec le contrôle strict des mouvements des hommes et des produits durant la période Ming qui suit la domination mongole des années 1225-1368.
L’approche scientifique
La peste a été longtemps considérée comme un fléau de Dieu, ou un malheur apporté par l’étranger. En conséquence, on passe allègrement des prières et incantations à Dieu, au massacre de l’autre – le bouc émissaire, l’étranger -, et à commencer en Europe par le juif
De façon incompréhensible et imprévisible, elle apparait et disparait après avoir accompli son oeuvre de destruction, tuant de 30 à 90% des habitants d’une ville., par ci, par là. Les régions épargnées sont les zones sans communication, comme l’intérieur de la Norvège.
Un parasite bactérien,
- La peste est un parasite bactérien
Les rongeurs terrestres, en sont les hôtes, les puces étant les vecteurs de passage entre ces hôtes. Il a fallu attendre l’épidémie de peste de Hong Kong en 1894 avec Alexandre Yersin, biologiste suisse pastorien, pour en identifier l’origine, le bacille Yersinia pestis. Le bacille introduit dans le corps humain par la puce, provoque une pathologie, les cellules de la peste introduites se reproduisent dans le système sanguin et dans les poumons de l’individu si rapidement que les protections naturelles sont incapables de lutter et le système lymphatique s’effondre, entrainant la mort du patient. L’humain, à la différence du rat, n’est pas un hôte acceptable, car non durable, pour les bacilles, il meurt trop vite.
- Wu Lien-the découvre que la marmotte de l’Himalaya est l’hôte naturel de la peste
Wu, médecin de Singapour, travaillant sur une épidémie de peste en Mandchourie, établit dans les années 1930 que l’hôte naturel de la peste est la marmotte, le rat n’en étant qu’un substitut d’opportunité, de durée plus brève.
Yersin et Lu sont alors convaincus que la peste identifiée à HongKong en 1894 est la même que celle qui a ravagé l’Europe en 1350. Comment le prouver?
- La cartographie du génome de la peste et ses conséquences
En 2001, on a établi le génome du bacille de la peste avec ses 4,5 millions de paires de bases. Les scientifiques travaillent sur des éléments de squelette et de dentition de cadavres de la grande épidémie, avec 2 origines pour les sites d’inhumation, Montpellier et Stratford. On a identifié que les souches actuelles de la maladie ne sont pas très différentes de l’agent bactériologique des années 1350 et on commence à avoir après 2011, une image globale de l’évolution historique de la peste par les différences dans les cartes génomiques.
- Le BigBang dans l’évolution du bacille de la peste et le passage à la virulence sans précédent.
L’institut de microbiologie de Beijing, dirigée par le professeur Yujun Cui, après avoir identifié et séquencé les génomes de la peste, anciens et modernes, démontre que le bacille de la peste a subi une évolution rapide entre 1142 et 1338, il s’est divisé en quatre branches – I, II, III, IV – et acquérant une virulence sans précédent dans l’infection des hôtes humains. Cette scission est alors dénommée le Big Bang. Le génome précédant ceux résultant du BingBang est appelé 0, il était moins virulent, ce devait être celui de 1232. Les marins génois ont transporté en Europe le bacille I, Wu en Mandchourie a trouvé le bacille II dans les années 30.
Conclusion sur l’origine de la peste et sa diffusion
- La peste serait elle apparue au treizième siècle à partir de la Chine avec une première manifestation et transmission à l’Europe en 1346 à Caffa?
La réponse est un NON pour diverses raisons: - la fameuse peste dite de Justinien qui éclata en 542 et dura jusqu’en 800 était bien la peste
bubonique, - On suppose que la peste a existé bien avant, depuisla bible[1] jusqu’à 2500 BCE selon les datations d’os retrouvés
- La peste noire de 1346 était au moins la troisième vague identifiée.
- La peste a t elle une origine asiatique ? Peut être
On la retrouve beaucoup en Asie centrale
La peste expliquerait l’effondrement des cultures du début de l’âge de bronze -les peuples des steppes,-Yamnaya (3300–2600 BCE)- puis de ceux de la fin de l’âge de bronze – Sintashta et Andronovo (2000–1400 BCE)- dans l’Oural et l’Altaï et le déclin des oasis de l’Oxus avec la disparition des villes Harappan dans la vallée de l’Indus.
- Les plateaux tibétains, une origine possible de la peste
C’est la théorie de Robert Hymes, professeur d’université à Columbia (USA). Il estime que l’origine de la peste se situe se situe au Tibet dans dans l’ancien territoire des Tanguts, à Kokonor (Qingghai;), là où Genghis Khan a remporté sa dernière victoire. Il s’appuie sur les travaux de Yujun Cui qui a publié une carte des variantes de Yersinia pestis démontrant que les origines anciennes de la peste se situent sur le plateau de Qinghai , et c’est là où s’est produit quelques dizaines d’années plus tard, le Big Bang avec le passage à une virulence sous plusieurs formes, avec la « fulminating epidemic » , ainsi dénommée par Monica. Green[2] On explique cette virulence autant par le changement climatique de la région (en liaison avec le petit âge glaciaire voir supra), que par les destructions massives des Mongols, le tout entrainant un bouleversement des conditions de vie des marmottes, hôtes naturels de Yarsina pestis.. On en revient aux « offenses des terres et des rivières des Cathayens » avec les chamanes guérissant Ögödei de la peste variante 0 , peut être )
- Le foyer original de la peste pourrait se situer au coeur de l’Asie Centrale ?
Une dernière hypothèse est lancée dans le livre de T.Brook avec comme lieu d’origine, le coeur de l’Asie Centrale, aux frontières entre le Xinjiang et le Kirghizistan, là où on peut encore trouver les souches de la branche 0, baptisées souche Antiqua et précédant le Big Bang. Une équipe russe de Galina Eroshenko (Saratov) a mis en évidence une concentration importante de souches Antiqua dans la région montagneuse de Tangri Tagh (Mongols) ou les Montagnes Célestes des Chinois (entre le Grand Etat Yuan et le khanat de Djaghataï.
Le scientifique russe Chwolson avait trouvé en 1885 dans cette région voisine du lac Issik Kul, le lac sacré du Kirghizistan .un assemblage de tombes avec 650 noms de personnes mortes en 1338-39, c’était 8 ans avant Caffa.
Il est troublant de lire dans les écrits de Ibn al-Wardi,(mort de la peste en 1349) que c’est par les Mongols que la peste noire arrive à Alep, elle viendrait du « monde des ténèbres », un terme désignant les territoires du nord – « la Horde d’or »-, peut être les Montagnes célestes.
- On n’est pas sûr de l’origine, mais on a de fortes présomptions sur les agents diffuseurs: les Mongols avec les échanges commerciaux
[1]Gad alla trouver David et l’informa en disant:
«Veux-tu 7 années de famine dans ton pays, 3 mois de fuite devant tes ennemis lancés à ta poursuite ou bien 3 jours de peste dans ton pays? Fais maintenant ton choix et vois ce que je dois répondre à celui qui m’envoie.»
David répondit à Gad: «Je suis dans une grande angoisse! Il vaut mieux tomber entre les mains de l’Eternel, car ses compassions sont grandes. Je préfère ne pas tomber entre les mains des hommes.»
L’Eternel envoya la peste en Israël, depuis ce matin-là jusqu’au moment fixé. De Dan à Beer-Shéba, 70’000 hommes moururent parmi le peuple (2 Samuel 24.1-25)
[2]Monica Green historienne et professeur à l’université d’Arizona
Conclusion
L’épidémie a été causée par le réveil d’un bacille qui vivait en symbiose avec un hôte, la marmotte de l’Himalaya et à défaut le rat, un réveil provoqué par une combinaison de facteurs écologiques naturels (changements climatiques) et humains (ravages de la guerre).
On n’a toujours pas compris comment un bacille dormant pouvait passer en quelques années à une virulence extrême et exploser en créant plusieurs souches différentes plus dévastatrices l’une que l’autre.
La Chine, qui avait déjà des concentrations de populations importantes, a subi des épidémies dramatiques, dont elle a fini par se remettre. Peut on supposer que le monde rural, avec des échanges commerciaux réduits, , restait isolé et a constitué le réservoir de repeuplement après les catastrophes sanitaires urbaines?
Si on ne connait pas exactement l’origine géographique du mal qui dévasta le monde au XIVe siècle, on est conduit à penser qu’il proviendrait probablement de la grande région de l’Oxus Kirghizistan avec la Chine comme son terrain d’expansion de prédilection
On sait maintenant que ce sont les Mongols, remarquables conquérants et organisateurs de leurs immenses territoires, qui en ont été les diffuseurs. Les routes de la soie ont amené la prospérité par les échanges, avec la peste en complément: le siège de Caffa était une réplique du siège de Kaifeng, et les marchands vénitiens et génois, efficaces et organisés sur mer comme les Mongols sur terre, ont pris le relais.
Le moyen de transport – le cheval ou le bateau à voile- a permis la diffusion spatiale à une vitesse lente.. Les concentrations urbaines anarchiques avec leur manque d’hygiène, ont constitué le terrain idéal pour la propagation rapide de la maladie.
Pouvons nous tirer des leçons avec le COVID-19 ?
Le changement climatique qui s’est produit il y a 700 ans, en particulier durant les années de l’épidémie, n’a pas entraîné de culpabilité collective ou de responsabilité partagée sur l’événement. Dieu était là pour endosser. Les populations ont dû l’invoquer, lui et tous ses Saints, faire des incantations qui, comme pour la guérison de la peste, n’ont pas donné de résultats probants .
Le refroidissement dura 400 ans, la grande vague de la peste dura 1.000 jours. On vivait dans un monde de lenteur et de vie brève.
Aujourd’hui, on se bat pour éviter l’élévation de température de 2-3°, quand la baisse de température du Petit Age Glaciaire[1] était de 1°C. L’homme moderne sourit des coupables présumés de cette chute de température de 1°, puisque c’était Dieu et les alignements des planètes des chamanes chinois.
Comme la culpabilité individuelle et pire encore collective, n’a jamais rien résolu et comme les engagements à 20 ou 50 ans ont autant de sens aujourd’hui dans le monde de l’ego, du tweet et de l’immédiateté que les incantations aux Dieux de nos ancêtres, on peut être inquiet pour demain.
Le plus préoccupant est le « big bang » du bacille Yersinia pestis qui a provoqué le passage du stade Antiqua – souche 0 calme – aux quatre souches I, II, III, IV, de virulence extrême, et c’est d’autant plus grave que cela se passe avec un bacille, une forme de bactérie, un organisme vivant plus complexe – donc moins inventif – qu’un virus.
Il est probable que si élévation prochaine il y a, les conséquences ne sont pas imaginables. On peut craindre que les formes de vie les plus sophistiquées – l’homme en est le prototype— auront dans le futur beaucoup plus de difficultés à s’adapter que les formes les plus élémentaires, à commencer par les virus et ensuite les bactéries. qui se multiplient selon des fonctions exponentielles.
Dans un domaine assez similaire, l’agriculture, les fungus (champignons) dévastateurs de certaines cultures (hemileia vastatrix, pour le café, microcyclus ulei pour l’hévéa) gagnent à terme toutes les batailles contre les fongicides de plus en chers et sophistiqués, le champignon invente et trouve toujours la parade , comme les « mauvaises herbes » avec les herbicides.
Qui avait imaginé le COVID-19 au 15 décembre 2019 ?
On peut réfléchir à certains sujets comme,
La fragilité de la vie,
le COVID-19 apporte une réflexion sur la fragilité de l’homme, agent économique certes, roseau pensant peut être,
Le sens du progrès,
la réflexion amène à s’interroger sur le sens du progrès lié aujourd’hui aux échanges d’argent plus que d’idées,
La chose publique et le secteur privé,
la crise amène réflexion sur le rôle de l’Etat, garant du «bien commun» et sur le rôle de l’entrepreneur privé , garant de son ego, et sur leur responsabilité dans le fonctionnement de la « chose publique ».
Savoir que, en 48 heures, « Bill Gates donne 50 millions $ pour lutter contre le COVID-19 ».. est une nouvelle aussi positive qu’inquiétante,
La signification du mot « guerre »,
on se souvient des chamanes qui avisaient le maître du monde de l’époque que la guerre pouvait tellement bouleverser la terre que les esprits se révolteraient,
La durabilité et adaptabilité de la vie,
on dit se rappeler que la bactérie, avec sa créativité et adaptabilité naturelles, a survécu au dinosaure, que l’abeille et la termite avec leur organisation ont traversé des dizaines de millions d’années..
Le rappel à l’ordre du COVID-19 pourrait être salutaire, comme les réflexions de T.Brook sur la peste, utiles.
Aura-t-on un retour à la vieille philosophie chinoise: « l’homme et le ciel ne font qu’un », avec une union « nature culture » suivant la sagesse chamanique , à la différence de la philosophie occidentale où l’homme a pour la vocation de commander et dominer la nature, suivant le texte « Elohim créa l’homme et lui dit … commande aux poissons de la mer et aux oiseaux des cieux, sur tout vivant qui remue sur la terre… » ? (Maxime Van der Meersch)
[1] Le Petit Age Glaciaire est une période de refroidissement de 5 siècles avec 3 périodes très froides: 1303 -1380, le dernier tiers du seizième siècle et 1815 -1860