L’épidémie de Covid-19 aurait pu y faire des ravages. Pourtant, ce 11 avril, le Vietnam ne comptait que 258 cas déclarés et aucun décès selon l’université américaine Johns Hopkins. Des chiffres observés avec moins de méfiance que ceux du voisin chinois, avec qui il partage 1 280 kilomètres de frontière. Le résultat est surprenant pour ce pays de 96 millions d’habitants, qui ne consacre que peu de moyens à la santé. À Hô-Chi-Minh-Ville, seuls 900 lits d’hôpitaux sont équipés pour les soins intensifs, soit 1 pour près de 9 000 habitants.
En 2003, comme plusieurs pays asiatiques, le Vietnam a été touché par l’épidémie de syndrome respiratoire aigu analogue (SRAS), identifiée à Hanoi pour la première fois le 28 février par un médecin épidémiologiste du bureau de l’OMS. Dès le 11 mars, vingt personnes travaillant à l’hôpital français présentaient des symptômes du SRAS. La structure s’est mise en quarantaine. La réaction nationale, qui a consisté à isoler très rapidement tous les patients infectés, a permis de circonscrire l’épidémie : au Vietnam, le SRAS n’a contaminé que 63 personnes, dont cinq sont décédées. Un article scientifique en a d’ailleurs signalé l’exemplarité*.
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Les autorités vietnamiennes étaient donc préparées à l’épidémie de Covid-19, qui a démarré à Wuhan en décembre 2019 et est apparue le 23 janvier dernier au Vietnam. Au grand dam de Pékin, Hanoï a décidé de suspendre tous les vols entre le Vietnam et la Chine dès le 1er février. Les écoles n’ont pas rouvert après les vacances du Nouvel An chinois, et les frontières terrestres avec la Chine ont été fermées.
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Trente années de guerre (1945-1975) ont également forgé la capacité de mobilisation de la société vietnamienne. Étudiants en médecine, médecins et infirmières retraitées ont été mobilisés par l’État dans la lutte contre le coronavirus. En menant ce combat, le Vietnam a privilégié une stratégie « low cost » en retraçant systématiquement les contacts des personnes atteintes jusqu’à la 4ème relation. Ces personnes et leurs contacts ont été placés en quarantaine.
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COORDINATION ENTRE ÉTAT ET SOCIÉTÉ CIVILE
*À ce sujet, on peut lire : Bill Hayton, Vietnam Rising Dragon, New Haven, Yale University Press, 2012 ; Philippe Papin, Laurent Passicousset, Vivre avec les Vietnamiens, Paris, Éditions l’Archipel, 2010 ; Philippe Delalande, Vietnam. Dragon en puissance, Paris, L’Harmattan, 2007.
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La mise en œuvre de cette stratégie a été facilitée par une culture de la surveillance et l’encadrement de la société. Il débute au niveau des îlots – environ 200 personnes – dont chacun est placé sous la responsabilité d’un « to dan pho », ou « gardien de voisinage ». Retraité du secteur public ou du Parti communiste vietnamien (PCV), celui-ci renseigne le ministère de la Sécurité qui cependant le rémunère peu ou pas du tout : son salaire est versé par les personnes dont il a la charge*. Le rôle de ces grands-pères ou grands-mères, élus pour quatre ans, ne se limite pas à surveiller la communauté dont ils sont originaires et à alerter sur les risques. Ils donnent des conseils et assurent la fonction de médiateur. S’inscrivant dans la vision confucéenne du rapport entre l’individu et le groupe, ce système n’est pas un produit du communisme : son fonctionnement été « absorbé » par le PCV.
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Le Vietnam a également eu recours au confinement. Le 12 février, alors qu’il y avait 10 cas confirmés, l’état de santé des 5 000 travailleurs chinois arrivés de Wuhan a justifié la mise en quarantaine d’une ville de 10 000 habitants de la province de Vinh Phuc, au nord d’Hanoï, pendant trois semaines.
Alors que le Vietnam a été le premier pays touché après la Chine, le taux d’infection a été plus faible que partout ailleurs dans le monde. Entre le 23 janvier et le 25 février, la croissance du nombre de cas était comparable à celle des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Mais de la fin février au 5 mars, la situation est restée bien contrôlée ; de même qu’après la seconde apparition du virus depuis le 12 mars.
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IMPACT ÉCONOMIQUE
En 2019, le Vietnam est sorti gagnant de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine par la délocalisation, en sa faveur, de la production de nombreuses entreprises présentes sur le sol chinois. À ce mouvement s’est ajouté, au premier trimestre 2020, des délocalisations depuis la Corée du Sud. Après la révélation de plusieurs cas de Covid à Gumi, Samsung a déplacé la fabrication du Galaxy S20 à Hanoï, où le groupe coréen assemble déjà près de la moitié des Galaxys vendus dans le monde. Sur la même période, alors qu’une baisse des exportations chinoises vers les États-Unis – mesurées par les statistiques d’importations du département américain du Commerce – est à déplorer, celles du Vietnam vers le marché américain ont augmenté.
En outre, l’épidémie a suscité une fièvre d’achat de riz par les ménages vietnamiens. Pour éviter une flambée des prix, les autorités en ont limité les exportations. Contrairement au marché du blé, le marché mondial du riz est peu profond, avec un nombre limité d’acteurs dont le Vietnam est le premier exportateur mondial (avec 20 % du marché). La décision vietnamienne a par conséquent déclenché une hausse des cours. Celle-ci aggrave les difficultés des pays africains qui consomment le riz vietnamien bon marché. La flambée des cours a été de courte durée car les stocks mondiaux couvrent quatre mois de consommation.