« Tout sauf la Chine » : Washington accélère, Pékin prêt à la contre-attaque

Le président américain Donald Trump. (Source : Guardian)
Le président américain Donald Trump. (Source : Guardian)
L’Assemblée nationale populaire réunie depuis le 21 mai à Pékin aurait dû célébrer la réussite du plan décennal de la Chine. Mais le gouvernement a renoncé à fixer un objectif de croissance : il propose un plan de relance de 2 % du PIB, tandis que le conflit avec les États-Unis s’exacerbe dangereusement.
En 2013 à Astana, sur le chemin du retour de Moscou et d’un sommet du G20 consacré aux infrastructures, Xi Jinping évoquait le projet « One Belt, One road », à l’époque l’appellation officielle des « Nouvelles Routes de la Soie ». Six mois plus tard, il présentait la « Route maritime » à Jakarta. Comme le nom de ce programme pharaonique donnait trop l’impression d’une stratégie définie à Pékin, il a été rebaptisé « Belt and Road Initiative » ou BRI par le gouvernement, qui a conservé sa dénomination en chinois « yidai yilu » (一带一路), « une route, une ceinture ».

La BRI est aujourd’hui présentée comme l’illustration d’une offensive chinoise dans le monde entier. Cette interprétation oublie son contexte géopolitique. En effet, lorsque ce projet a été annoncé, la Chine redoutait d’être prise en tenaille entre deux accords de libre-échange proposés par les États Unis : le Partenariat transpacifique (TPP) et le Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) intégraient des mesures « derrière les frontières » sur les droits sociaux et l’environnement. Si, à la différence du TPP, le TAFTA n’était pas explicitement conçu comme une alliance contre la Chine, cet accord qui couvrait 40 % du commerce mondial serait devenu une référence que Pékin n’aurait pu ignorer. Ainsi, l’équation paraît simple : TPP + TAFTA = TSC, ou « Tout Sauf la Chine ». La réaction des Chinois fut de proposer la BRI. Mais l’élection de Donald Trump a modifié la donne : les États-Unis ont renié le TPP, alors que le TAFTA s’est enlisé. La BRI demeure, quant à elle, une illustration de la mondialisation avec des caractéristiques chinoises.

WASHINGTON LANCE DES FRAPPES CHIRURGICALES

Après Barack Obama qui tentait d’isoler la Chine par des alliances, l’équipe de Donald Trump, Peter Navarro en tête, veut découpler l’économie américaine de l’économie chinoise. Depuis quelques semaines, Washington mobilise le thème de la pandémie contre la Chine. Officiellement, le Covid-19 a fait plus de victimes américaines que la guerre du Vietnam (80 000) – un nombre d’ailleurs peut-être plus élevé selon un rapport du Center for Disease Control and Prevention. La diplomatie américaine accuse le mutisme chinois des six premières semaines d’être à l’origine de cette catastrophe. Le président dénonce le « virus chinois » et met en accusation le Parti communiste à Pékin. Alors que l’épidémie n’est toujours pas sous contrôle, l’administration Trump veut faire oublier qu’un confinement décidé début mars aurait sauvé 30 000 vies dans son pays.
*Les fournisseurs américains doivent demander l’autorisation de l’administration pour vendre des produits aux entreprises qui apparaissent dans l’entity list. **Les fonderies de silicium, des industries lourdes dont la construction exige plusieurs milliards de dollars, appartiennent à des entreprises qui vendent leurs produits (microprocesseurs) et TSMC qui est la plus grande fonderie mondiale, fabrique pour les entreprises qui n’ont pas de fonderie.

La première offensive a visé les fournitures médicales (et non les médicaments ou les équipements), qui proviennent à 42 % de Chine. Allant au-delà de l’initiative du Parlement européen qui veut construire une liste de produits stratégiques devant être « made in EU », Washington repart en campagne contre Huawei. L’établissement d’une liste des entités sujettes à des restrictions d’accès au marché américain, ou entity list*, n’a pas empêché la firme chinoise d’acheter des composants incorporant de la technologie américaine. Washington fait pression sur le Taïwanais TSMC (Taiwan Semi Conductor Company), la plus grande fonderie de silicium** dans le monde pour construire une fonderie aux États-Unis et ne plus fabriquer des composants pour Huawei. TSMC a obtempéré. Une « attaque chirurgicale » qui constitue une sérieuse menace pour le géant chinois des télécoms.

De nombreuses entreprises américaines souhaitent l’avènement d’une mondialisation sans caractéristique chinoise. Elles s’inspirent des firmes japonaises qui ont engagé en 2005 – après les émeutes anti-nippones en Chine – la stratégie « China plus One » – doubler l’investissement en Chine par un investissement hors de Chine – et qui évoluent vers une stratégie « Zero China ». Cette stratégie fait l’affaire du Vietnam qui attire les délocalisations et elle pourrait bénéficier à l’Indonésie. En effet, le président Trump a décidé d’ajouter au moins 27 entreprises de Chine vers l’archipel indonésien. Elles s’installeront dans la zone industrielle de Brebes au Centre de Java où elles bénéficieront d’avantages fiscaux.
À quelques mois de la présidentielle américaine, l’équipe de Trump multiplie les mesures pour attirer les relocalisations aux États-Unis. Pour convaincre les entreprises à venir s’installer sur le sol américain, le président propose de diviser par deux l’impôt sur les bénéfices, de financer les coûts de la relocalisation et de mobiliser l’US international development finance Corporation (US IDFC) dont le capital a été porté à 60 milliards de dollars. L’US IDFC était conçu pour financer des projets d’entreprises privées au Sud. Elle ne financera pas seulement les projets de production de matériel médical mais tous les projets de relocalisation.
Le Sénat américain a adopté à l’unanimité une loi exigeant des entreprises chinoises cotées sur les marchés américains qu’elles montrent au Conseil de supervision de la comptabilité des sociétés ouvertes les documents de travail servant de base à leurs audits financiers (comme le font les autres entreprises étrangères). Ce que Pékin refusait en évoquant des questions de sécurité. Cette proposition, critiquée par le Wall Street Journal, doit être examinée par le Chambre des représentants. Son annonce a fait chuter la valeur des entreprises chinoises cotées à Wall Street, dont Alibaba, et elle fait hésiter Baidu à faire son entrée au Nasdaq. Ce mercredi 20 mai, la Maison Blanche a publié un rapport de seize pages sur sa politique à l’égard de la Chine.

PÉKIN CONTRE-ATTAQUE

Réagissant à la demande de Canberra d’enquêter sur les origines du Covid-19, Pékin a décidé d’une hausse des droits de douane sur les céréales australiennes. Un éditorial du Global Times, organe du Parti à Pékin, a appelé à trouver des alternatives commerciales à l’Australie.
La Chine s’est dotée de sa propre « Entity list ». Si les États-Unis freinent les approvisionnements de Huawei, elle s’en prendra directement à ses fournisseurs américains, à commencer par Boeing, selon un autre éditorial du Global Times. Le marché chinois représente 13 % des ventes du constructeur américain déjà en difficulté du fait de l’arrêt des 737 Max et la chute du transport aérien dans le monde. La réaction des marchés a été immédiate : la capitalisation de l’avionneur a chuté, à l’instar des entreprises qui dépendent le plus du débouché chinois.
Les deux premières puissances économiques mondiales ont oublié les gestes barrières. Ce pugilat est une mauvais nouvelle pour le reste du monde. À commencer par Hong Kong où Pékin a décidé d’un tour de vis supplémentaire.
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21

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