Coronavirus en Inde : l’exception du Kerala, ses soins ayurvédiques et sa stratégie frugale

À travers "Break the chain", sa campagne de communication, de tests et de traçage, l'État indien du Kerala a maintenu très bas le nombre de décès dus au Civd-19. (Source : Daily Star)
À travers « Break the chain », sa campagne de communication, de tests et de traçage, l’État indien du Kerala a maintenu très bas le nombre de décès dus au Civd-19. (Source : Daily Star)
C’est un cas à part en Inde. Dans un pays verrouillé depuis le 25 mars 2020 et qui se prépare à sortir de la quarantaine, la pandémie de coronavirus continue de se propager avec un nombre de cas en hausse. Le Kerala était en mars l’État indien le plus touché. Il a pourtant jugulé l’épidémie en trois semaines grâce à une stratégie à bas coût, « frugale » dirait-on ici. Elle s’appuie sur un système de santé décentralisé et sur la médecine ayurvédique. Si le retour des travailleurs émigrés a déclenché une seconde vague de contaminations, le nombre de décès a peu augmenté.

À de nombreux égards, l’État du Kerala fait figure d’exception en Inde. Cet État du Sud est gouverné depuis 1957 par un parti marxiste qui, pratiquant la sociale-démocratie, a donné la priorité à l’éducation et à la santé. Selon l’Indicateur de développement humain (IDH), le Kerala domine le classement des État indiens : il est le premier pour le taux d’alphabétisation (avec 91 % au lieu de 62 % en moyenne). L’espérance de vie est la plus longue du sous-continent et sa population vieillit.
Le Kérala est caractérisé par son pluralisme religieux. Si la majorité est hindouiste, parfois extrémiste – le temple Sabarimala était l’un des rares interdits aux femmes entre la puberté et la ménopause, jusqu’à la décision de la Cour suprême de janvier 2019. Un quart de la population est musulmane et un cinquième chrétienne (à comparer avec 2,3 % en Inde) : une des premières églises catholiques a été édifiée à Cochin au XVIème siècle.
Les 35 millions d’habitants du Kerala vivent avec un revenu annuel moyen de 550 euros. La croissance, un peu moins rapide que celle de l’Union indienne, est insuffisante pour absorber les nouveaux venus sur le marché du travail, aussi les Kéralais ont-ils été nombreux à émigrer vers les autres États de l’Union jusqu’en 1971 et à l’étranger depuis. D’après le Kerala Migration Survey, ils étaient 2 millions en 2018 dont 1,9 dans les pétromnarchies du Golfe. Le Kérala est l’État qui reçoit le plus de transferts d’argent de l’émigration (19 % du total de l’Union Indienne) devant le Mahashtra. Ces transferts sont un apport substantiel à l’économie et au quotidien de nombreux ménages.

HISTOIRE DE LA SANTÉ

Avant l’arrivée de la médecine occidentale, les familles se soignaient grâce à des systèmes traditionnels dont les soins ayurvédiques (du sanscrit, « science de la vie »), une médecine traditionnelle datant de plus de 5 000 ans, dont la pratique ne s’est pas démentie au fil des âges. En 1879, les princes régnant (Travancore et Cochin) ont pris l’initiative d’imposer la vaccination aux fonctionnaires, aux étudiants et aux prisonniers. Le Travancore a construit des infrastructures pour la santé (eau potable) et pour l’enseignement de la médecine. Il a recruté Mary Punnen Lukose, qui avait fait ses études en Irlande, comme médecin général du Kerala à une époque où les femmes étaient peu nombreuses à exercer la médecine en Europe. Parallèlement, des missions chrétiennes ont implanté des hôpitaux de campagnes et encouragé les jeunes filles à devenir infirmières.
À l’indépendance, la santé et l’éducation ont été les priorités du gouvernement de l’État, comme en témoigne la progression des dépenses budgétaires allouées à ces deux postes. Le nombre de lits d’hôpital a triplé de 13 000 à 38 000 entre 1956 et 1996. Les indicateurs de santé de l’État sont meilleurs que la moyenne indienne et comme le remarque le prix Nobel Amartyia Sen, le secteur public a construit les fondements du système de santé sur lesquels s’est bâti le secteur privé.
Le Kerala a connu une forte augmentation de ses industries pharmaceutiques dont le nombre a doublé dans la décennie 1990. L’État est à la pointe de la médecine biomédicale du pays. La médecine ayurvédique dont la pratique holistique (corps, intelligence, esprit) du patient attire une clientèle étrangère.
Évolution de l’épidémie de Covid-19 dans l’État indien du Kerala

 

DU NIPAH AU COVID-19

En 2003, l’Inde avait été épargnée par le SRAS. Mais en 2018, le Kerala affronte une épidémie provenant de la chauve-souris : le Nipah, un virus très agressif – 21 morts sur 23 personnes infectées – pour lequel il n’y avait ni vaccin ni traitement. Le virus a été maîtrisé en moins d’un mois grâce à l’instauration du couvre-feu, du traçage systématique des personnes en contact avec les malades et de la mise en quarantaine des porteurs potentiels.
Les autorités du Kérala ont repris ce protocole pour affronter le Covid-19, apparu le 30 janvier, au retour de Wuhan de trois étudiants kéralais. Les autorités ont aussitôt décrété l’état d’urgence, les écoles ont été fermées, les rassemblements interdits. Un système de quarantaine a été mis en place qui a mobilisé un réseau de veille de voisinage et des appels téléphoniques. Une campagne de communication « Break the chain » a été lancée, qui a permis de combattre contre les fake news. Étudiants, fonctionnaires ont été mobilisés pour proposer des tests et retracer les contacts des personnes infectées, classées en sept catégories, dont certaines ont été traitées par la médecine ayurvédique.
Le nombre de cas est passé par un maximum début avril, mais depuis la mi-mai, il remonte rapidement : cette seconde vague a été déclenchée par le retour des nombreux Kéralais qui travaillent au Moyen-Orient. Au 26 mai, le nombre de cas est remonté à 415, soit deux cas par million au lieu de deux cents pour la moyenne indienne. Le nombre de décès a évolué plus lentement et à ce jour, seul quatre personnes sont mortes du Covid-19 dans cet État de 35 millions d’habitants.
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21

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