éd. Institut français de Pondichéry – Karthala, 2016
Dans ce livre de 298 pages, Kamala Marius, géographe, décrit la condition des femmes en Inde, plus particulièrement dans la province tamoule du Tamil Nadu, où elle a effectué des enquêtes de terrain. En fait, l’auteur consacre près de 100 pages, soit le tiers de l’ouvrage (pages 121 à 188 et 199 à 229) à la description d’études postcoloniales qui abordent au niveau mondial le féminisme blanc et noir, l’émancipation des femmes du tiers-monde et l’augmentation des emplois féminins due à l’industrialisation. Ces pages sont fort difficiles à lire et le lecteur qui veut se contenter de connaître la condition féminine en Inde peut fort bien les ignorer. Kamala Marius nous rappelle ce qu’est le système des castes, traditionnellement associées à des métiers ou à des tâches spécifiques. Il symbolise la complexité de l’Inde, sans doute unique au monde.
La société indienne est patriarcale. Elle laisse peu de pouvoir aux femmes qui doivent être soumises. La condition de la femme dépend de son appartenance aux castes, en plus de son rattachement à une classe sociale. La caste l’emporte sur le genre ; ainsi, une femme brahmane aura l’ascendance sur un homme de caste inférieure. Les femmes qui se lancent dans la politique appartiennent en règle générale aux hautes castes. Lorsqu’elles siègent dans les panchayats (conseils municipaux), elles sont trop souvent des prête-noms, le véritable pouvoir étant exercé par leurs époux. L’endogamie demeure la règle bien que de moins en moins fréquente dans les classes moyennes urbaines. Les mariages arrangés prédominent encore. La femme mariée va vivre dans sa belle famille. Toutefois, dans les villes, les familles nucléaires deviennent fréquentes. Le système communautaire ancestral s’effrite. Sont mentionnés les homicides pour non versement de la dot (pourtant en principe interdite) et les infanticides des filles. Ces naissances empêchées font apparaître une disparité entre hommes et femmes, sensible surtout dans le nord du pays. De ce fait, les mariages inter castes sont moins rares et les femmes peuvent faire baisser leur dot. Depuis 2010, l’enseignement est obligatoire et gratuit pour tous les enfants, garçons et filles, de 6 à 14 ans. Ces dernières sont moins scolarisées.
La liberté de mouvements des femmes est limitée. Elles peuvent, tout au moins les hindoues, aller au marché, à l’école, aux temples. Dans les villes, elles peuvent même fréquenter les centres commerciaux ainsi que les cinémas et les cafétérias. Mais bars et magasins d’alcool leur restent interdits. En règle générale, les femmes sont plus libres au sud qu’au nord. Les femmes sont confrontées à des violences, y compris des viols. Le taux d’activité des femmes a tendance à diminuer, ce qui paraît surprenant. Seulement un tiers des femmes en âge de travailler exercent un emploi. On les trouve en priorité dans le secteur agricole surtout comme ouvrières car elles sont rarement propriétaires. Lorsque la possibilité leur en est donnée, elles s’en échappent pour travailler dans des usines. Souvent exploitées, contraintes à effectuer des heures supplémentaires non rétribuées, mal logées, elles acquièrent néanmoins ainsi une certaine indépendance qui les rendent plus confiantes en elles-mêmes et bénéficient d’une relative ouverture vers le monde, les usines étant des lieux d’émancipation. Les jeunes travailleuses célibataires remettent parfois en cause la société traditionnelle et veulent faire des mariages d’amour. On trouve aussi des femmes en nombres significatifs dans l’éducation. Les femmes que l’auteur a interviewées dans la vallée de la Palar au Tamil Nadu, connue pour réaliser 50 % de la production nationale de cuir, éprouvent une certaine culpabilité lorsqu’elles travaillent hors de leur domicile car elles ont conscience de ne plus assumer complètement leur rôle d’épouses, de mères et de belles-filles. C’est la raison pour laquelle elles privilégient, quand elles le peuvent, le travail à domicile qui leur permet de continuer de s’occuper des tâches domestiques. Parfois, la micro finance qu’elles utilisent largement leur permet de se lancer dans des activités artisanales, tout en restant chez elles. Mais elles se plaignent de ne pas être aidées par leurs époux, même si ceuxci se retrouvent au chômage. Le gouvernement vient en aide aux femmes les plus pauvres dans le cadre d’un programme dénommé Development of women and children in rural areas.
L’auteur s’intéresse à la constitution, la plus longue du monde, en insistant sur les droits accordés aux femmes. Elle leur est plutôt favorable. Elle déclare illégale l’intouchabilité, tout en ne définissant pas l’hindouisme. Mais il existe des lois de la famille, désignées comme lois personnelles spécifiques pour les hindous, les musulmans et les chrétiens, régissant les mariages, divorces, adoptions et successions. Ces lois sont en contradiction avec la constitution. L’exécutif et la Cour Suprême voudraient faire adopter un code civil uniforme mais les musulmans s’y opposent. Les mariages d’enfants sont encore célébrés dans le nord. Certains hindous, en nombre limité il est vrai, pratiquent la bigamie et des musulmans la polygamie. Depuis 2005, les mariages doivent être déclarés. Le livre porte surtout sur la femme hindoue mais décrit aussi, de manière succincte, la condition féminine dans les communautés musulmane et chrétienne. Le féminisme hindou a été et est utilisé à des fins nationalistes. La recherche d’un code civil unique revient en fait, nous dit l’auteur, à vouloir imposer des normes hindoues.
Globalement, la condition de la femme indienne demeure difficile malgré le développement du pays. On se demande comment l’améliorer. En partie, sûrement, par une meilleure éducation. L’auteur le suggère en demandant une intervention plus grande de l’État.