par Philippe Delalande, Asie21
Tours
1/ Excursion dimanche dernier sur la levée de la Loire, en voiture jusqu’au confluent du Cher. J’entrevois la Loire sinueuse et sablonneuse, à droite entre les arbres, puis en revenant vers Tours, toujours à droite, le Cher calme comme dans un canal entre ses rives parallèles, Un itinéraire d’une quarantaine de kilomètres parcourus si souvent en vélo quand j’étais plus jeune. Tous les paysages qui défilent me sont connus. Je me souviens même des endroits où j’avais coutume de m’arrêter. Ici on aperçoit la voie ferrée qui conduit à Nantes, là le château de Villandry. La levée sur laquelle je roule fut construite par les Plantagenets au 12e siècle. C’était un chemin de halage des bateaux et une digue pour protéger les fertiles terres arables alluviales des inondations lors des crues du fleuve. L’histoire a façonné le paysage.
Afrique (1963-1967)
2/ Le plateau du Fouta Djalon sépare la Guinée du Sénégal. Il est habité principalement par des Peuhls. Ils n’ont guère de traits négroïdes. Ils seraient venus d’Egypte il y a plusieurs siècles. Ce sont des musulmans rigoureux. Les femmes portent des cimiers. Sur un arc de roseau leurs cheveux sont tissés en arceaux. Elles ont des ports de tête de princesses.
À la frontière entre Sénégal et Guinée, je leur ai acheté un plateau de joncs tressés, couvert de glaise rouge dont je n’avais nul besoin. Mais elles avaient une si noble allure qui ne m’a pas laissé indifférent. L’Histoire du Fouta Djalon est liée à l’islamisation de cette région. Un imamat y fut instauré par le djihad des Peuhls musulmans en 1725. Ce fut le premier Etat théocratique de l’Afrique de l’Ouest. Il subsista jusqu’à la conquête coloniale française
3/ Près de Kaolack est une vaste mangrove avec des palétuviers. Je l’ai traversée sans chapeau. Le soleil était vif. Je me suis enturbanné d’une serviette pour éviter l’insolation. J’avais l’air d’un « mamamouchi », me dit-on. J’ignorais ce mot, prétendu turc, utilisé par Molière dans le Bourgeois Gentilhomme. Je ne l’ai plus oublié. Il est lié dans ma mémoire à la mer, et au soleil de Kaolack.
4/ En haute Gambie au début de la saison des pluies, je devais rentrer sur Dakar. Il fallait que le camion traverse la rivière Gambie. Il est bien descendu dans le fleuve mais ne put en sortir sur l’autre rive tant le sol en pente était glissant. Et l’eau montait. Si on ne parvenait pas à sortir le camion il risquait d’être emporté et je serais resté durablement dans la haute Gambie sénégalaise. Une paire de bœufs d’un paysan fut mobilisée. Elle ne parvint pas à sortir le camion. La panique gagnait. Un autre camion fut attaché au premier pour l’extraire. Mais le câble de traction cassa. Un second câble réussit à tirer le camion avant qu’il ne soit emporté.
5/ Gorée est une petite île au large de Dakar à moins de 5 km du port. Elle fut une escale pour les Portugais dès le 15e siècle, puis pour les Néerlandais qui lui donnèrent le nom qui lui est resté. À peu près 4000 esclaves africains en partirent pour l’Amérique de 1726 à 1848. Les Anglais l’occupèrent puis la restituèrent à la France. Gorée est une excursion favorite depuis la ville de Dakar. On y accède aisément en bateau depuis le port de Dakar. Nous y allions fréquemment lorsque nous n’avions pas de voiture. Nous séjournions à l’hôtel Chevalier de Boufflers du nom d’un gouverneur du Sénégal à la fin du 18e siècle. À Dakar, nous logions dans une maisonnette modeste. Je n’avais pas obtenu de servir dans la coopération. J’étais donc bidasse de seconde classe dans le dernier contingent militaire français après l’indépendance du Sénégal. Je ne suis jamais parvenu à avoir une permission pour dormir chez moi avec mon épouse. Je devais passer la nuit à la caserne. J’enfreignais souvent cette interdiction ce qui me valut plusieurs fois la prison. J’y dormais sur un bas flanc en bois. Je fis connaissance d’autres prisonniers que j’ai eu plaisir à revoir ultérieurement.
6/ Le Ferlo est une région semi désertique au nord-est du Sénégal. Des bergers salariés, souvent peuhls, y font paître des troupeaux qu’ils ne possèdent pas. Ils passent des journées entières seuls dans la savane avec une maigre gourde d’eau pour se désaltérer. Le sol est très sablonneux. Les véhicules risquent de s’enliser dans le sable très mou. Pour ne pas s’y enliser il faut rouler vite. Mais une fois, roulant vite, ma 2 CV Citroën fait un bond dans un trou aperçu trop tard. Un cardan avant droit se déboite. C’est la panne. Mon cric ne parvient pas à hisser la voiture assez haut pour remettre la partie déboitée du cardan à sa place. La nuit commence à tomber. Il faut laisser la voiture et gagner le prochain village. Heureusement j’avais pris en stop un villageois, ce que je fais toujours en Afrique comme en Asie. C’est une compagnie et une sécurité. Il prend ma valise la pose sur sa tête et je le suis. Je me perçois comme un administrateur colonial aidé de son boy. Nous arrivons après cinq kilomètres de marche dans son village. Il fait nuit un garçonnet s’approche de moi pour me dévisager. Il s’écrit « toubab » ! Ce qui signifie un « blanc ». Le détenteur d’un vélomoteur s’y connaissant, assure-t-il, en mécanique se propose d’aller réparer mon véhicule. Je monte en croupe sur son vélomoteur. Effectivement il répare la voiture. Je le remercie chaleureusement. Qu’aurais-je fait si je n’avais pas pris un villageois en stop ? Je garderai longtemps un sentiment de fraternité envers ces villageois si serviables.
7/ Au Sénégal à la fin de la saison des pluies, les pistes sont recouvertes d’herbes poussées vite grâce aux pluies. Ma 2 CV Citroën avait longtemps roulé. La température était agréable. Je sens une odeur de brulé. Inquiet, je m’arrête et soulève le capot. Effectivement une bougie a déjà complètement fondu. Les ailettes de refroidissement du moteur et la grille de protection du ventilateur sont envahies par des herbes. Le refroidissement par air de la voiture ne pouvait plus fonctionner. J’enlève l’herbe coincée entre les ailettes de refroidissement et parviens à repartir mais le cylindre dont la bougie a fondu ne fonctionne plus. Bien doucement, je rentrerai avec un cylindre en moins. Le garagiste, amusé par ma mésaventure, me dira « vous avez confondu voiture et faucheuse ».
8/ Ziguinchor est le chef-lieu de la Casamance, région méridionale du Sénégal au sud de la Gambie alors britannique. La Casamance fut d’abord colonisée au 16e siècle par les Portugais. Ils y ont laissé une forte emprunte catholique alors que le Sénégal est majoritairement musulman. Dans la cathédrale de Ziguinchor un jour de Noël, nous pénétrons, curieux de connaître le catholicisme sénégalais. La messe est présidée par un évêque blanc, traditionnaliste, Monseigneur Lefèvre qui s’opposera au concile Vatican 2. L’assistance nous invite avec insistance à nous asseoir au premier rang. Nous refusons poliment
9/ Le nord du Sénégal pourrait être une zone propice à un développement de l’élevage si les points d’eau y étaient plus nombreux. Les éleveurs pourraient alors vendre le croît de leur troupeau et s’enrichir modestement. Je suggère de creuser des forages pour prélever de l’eau dans la nappe phréatique renouvelable. Je suis suivi par le ministère sénégalais de l’agriculture. Deux forages sont effectués. Les troupeaux s’y pressent et s’y multiplient. Mais aucune tête de bétail n’est vendue et le surpâturage désertifie progressivement la zone. Le statut social d’un pasteur peuhl est fonction du nombre de têtes dans son troupeau. Il ne consent à vendre une tête de bétail que pour un baptême, une circoncision ou un mariage. J’aurais dû le savoir.
10/ Au sud du fleuve Sénégal, chez les Toucouleurs, entre Rosso et Matam subsistait l’esclavage, un esclavage qui n’était plus que domestique. J’ai vu une esclave qu’on m’a présentée comme telle sans la moindre retenue, une femme d’une cinquantaine d’année qui se tenait respectueusement en arrière du groupe qui m’était présenté. Quelle fut la vie de cette femme, je ne le saurai jamais. Tout comme je ne saurai pas pourquoi à Rosso sur la rive nord du fleuve un couple de Français tenait une chambre d’hôtes et une boulangerie. Nous y avons dormi. Il faisait très chaud car la chambre était mitoyenne à la boulangerie. L’homme sans doute un ancien militaire semblait se plaire, mais manifestement pas son épouse. Il est bien probable qu’elle a fini ses jours à Rosso
11 / Ruanda Burundi. Peu après mon départ de Kigali puis de Bujumbura ces deux pays voisins se sont embrasés. Quelques incidents meurtriers s’étaient déjà produits lors de mon séjour, mais je n’imaginais pas le carnage qui a suivi. Les Tutsis, ethnie minoritaire mais dominante fut agressée par les Hutus d’ethnie bantoue. Deux guerres civiles meurtrières s’étendirent de 1993 à 2005. On a évoqué un génocide des Tutsis. Mais ceux qui subsistaient se sont vengés peu après en massacrant des Hutus ! Un ancien élève de l’école internationale de Bordeaux, un Tutsi m’avait aimablement fait visiter sa ville en voiture. J’ignore s’il a survécu au génocide qui a suivi.
12/ Bangui, La capitale de la République centrafricaine (RCA) sur le fleuve Oubangui fut bâtie à cet endroit pour une raison que j’ignorais mais qui s’impose lorsqu’on regarde le fleuve. Juste en amont, d’énormes rochers apparaissent. Ils engendrent des rapides et des tourbillons redoutables. Le lieu est donc le dernier endroit où le fleuve est navigable depuis l’océan. En amont il n’y avait plus que la marche avec son cortège de porteurs. Le fleuve est impressionnant par sa largeur et son débit. Je me suis promené le long du fleuve et revenant vers Bangui je croise deux jeunes hommes. Ils parlent en français assez fort pour que je les entende. Ils disent des choses désagréables sur la France et le Français que je suis. Il y avait eu des tensions entre les deux gouvernements peu avant. Est-ce la raison ou les motifs sont-ils plus profonds. Je ne le saurai pas.
13/ Bamako est à 1280 km de Dakar par le train Dakar- Niger. Faute d’entretiens après plusieurs déraillements parfois cause d’accidents, on alla au plus simple : entretenir et réparer la ligne. Non ! Vous vous trompez : interrompre le trafic. Seul le tronçon du Sénégal demeurait en service. J’avais déjà emprunté la ligne avant cette interruption. Le contrôleur avait trouvé moyen d’améliorer ses revenus. Il garantissait la sécurité des bagages et colis moyennant une modique redevance en les maintenant sous son contrôle. Les toilettes étaient ainsi encombrées de colis sous sa garde. La porte ne fermait plus. Les messieurs pouvaient aisément se soulager en enjambant les colis, porte ouverte. Que faisaient les dames ? Je ne l’ai jamais su. Ce n’était pas mon problème.
Bamako et sa colline du pouvoir, Koulouba, eut avant même la colonisation un rôle politique. Toutes les administrations et les lieux de pouvoir étaient restés sur la colline de Koulouba. Je m’y suis promené un dimanche, le lieu était alors désert. Les gouvernements changent, les lieux de pouvoir chargés de symboles demeurent.
14/ Le Gabon du temps d’Omar Bongo peuplé d’à peine 1 million d’habitants est un des plus riches pays de l’Afrique francophone. Une espèce de petit singe y est un met très apprécié surtout sa cervelle. Sa commercialisation a été interdite pour préserver l’espèce. Pour l’acquérir il faut aller dans les villages de la forêt où on le capture, le tue et le vend clandestinement. Revenant en train sur Libreville après une journée passée près de Franceville avec un entrepreneur qui voulait me rencontrer, je suis entouré de porteurs de petits singes morts dont l’odeur avec la chaleur est nauséabonde. Cela ne semble pas incommoder les propriétaires de singes. Je fus fort content d’arriver à Libreville et de respirer un air moins vicié. Circonstance plus aimable, je fus invité à un banquet au palais présidentiel le jour de la fête nationale.
Asie (1994-1998)
1/ À Hanoi, le pont Paul Doumer, fut construit par ce gouverneur en 1902. Il traverse le Fleuve rouge à Hanoi pour ouvrir la voie vers le nord du pays : une artère vitale que les Américains avaient bombardée dix fois, dit-on, sans parvenir à détruire ce pont. Il était réparé, plutôt rafistolé après chaque bombardement. Il fut rebaptisé Long Biên par les Vietnamiens après leur indépendance. Mais beaucoup l’appellent encore pont Paul Doumer. Lorsque j’étais dans le pays il fallait le franchir très lentement pour ne pas l’ébranler et risquer qu’il s’effondre. Il a été reconstruit depuis. Il ne faut pas oublier pour comprendre le Vietnam, que ce pays a subi 30 ans de guerre, la plus longue guerre du 20e siècle, d’abord la guerre d’Indochine contre la France, 1946-1954, puis la guerre du Vietnam contre les Américains 1955-1975. Par respect pour leurs morts les jeunes mariés à Hanoi se font encore photographier devant le monument aux morts avant d’engager leur vie commune. Ce rite m’a toujours impressionné, parfois ému. Toutes les familles vietnamiennes comptent des morts de ces guerres !
2/ Hué. La ville forteresse au centre du pays fut la capitale de la dynastie des Nguyên de 1802 à 1945. Elle est traversée par la rivière des parfums. Elle fut endommagée plusieurs fois, par les Français en 1885, puis en 1945, puis pendant l’offensive du Têt en 1968. Il n’en reste pas grand’ chose, mais des souvenirs de grandeur. Dans ses environs subsistent les tombeaux des empereurs Nguyên. Ce sont ces souvenirs que l’on visite, ou plutôt que l’on imagine. C’est une occasion de méditer sur l’histoire et ses péripéties.
3/ Da Nang à proximité de Hué est une cité balnéaire appréciée et très fréquentée avec sa plage de sable fin de My Khe. Mais le site se dégrade. On laisse construire, comme partout en Asie, de hautes tours d’hôtel d’où les touristes sont assurés de voir la mer. Mais elles constituent en se multiplient une haute barrière de bord de mer qui gâche irrémédiablement le site. La protection des sites naturels remarquables n’est pas encore à l’ordre du jour.
4/ Khe Sanh également au Centre du pays, dans la province de Quang Tri, était à proximité de la zone démilitarisée du centre Vietnam durant la guerre. Ce fut le lieu d’une grande bataille entre les Américains et les Vietnamiens en 1968. Elle dura deux mois. Les écoliers y viennent aujourd’hui en autocar avec leurs professeurs qui leur font le récit de la bataille. Certains chahutent. Il n’est pas sûr que les jeunes se passionnent pour ce qui fut une page héroïque de leur histoire.
5/ Hanoi. Une petite fille de 6 à 7 ans, en pleurs est assise au bord du trottoir. Je m’approche pour connaitre la raison de ses larmes et peut-être la consoler. Elle me dit qu’elle a perdu la recette de sa journée et que son patron va la punir. C’était une époque où je comprenais assez le vietnamien pour la comprendre et me faire comprendre. Elle vendait des journaux comme beaucoup de filles. Je lui demande quelle somme elle a perdue. C’était en dongs un peu plus de deux dollars. Généreux je lui donne deux dollars en dongs. Elle me regarde et me dit tristement qu’elle va encore se faire gronder puisqu’il n’y a pas toute la somme requise. Sa réponse m’impressionne. Cette petite fille en sait plus que moi sur les rigueurs de la vie. Je complète ce que je lui ai déjà donné. Le lendemain je la revois au milieu de ses copines avec leur pile de journaux. Elle me salue et ses copines que je n’avais jamais vues aussi. Elle a dû leur raconter son histoire. En quels termes ? Je ne le saurai pas.
6/ Pour aller de Hanoi à la Baie d’Along il fallait franchir plusieurs fleuves en bac. Il y a maintenant des ponts et une belle route continue. Les files de véhicules étaient souvent longues dans l’attente de l’accès au bac. Le petit fanion ACCT de la Francophonie sur ma voiture me donnait un air d’officiel en mission. J’étais alors invité à doubler les véhicules de la file d’attente pour accéder au bac. Notre chauffeur s’y employait. Jusqu’à ce que je me perçoive comme le successeur d’un administrateur colonial qui détenait le pouvoir de contraindre pour imposer sa priorité. Et, dans une sorte de remord, j’abandonnai ce droit indu à la priorité la fois suivante.
7/ Il fait parfois très chaud au Vietnam. Les fenêtres de notre voiture sont fermées et la climatisation fonctionne à fond. Dans l’attente d’un bac nous stationnons depuis un long moment. Un garçonnet s’approche de notre portière et nous propose deux morceaux de pamplemousse. Ils ont l’air succulent. Nous avons soif. J’ouvre la vitre de la portière pour conclure le marché et acheter le pamplemousse. La chaleur extérieure envahit le véhicule. Les deux mondes qui se côtoyaient se rencontrent, celui de la clim confortable et celui de la chaleur insupportable ; le monde des privilégiés et de ceux qui tentent de survivre. Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour mesurer la hiérarchie sociale, la portière d’une voiture a suffi.
8/ La tombe d’Alexandre Yersin à Suoi Dau est proche de Nha Trang. J’y suis allé deux fois, sa tombe était chaque fois fleurie. Dans un pays où règne le culte des ancêtres cela peut s’expliquer. Il est vénéré comme un saint homme, découvreur du bacille de la peste qui endeuillait le Vietnam. Il l’a éradiquée en prenant des risques pour sa propre santé. Il a aussi introduit des productions agricoles nouvelles qui ont enrichi le pays. Il était d’origine suisse et fut naturalisé français car il était respecté pour son action en faveur du peuple vietnamien. Le colonisateur français l’a ainsi annexé, avec son consentement, tirant profit de sa notoriété.
9/ Les séquelles de l’agent orange, ce défoliant à base de dioxine utilisé par les Américains sont encore visibles. 80 millions de tonnes furent déversées pour empêcher les Vietminh de se cacher sous la verdure. La première génération d’enfants anormaux à cause de la dioxine fut suivie d’une seconde également affectée. On craint des modifications génétiques transmissibles et désastreuses. La firme Monsanto productrice de l’agent orange a plaidé non coupable. Elle ne fut que le fournisseur du gouvernement américain. Elle a rempli son contrat. La Vietnamienne Tran To Nga, elle aussi victime de l’agent orange, se bat depuis des années pour obtenir réparations. C’est le gouvernement américain qui est le véritable responsable. Il s’est excusé mais n’est guère allé au-delà.
10/ La villa d’été du dernier empereur du Vietnam, Bao Dai, rétabli par les Français pour faire croire que le Vietnam était indépendant, se situe sur les hauts plateaux à Dalat, une station estivale réputée où on peut même encore accéder en train. Cette grande résidence construite de 1933 à 1938 dans le style moderniste se visite. Dalat appréciée l’été à l’époque coloniale, car moins chaude que la côte, dispose même d‘une cathédrale, la cathédrale Saint Nicolas que fréquentaient les Français. Cette station naguère prospère est quelque peu délaissée depuis la guerre. Elle inspire la nostalgie d’une époque révolue. On peut redescendre de Dalat à Nha Trang sur la côte par une belle route de 140 km, parfois coupée par des glissements de terrain dans la saison des pluies.
11/ Lorsque je suis allé en mission au Vanuatu, le condominium franco-britannique des Nouvelles Hébrides avait déjà pris son indépendance et son nouveau nom. Il y avait donc un ambassadeur de France au Vanuatu qui avait été une possession coloniale. Il m’a aimablement reçu et je me souviens qu’il m’a prêté sa voiture et son chauffeur pour regagner l’aéroport et retourner en Nouvelle Calédonie. J’avais pris du retard et risquais de manquer mon avion. Il m’avait alors semblé que ce jeune ambassadeur n’avait guère envie de passer toute sa carrière au Vanuatu. On le comprend. Sur le chemin du retour l’avion a survolé cinq heures durant l’Australie. Cette île- continent m’a paru d’une superficie impressionnante.
12/ Nouméa. La capitale et principale ville de Nouvelle Calédonie est belle. Elle donne sur la mer par plusieurs anses. S’y promener est délassant. J’y étais après les évènements d’Ouvea, une grotte où s’étaient réfugiés des indépendantistes dont ils furent expulsés après une boucherie, une vingtaine de morts dont trois gendarmes. Michel Rocard a habilement trouvé une solution pour rétablir la paix. Il savait que Djibaou, le leader canaque, et Lafleur, le leader caldoche français, étaient l’un et l’autre, membres de la franc-maçonnerie. Il confia habilement à celle-ci le soin d’enrayer le cycle de la violence et de rétablir la paix. La Nouvelle Calédonie reconnaissante de la poignée de mains de réconciliation entre Djibaou et Lafleur a construit un musée, sur le modèle des cases indigènes, que j’ai visité. Il est dédié à Djibaou car celui-ci fut assassiné par un Canaque extrémiste qui lui reprochait d’avoir pactisé avec le pouvoir colonial. Depuis, de référendum en référendum le corps électoral confirme le rattachement à la France mais avec des majorités qui s’amenuisent. Le « caillou » étroit mais long de 400 km, est très arrosé dans sa partie orientale. Elle est peuplée d’ethnies différentes aux langues diverses, régies par la coutume. La partie occidentale est consacrée à l’élevage bovin par des Français. Les relations entre est et ouest sont souvent délicates, m’a-t-on dit.
Conclusion
Pourquoi suis-je aller vivre d’abord en Afrique, puis au Vietnam ? Certes des occasions se sont présentées. Mais je crois avoir été attiré par les régions où je pensais que se faisait l’histoire, d’abord en Afrique juste après les indépendances. J’enseignais dans une école, l’Ecole nationale d’économie appliquée, tout juste créée à Dakar pour former les premiers cadres africains après le départ des Français. C’était passionnant. Le premier plan de développement du Sénégal était la base de mon enseignement. Tous les étudiants sénégalais étaient convaincus que l’indépendance serait une renaissance.
Je suis allé au Vietnam plus tard, après le départ des Américains désabusés, vaincus. Comment un si faible pays avait-il réussi cet exploit ? Je ne suis jamais parvenu à donner une réponse claire à cette question. C’est, disait Ho Chi Minh, la volonté de vaincre qui fait la victoire et non les armes dont-on dispose. Les Américains sont partis par lassitude. Soucieux de rétablir des liens avec la France pour élargir son réseau de solidarité, le Vietnam communiste lui en a fait la demande. La France, après trois ans d’hésitation, a accepté sous couvert de Francophonie. Ce fut ma chance. Le souvenir de la France était redevenu positif. On me soulignait ses réalisations telle l’Institut Pasteur, le réseau postal, les musées, les routes et chemins de fer, alors que les Américains n’avaient fait que des destructions pour éradiquer le communisme. En vain !
À Xian dans le Shaanxi, la grande pagode de l’oie sauvage est impressionnante, construite au 7e siècle, en brique et haute de 60 mètres. Elle abritait les sutras du Bouddha, rapportés de l’Inde, c’est une pagode qui exprime le sacré.