La guerre mondiale des Ondes , de Sébastien Dumoulin, Tallandier, mars 2021

La 5G est le coeur d’une bataille géopolitique. Certes, les batailles industrielles existent mais jamais dans les proportions observées avec la 5G où se sont des États qui se battent et non plus des entreprises. La directrice financière de Huawei, fille du fondateur, arrêtée à Vancouver le 1er décembre 2018 au motif d’avoir violé les sanctions contre l’Iran, a été libérée le 25 septembre 2021. 

Que s’est-il passé pour qu’il y ait une telle arrestation ? La 5G pourrait-elle provoquer une 3guerre mondiale avec ses milliards de dollars d’investissements en jeu ou provoquer un conflit majeur entre la Chine et les États-Unis, les deux puissances technologiques du XXIe siècle et les deux premières économies du monde ? La société est-elle au coeur d’un service d’espionnage chinois ? Huawei émerge début 2010. Sur l’avalanche de révélations de Snowden en 2013, une est passée inaperçue : les services secrets américains avaient piraté Huawei. L’année 2016 est le top départ de la 5G et pour Huawei tout est déjà près. En 2019, la 5G n’est pas encore lancée et Huawei fabrique des smartphones haut de gamme. Le président Trump décide de mettre Huawei à terre en l’empêchant d’utiliser certains produits américains comme gmail ou Google et en décidant de couper ses approvisionnements sur les semi-conducteurs. Cette guerre économique est une longue histoire avec un consensus entre républicains et démocrates contre le fabricant chinois. Leurs accusations martèlent que Huawei sert l’espionnage chinois sans jamais apporter de preuve.

 

L’auteur Sébastien Dumoulin, journaliste aux Echos, retrace ici l’histoire de Huawei pour expliquer la guerre technologique sino-américaine de ces dernières années. Quel rôle joue Huawei, entreprise à la réussite insolente devenue en 20 ans le fer de lance de la technologie chinoise et la bête noire des services américains ?

En France, les opérateurs investissent 3 milliards d’euros par an dans leurs réseaux mobiles auxquels s’ajoute le coût des fréquences radio. À l’automne 2020, l’ARCEP met aux enchères ses nouvelles fréquences dédiées à la 5G : Orange, SFR, BT et Free, versent à Bercy 2,8 milliards €. En Allemagne et en Italie, cela coûte beaucoup plus cher aux opérateurs : 6 milliards €. La 5G porteuse d’innovations, permet le découpage de tranches virtuelles et est de très faible latence (envoi très court entre le signal émis et la réponse). Les 1ères antennes 5G sont de Huawei avec des expérimentations en grandeur nature. L’entreprise est alors n° 1 mondial du secteur avec environ un tiers du marché devant Ericson et Nokia. Au moment où la fortune sourit à Huawei, ses grands concurrents accumulent les ennuis. À moins que ce ne soit Huawei qui les ait provoqués ? 

L’ingénieur Ren Zhengfei, fonde Huawei en 1987 avec 5000 $. Il fait alors de la revente de commutateurs étrangers achetés à Hong Kong, ainsi que la mise au point d’un commutateur numérique et sa stratégie  est l’encerclement des villes par les campagnes : au lieu de démarcher les grands clients métropolitains, il s’adresse aux zones rurales, concevant des modules d’alimentation électrique faisant face aux sautes de courants, équipant ses armoires informatiques de grilles pour éviter l’intrusion des rongeurs. Pour se hisser à un niveau d’excellence, il sort de Chine et affronte la concurrence internationale sur des marchés plus difficiles. Il reproduit, à l’échelle du globe, la stratégie d’encerclement qui lui a si bien réussi. Il participe aux salons internationaux, envoie ses produits par conteneurs. Aujourd’hui, Huawei est présent en Afrique dans 40 des 54 pays du continent.

Si en 2001, Huawei signe un contrat avec Neuf Télecom pour le réseau fixe de l’opérateur, en décembre 2004,  l’annonce du rachat par Lenovo pour 1,8 milliards $ des PC Thinkpad de IBM éclipse un autre contrat de Huawei avec le Hollandais Telfort pour 400 millions € : Huawei vient de vendre son premier réseau mobile 3G au cœur de l’Europe, à la barbe d’Alcatel, Nokia et Ericsson. L’ampleur de la menace pour les leaders installés (Alcatel, Cisco, Ericsson, Lucent, Nortel) est qu’aujourd’hui, 3 sur 5 n’existent plus et les deux restants sont largement distanciés. Puis Huawei fait son entrée dans la cour des grands en se voyant attribuer une part d’un colossal marché de refonte du réseau fixe de British Telecom (BT) : « 21st Century Network », évalué à 10 Mds de livres sterling. L’Europe devient un Eldorado pour Huawei. En 2019, c’est encore son 2e marché derrière la Chine, avec 30 % des ventes.

Huawei attire des scientifiques étrangers (700 mathématiciens, 800 physiciens, 120 chimistes, 6 à 7000 experts spécialisés en recherches de base, 60 000 ingénieurs supérieurs et ingénieurs de tous les domaines. Son campus de Dongguan à Shenzhen, ouvert en début 2019 après 3 ans de travaux et 1, 3 Md €, compte 25 000 chercheurs. Au fur et à mesure de sa progression, Huawei investit, dans la R&D, 10 à 15 % de son chiffre d’affaires par an. Le secret de Huawei dans ses premières années est la formule des Japonais dans les années 1960 et des Coréens dans les années 1970 : obtenir des technologies étrangères et investir dans la R&D pour rester à la hauteur de la conccurrence. Les antennes single RAN sont une des clés du succès de Huawei. L’entreprise propose des équipements moins cher, plus polyvalents et moins consommateurs d’énergie. Début 2020, Huawei est encore vu comme un spécialiste du rapport qualité/prix. Fin 2019, le Chinois a 85 000 brevets à son actif dont la moitié est déposée en Europe ou aux États-Unis. La réussite de Huawei se fait en 3 décennies dans les équipements télécoms et dans les terminaux et en moins de 15 ans pour se hisser en 2e position de vendeurs de smartphones (240 millions de téléphones en 2019, 67 milliards USD). 

En 20 ans, les grandes marques s’évanouissent : Alcatel, Nokia, Motorola [qui a cédé à Google qui a échoué puis a revendu à Lenovo], Ericsson [malgré une JV avec Sony]. Aucun n’a su gérer le virage brusque de l’arrivée des smartphones, après qu’Apple a dévoilé l’Iphone en 2007. Idem pour Blackberry qui a disparu en un temps record. Huawei a eu de la chance d’arriver tard sur le marché en 2004 pour son smartphone et n’avait pas de vache à lait à protéger. Il mise sur le système d’exploitation racheté par Google, Android, et n’hésite pas à les fabriquer en marque blanche. Huawei n’a aucune intention de se cantonner dans l’entrée ou le milieu de gamme. 

Dans la 2e partie des années 2010, la montée en puissance d’une multitude d’acteurs chinois (oppo, Vivo, Xiaomi, TCL, Wiko) éreinte les quelques acteurs historiques du milieu de gamme comme le sud-coréen LG ou le japonais Sony, incapable de suivre technologiquement Apple et Samsung, ou de concurrencer la structure de coût des nouveaux venus. Huawei s’échappe de ce piège par le haut avec des ressources financières et des équipes de recherche. Son avantage fondamental est sa filiale HiSilicon qui se consacre à la conception de puces électroniques, élément le plus cher après l’écran et le plus déterminant dans ses performances. Elle conçoit des SoC, petits carrés de silicium [avec un processeur composé de plusieurs coeurs, un calculateur graphique, un modem, d’autres puces spécialisées dans le traitement d’images] permettant aux téléphones mobiles de devenir des monstres de calcul. 

L’industrie s’alimente essentiellement pour le haut de gamme chez Qualcom dont SnapDragon a longtemps été la référence du secteur et chez Mediateck (Taïwan) pour le moyen de gamme. Sinon, il n’y a guère qu’Apple à avoir conçu ses propes SoC, Samsung avec ses SoC Exynos et Huawei avec Kirin. Maîtriser ce cerveau du téléphone est un fait d’armes technologique.

À l’automne 2020, Huawei dévoile son modèle haut de gamme (Mate 40), et le Kirin 9000 est le 2e processeur mobile au monde, après la puce A14 d’Apple, à bénéficier  d’une finesse de gravure des transistors de 5 nm (15 millards de transistors pour le Kirin 9000). La capacité de Huawei à concevoir [et non à fabriquer] de telles puces, parmi les meilleures au monde, lui permet de se positionner comme un acteur haut de gamme. Certains modèles ont dépassé la barre symbolique des 1000 €. L’un de ses modèles, fait en partenariat avec Porche à 2300 €, dit la puissance acquise par Huawei.

 L’auteur – français – raconte dans le détail la manière dont les concurrents américains de Huawei essayent de l’éliminer. Ce livre se lit comme un roman d’espionnage. Très intéressant.

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