La France et l’Inde des origines à nos jours, Tome 3 : regards croisés, Jacques Weber, Les Indes savantes, 2021

I- Recension de l’ouvrage   //  II- Résumé de l’ouvrage

I- Recension de l’ouvrage

Historien reconnu, professeur émérite de l’Université de Nantes, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, Jacques Weber intitule « Regards croisés » le tome 3 de son ouvrage « La France et l’Inde des origines à nos jours ».

Comme dans les deux premiers tomes, l’auteur cite abondamment ses sources, nombreuses, et reproduit systématiquement des extraits des personnages mentionnés, ce qui justifie, voire renforce son argumentation. Il a abondamment lu, confronté les sources, décelé et rectifié les erreurs des analyses faites par les voyageurs, écrivains et artistes français ayant traité de l’Inde. Fort de sa vaste culture, l’auteur donne son opinion sur le bien-fondé des jugements de tous ces Français, attribuant le cas échéant leurs erreurs d’appréciations à un manque de connaissances sur l’Inde. Il réhabilite certains savants injustement restés dans l’ombre et au contraire relativise les apports de certains autres. Il a aussi utilisé en les citant les travaux de ses étudiants et d’étudiants d’autres universités, ce qui complète fort bien son champ de recherche.

Comme le montre son titre, le tome  de 674 pages retrace les analyses faites de l’Inde par les Français et celles faites de la France par les Indiens.

Ce tome de 674 pages comprend 3 parties se décomposant en neuf chapitres. Certains des chapitres sont agrémentés de photographies en noir et blanc incorporées dans le corps du texte et de photographies en couleur regroupées en fin de chapitre.  La première partie appelée « Les Indes savantes » traite de l’Inde vue par nos philosophes, nos romantiques et nos indianistes. La seconde partie, « L’Inde de l’à-peu-près », traite de l’art lyrique et de la peinture et de l’Inde des voyageurs, du roman populaire. La troisième partie, « La France et l’Inde au XXe siècle », traite du goût de la France en Inde, des relations de Tagore et de Gandhi avec la France et de l’indépendance indienne perçue depuis la France. Des personnages aux facettes multiples sont parfois mentionnés dans différents chapitres.

Dans la première partie de l’ouvrage se trouve un véritable répertoire de tout ce qui a été écrit de sérieux sur l’Inde par des Français et quelques étrangers. L’auteur classe les érudits : romantiques, universitaires, catholiques, philosophes, archéologues, hommes de terrain, naturalistes, librettistes…

Effleurées dans les tomes 1 et 2, les réflexions sur l’Inde des philosophes et des encyclopédistes sont développées dans le tome 3. Les philosophes français du XVIIIe siècle, à l’exception de Jean-Jacques Rousseau, ont beaucoup écrit sur l’Inde mais en commettant de nombreuses erreurs. L’Orient, tout particulièrement l’Inde, fascine les romantiques. Sylvain Lévi domine l’indianisme français dans la première moitié du XXe siècle. Son disciple Louis Renou publie une grammaire du sanskrit et une œuvre magistrale, Études védiques et pâninéennes. Émile Guimet crée à Lyon un musée orientaliste qui, transféré à Paris, porte son nom. Au début du XXe siècle, le général de Beylié perd le fruit de son travail d’archéologue en Inde à cause d’un contrôle tatillon des Britanniques. Empêchés de travailler dans l’Inde britannique, des indianistes français travaillent sur sa périphérie, notamment au Népal et en Afghanistan ainsi qu’au Cambodge.

L’auteur rappelle la contribution déterminante de tous ces savants français à la connaissance de l’Inde tout en déplorant que ce pays reste peu connu en France. On leur doit de passionnantes descriptions du système des castes.

La deuxième partie décrit les ouvrages de fiction et les œuvres d’art faisant référence à l’Inde. Pour la plupart, leurs auteurs s’affranchissent très largement de la vérité historique. Jacques Weber répertorie et analyse les représentations en France de l’Inde sur les scènes théâtrales, à l’opéra, dans la musique et dans la peinture. Le fanatisme des Brahmanes et la satî sont évoqués et condamnés. Mais, parfois, l’hinduisme est innocenté. Globalement, les impressions positives à l’égard de l’Inde demeurent dans les récits de voyage et les romans.

L’auteur s’étend longuement sur les perceptions des voyageurs aux XIXe et XXe siècles, plus précisément de 1850 à 1940 à l’égard de l’Inde dans sa globalité. Certains ont conduit des missions scientifiques mais la plupart ont recherché l’agrément par le dépaysement. Souvent, leurs récits ne reflètent donc pas l’Inde réelle mais décrivent plutôt une Inde imaginaire qui fait rêver et qui parfois effraie par sa cruauté. L’hindouisme suscite des critiques mais aussi des louanges. Ces voyageurs visitent souvent les mêmes lieux, Pondichéry bien sûr mais aussi Madras, Calcutta, Bombay, Delhi, Lucknow, Madurai, Bénarès, Agra et plus rarement Lahore. Certains s’aventurent dans des régions peu communes comme le Deccan, le Cachemire et même les zones tribales aux confins afghans. Ils se déplacent en chars à bœufs, sur des chameaux et plus tard en chemin de fer. Parmi les voyageurs qui se déplacent souvent en train grâce au développement du réseau ferré figurent quelques militaires. Pierre Loti, officier de marine, est le plus connu de ces militaires ayant sillonné l’Inde. Plusieurs pages lui sont consacrées en plus de plusieurs brèves mentions ailleurs dans ce tome 3. Il découvre la complexité de l’Inde qu’il reconnaît ne pas comprendre. Mais au contact des Brahmanes, il prend conscience de la tolérance et de la grandeur de l’hindouisme. Quelques voyageurs expliquent la conquête de l’Inde par les musulmans puis par les Britanniques par la tolérance, le pacifisme et la mollesse du peuple. Certains dénoncent l’arrogance des Anglais à l’égard des indigènes tout en admettant parfois leur efficacité et les bienfaits apportés par la construction de routes, de voies ferrées et de canaux, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Beaucoup de voyageurs remarquent la lourdeur de l’impôt foncier. Les manufactures anglaises ont tué le métier à tisser. Les voyageurs accusent les Britanniques d’avoir trop longtemps laissé l’agriculture dépérir. Après avoir négligé l’entretien des infrastructures d’irrigation construites dans des temps plus anciens par des souverains hindous, tamouls notamment, ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que les colonisateurs construisirent des canaux. Leur cupidité, la pression fiscale qu’ils imposent à leurs sujets, la ruine qu’ils provoquent des industries locales et des artisans et les atteintes à certaines pratiques religieuses paraissent aux voyageurs les causes parmi d’autres de la révolte de 1857. Les voyageurs estiment que les Britanniques ne seraient jamais venus à bout des insurgés sans la fidélité et l’aide apportée par les Sikhs, des Gurkhas et des Pachtouns. De plus, l’Inde dravidienne ne s’est pas ralliée aux mutins. De ce fait, la révolte n’a pas revêtu une ampleur nationale, se limitant à la plaine du Gange. Quelques voyageurs attribuent aux Britanniques une part de responsabilité dans les famines qui déciment le pays à la fin du XIXe siècle et dénoncent leur indifférence face aux épidémies de peste en particulier. D’autres considèrent que les Indiens eux-mêmes en sont responsables par leurs négligences en matière sanitaire et leur refus de la médecine occidentale. Dans l’ensemble, les voyageurs français s’intéressent peu au nationalisme indien qui prend naissance. Ils ne le considèrent pas comme important. En cas de rébellion des hindous, les musulmans feront cause commune avec les Britanniques, estiment certains.

L’auteur analyse ensuite le roman populaire en Inde. À partir des années 1830 et 1840, l’image de l’Inde se dégrade. Elle sert de décor à des romans qui décrivent l’Inde de manière parfois rocambolesque et approximative, en invitant au rêve et au voyage. Beaucoup d’auteurs la tournent en dérision. Ils la trouvent déroutante et dénoncent la condition des femmes et les sacrifices perpétrés dans les temples. Leurs œuvres fourmillent parfois d’absurdités. La dénonciation de l’hindouisme sert la cause de l’anticléralisme et de l’irréligiosité mais cette religion  promeut le patriotisme face aux Anglais, vivement critiqués.

La troisième partie décrit les relations entre la France et l’Inde au XXe siècle. L’auteur traite du goût de la France en Inde. Les élites bengalies éprouvent un vif intérêt pour la littérature, la philosophie et les idées politiques de notre pays. À défaut d’une politique de l’État français, des initiatives privées se manifestent.

Les Parsis, chassés de leur pays d’origine, la Perse, réfugiés en Inde, tout particulièrement à Bombay attirent l’attention des voyageurs français par leur générosité, leur intérêt pour l’éducation (qui se manifeste par le soutien à des institutions existantes mais aussi par la création de nouveaux établissements comme le collège Elphinstone à Bombay), leur préoccupation de santé publique (qui se traduit par la construction d’hôpitaux). La culture française les intéresse. Réciproquement, certains Français étudient la religion et la langue des parsis. Le développement de l’apprentissage du français à Bombay, sans aucune aide des autorités nationales françaises indifférentes à l’Inde, inquiète les Britanniques qui redoutent la propagation d’idées révolutionnaires. Dans le sud de l’Inde, les missionnaires français dirigent de nombreuses écoles. Ils dénotent dans leurs élèves de réelles aptitudes et une motivation sans faille. Ils ont contribué à la formation des élites indiennes. Mais l’influence française s’estompe après la Seconde Guerre mondiale et l’indépendance, face à la concurrence des Allemands dont la langue est considérée comme un véhicule scientifique et des Russes. L’apathie de notre pays explique ce déclin. Les Alliances françaises ne se développeront que bien après l’indépendance de l’Inde.

L’auteur décrit ensuite les relations de Tagore et de Gandhi avec la France, en relatant notamment leurs voyages dans notre pays. Après la Première Guerre mondiale, des intellectuels constatent le déclin de l’Occident et se tournent vers l’Orient, dont l’Inde. Gandhi affirme la supériorité de l’Asie en opposant la civilisation de l’avoir des Européens à la civilisation de l’être de l’Inde. Malgré plusieurs séjours en France dont certains longs effectués entre 1878 et 1930, Rabindranath Tagore ne parvient pas en dépit de ses efforts à maîtriser la langue française. Sa connaissance de notre littérature demeure limitée. Mais il est subjugué par Paris. La personnalité de Gandhi déconcerte, son message restant difficile à saisir. Mais son concept de non-violence et son pardon à l’égard de l’oppresseur lui attirent des sympathies. Jacques Weber décrit les évènements principaux qui secouent l’Inde après l’indépendance et la manière dont ils sont perçus en France, par les médias et marginalement par les autorités.

Dans ce tome, l’auteur nous rappelle des pans de l’histoire de l’Inde, telle qu’elle est perçue par les Français qui se sont intéressés à ce pays de manières les plus diverses, par des études et/ou des voyages. Il s’exprime rarement à titre personnel. Il le fait notamment pour regretter l’indifférence de la France à l’égard de l’Inde pendant la période historique qu’il décrit, un effacement qu’il attribue à la volonté française de ne pas froisser les Britanniques et aussi après l’indépendance à la guerre en Indochine.

La lecture de ce tome passionnera tous ceux qui s’intéressent aux relations qu’ont entretenues dans le passé la France et l’Inde. Jacques Weber est sans doute le seul chercheur à s’être intéressé à tous les contacts entretenus entre Français et Indiens au fil des siècles. C’est dire tout l’intérêt de ce tome, facile à lire, au style clair et fort bien structuré.

Alain Lamballe, Asie21

 

II- Résumé de l’ouvrage

Historien reconnu, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, Jacques Weber intitule « Regards croisés » le tome 3 de son ouvrage « La France et l’Inde des origines à nos jours ».  

Comme le montre son titre, le tome  de 674 pages retrace les analyses faites de l’Inde par les Français et celles faites de la France par les Indiens. L’auteur montre les jugements de valeur, parfaitement exacts, mais aussi les erreurs d’appréciations, fautes de connaissances.

Ce tome de 674 pages comprend 3 parties se décomposant en neuf chapitres numérotés sans discontinuité. La première partie appelée «  Les Indes savantes » traite de l’Inde vue par nos philosophes, nos romantiques et nos indianistes. La seconde partie, « L’Inde de l’à-peu-près », traite de l’art lyrique et de la peinture et de l’Inde des voyageurs, du roman populaire. La troisième partie, « La France et l’Inde au XXe siècle », traite du goût de la France en Inde, des relations de Tagore et de Gandhi avec la France et de l’indépendance indienne perçue depuis la France. Des personnages aux facettes multiples sont parfois mentionnés dans différents chapitres.

Dans la première partie de l’ouvrage (pages 11 à 210) se trouve un véritable répertoire de tout ce qui a été écrit de sérieux sur l’Inde par des Français. L’auteur classe les érudits : romantiques, universitaires, catholiques, philosophes, archéologues, hommes de terrain, naturalistes, librettistes.

L’auteur cite des analyses de très nombreux Français et quelques étrangers, écrivains, artistes ou autres, sur les élites indiennes et l’Inde. Il décrit avec précision les analyses faites par des savants français du système des castes.

Le chapitre 1 (pages 13 à 53) est consacré aux philosophes français du XVIIIe siècle, qui, à l’exception de Jean-Jacques Rousseau, ont beaucoup écrit sur l’Inde mais en commettant de nombreuses erreurs. Ils ne semblent pas avoir utilisé les études de Challe, Tavernier et Bernier ni celles des autres Européens. Diderot, nous dit l’auteur, n’est jamais allé en Inde. Il en est de même pour les autres philosophes de ce siècle.

Dans les Lettres persanes, Montesquieu se contente d’évoquer les parsis, la sati et la réincarnation. Il s’étend davantage sur l’Inde dans L’Esprit des lois. Pour lui, la misère indienne s’explique par la prise de possession des terres par l’Empire moghol, la religion et le climat. Il attribue une grande importance au climat contribuant à la langueur des Indiens, défavorisés par rapport aux habitants des pays tempérés et nordiques. Il considère que la femme indienne vit recluse et humiliée à cause du régime despotique présent jusque dans les familles. L’auteur souligne que Montesquieu semble ignorer que l’Inde fournit près du quart des richesses mondiales. Montesquieu a noté le caractère sacré du Gange. Selon lui, la croyance en la transmigration de l’âme explique le respect des Indiens pour toutes les formes de vie et la vénération qu’ils portent pour la vache. Il reconnaît le fondement religieux du système des castes. Il note la haine que les hindous et les musulmans se portent mutuellement. En fait, Montesquieu ne connaît pas l’Inde. Il confond hindouisme et bouddhisme.

Diderot reconnaît que ses connaissances sur l’Inde sont limitées. Il ignore les études d’Anquetil-Duperron. De fait, il commet les mêmes erreurs que Montesquieu. L’hindouisme serait une religion de « l’assouplissement de l’esprit ». Pour lui, comme pour Montesquieu, c’est la croyance en la métempsychose qui explique le respect de la vie animale par les hindous. Et pourtant, comme Montesquieu, il admet l’ancienneté de la civilisation indienne et son influence sur les Grecs. Diderot cite l’invention par les Indiens du jeu d’échecs, des chiffres apportés en Europe par les Arabes, leurs connaissances de l’astronomie, leur habileté en orfèvrerie. Il affirme son admiration pour le sanskrit, une langue parfaite. Pour Diderot, la responsabilité de la déchéance hindoue repose sur les Brahmanes, refusant de partager leur savoir afin de maintenir les populations dans l’ignorance et affirmant leur autorité grâce au système des castes, un véritable esclavage. Le philosophe dénonce aussi le joug des Moghols puis des Britanniques, accusés de pillages systématiques et d’indifférence lors des famines, notamment celle au Bengale en 1769-1770. Il exprime son scepticisme à l’égard de la prétendue supériorité des Européens. En réalité, il ne condamne pas la colonisation, préconisant seulement qu’elle soit plus humaine et libérale, tout en affirmant que l’Europe doit éclairer le monde.

Voltaire, intéressé surtout par la Chine, a porté son attention sur l’Inde assez tardivement. Il a cherché à démontrer que des civilisations orientales existaient bien avant celles de l’Europe, affirmant qu’elles étaient plus tolérantes que le christianisme et l’islam. Il mentionne l’invention par l’Inde du système décimal, du zéro, du jeu d’échecs et ses découvertes en astronomie  et en géométrie. Bien avant les autres, les Indiens ont reconnu un dieu unique. Pour Voltaire, l’Inde est la clé de tout. L’indulgence de Voltaire se manifeste dans sa perception de l’hindouisme, qualifié de tolérant mais ferme dans les convictions. À vrai dire, le philosophe est fasciné par l’Inde ancienne mais dénonce son évolution négative due aux Brahmanes soucieux de préserver leur prédominance. Ses affirmations montrent la fausseté de la chronologie à laquelle il se réfère. Il ignore l’existence du Mahâbhârata, relatant la guerre entre les Pândava et les Kaurava, ce qui fait croire, à tort, que les hindous ont horreur du sang. Il s’est aussi intéressé à l’Empire moghol, aux luttes franco-britanniques et aux rivalités entre Dupleix et La Bourdonnais. Il a critiqué la violente colonisation portugaise.

Lamennais a lu de nombreuses traductions d’œuvres de l’antiquité indienne et en tire la conclusion que l’Occident ne peut ignorer le berceau que fut l’Inde de la religion, des arts et des sciences.

 

Dans le chapitre 2 (pages 55 à 87), l’auteur s’intéresse aux regards portés sur l’Inde par les romantiques. L’Orient, tout particulièrement l’Inde, les fascine.

Stendhal fut incité à vivre à Pondichéry, pour y faire fortune avant de se lancer dans la littérature. Mais il ne s’y rendit pas. Cette idée que l’on peut s’enrichir rapidement en Inde est colportée au cours de la première moitié du XIXe siècle par Balzac, Théophile Gautier et Alexandre Dumas père. Enfant, Théophile Gautier a rêvé de l’Inde qu’il ne visitera jamais mais la découvre à Londres en 1851 grâce à l’exposition universelle. La misère et les coutumes barbares y sont aussi exposées mais l’écrivain retient ce qui fait la beauté de l’Inde. Charles Baudelaire n’a pu aller en Inde qu’il voulait connaître mais ce pays l’a inspiré dans certains poèmes. Gustave Flaubert rêva de l’Inde mais ne s’y est jamais rendu. Le bouddhisme l’attire davantage que l’hindouisme. Sa connaissance de l’Inde est restée superficielle. François-René de Chateaubriand n’est, lui non plus, jamais allé en Inde mais lors de son exil à Londres il prit connaissance des travaux des indianistes anglais et s’intéressa au sanskrit. Pour Honoré de Balzac, l’Inde est la source de toutes les religions. Pour Jules Michelet comme pour Edgar Quinet, elle est la matrice du monde, l’origine de toute vie. Lamartine qui a lu des traductions des Veda admire l’Inde qu’il considère comme le berceau de la civilisation, affirmant que sa littérature est plus belle que celle de la Grèce. Influencé par le concept de non-violence, il respecte toutes les formes de vie et devient presque végétarien. L’empreinte de l’Inde transparaît dans ses œuvres. Alfred de Vigny se rapprocha de l’hindouisme et du bouddhisme. Arthur Rimbaud fait souvent référence à la métempsychose. Victor Hugo n’a connu l’Inde que par sa littérature. Les références à l’Inde sont nombreuses dans l’œuvre de l’écrivain. Elles indiquent le plus souvent ses côtés mystérieux, confus voire barbares. Le polythéisme avec ses dieux difformes aux multiples membres, ses superstitions et ses sacrifices sanglants, tel qu’il a été décrit par des missionnaires et des voyageurs, a sans doute influencé Victor Hugo qui d’abord admire l’Inde avant d’éprouver de la répugnance. Leconte de Lisle, né à l’île Bourbon, est allé en Inde avec ses parents alors qu’il était jeune enfant, mais n’y est jamais retourné. Il a pris connaissance des grandes épopées indiennes qui l’ont inspiré de même que l’Inde moghole. Ses œuvres s’écartent de la réalité historique et il commet des erreurs sur les monuments et les religions de l’Inde. Mallarmé a lu de nombreux ouvrages sur l’Inde et sur la langue sanskrite. Ses poèmes font penser à l’Inde.

En fait, les grands écrivains français possèdent de solides connaissances livresques sur l’Inde qu’ils n’ont jamais visitée. À l’inverse, les voyageurs français connaissent le terrain mais ignorent les grandes œuvres littéraires de l’hindouisme.

Le long chapitre 3 (pages 89 à 210) traite l’Inde des indianistes et conclut la première partie. Au XVIe siècle, la connaissance de l’Inde s’améliore grâce aux Portugais. Au XVIIe siècle, les jésuites apprennent les langues. Robert de Nobili peut être considéré comme le fondateur de la science indianiste. Des Français, comme Tavernier et Bernier, décrivent l’Inde avec précision. Parmi les jésuites, se distingue Jean-François Pons qui envoie à la bibliothèque du roi de France de nombreux ouvrages relatifs à l’hindouisme. Ces livres serviront de base à l’élaboration des premiers dictionnaires et des premières grammaires de sanskrit et de tamoul. Un autre jésuite français, Gaston Laurent Coeurdoux, s’intéresse à la civilisation indienne et aux techniques tinctoriales des Indiens. Il connaît le tamoul, le télougou et le sanskrit. Il découvre l’analogie entre le sanskrit, le latin, le grec et le russe, devenant ainsi le fondateur de la philologie comparée. Mais il se trompe quand il réfute les thèses de Voltaire sur l’antériorité de l’Inde et quand il situe le bouddhisme avant le brahmanisme. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron enrichit la bibliothèque du roi et contribue à la connaissance de l’Iran ancien. Grâce au bibliothécaire de Paris, Hubert-Pascal Ameilhon, naissent diverses institutions comme l’École des langues orientales vivantes et la Société asiatique. Louis-Mathieu Langlès est à l’origine de l’École des langues orientales vivantes. Antoine Isaac Silvestre de Sacy promeut  l’enseignement de l’hindoustani, confié à Joseph Héliodore Garcin de Tassy qui n’a jamais séjourné en Inde. Ce dernier, auteur de la première grammaire de cette langue fait l’objet de critiques. On estime sa grammaire inutile car il existe déjà des grammaires de l’hindoustani en anglais. De plus, c’est la langue des musulmans du nord de l’Inde qui ne se laissent pas convertir. C’est, disent les détracteurs, le tamoul et le bengali qu’il faut enseigner. L’École des langues orientales vivantes et le Collège de France ne se concurrencent pas, ce dernier se consacrant à l’enseignement des langues mortes et savantes. Eugène Burnouf s’affirme comme le grand indianiste du début du XIXe siècle bien qu’il ne soit jamais allé en Inde ; ses travaux lui valent d’être élu à l’Académie des inscriptions et belles lettres et nommé à la chaire de langue et de littérature sanskrites au Collège de France. Il préconise l’enseignement du télougou et du tamoul. Un de ses élèves, Édouard Ariel, peut être considéré comme le fondateur des études tamoules, lesquelles rencontrent en fait peu de succès. Émile Sénart est autre grand sanskritiste ; formé auprès d’indianistes allemands, il s’intéresse à l’histoire des Maurya et se fait connaître grâce à sa connaissance de la grammaire du pâli et du bouddhisme. Son séjour en Inde en 1886-1887 lui donne l’occasion de se faire des amis britanniques et indiens et de rapporter quelques manuscrits. Admis à l’Académie des inscriptions et belles lettres en 1882, il contribue à la création de l’École française d’Extrême-Orient en 1898 et fonde l’Institut de civilisation indienne en 1927 avec Sylvain Lévi et Alfred Foucher. Il organise des missions d’archéologie en Asie centrale, en Inde, en Chine, en Afghanistan.

Un moment négligées, les études sanskrites reprennent avec la création en 1868 de l’École pratique des hautes études. Abel Bergaigne démontre que les structures grammaticales du sanskrit se retrouvent dans les langues anciennes et les langues germaniques. Avec Auguste Barth, il déchiffre les inscriptions sanskrites des temples khmers. L’Institut catholique de Paris ne parvient pas à recruter des professeurs pouvant enseigner les langues indiennes. Il se concentre sur l’enseignement des religions non européennes. Victor Cousin introduit l’enseignement de la philosophie indienne. Un moment oubliée, elle trouve une place importante grâce à Paul-Masson Oursel. Alfred Foucher s’intéresse à l’archéologie, notamment gréco-bouddhique. Il fonde la Délégation archéologique française en Afghanistan que dirige un de ses successeurs, Joseph Hackin. Des naturalistes partent en Inde pour recueillir des végétaux et des squelettes d’animaux exotiques ; ils rapportent aussi des documents. Parmi eux se distinguent Victor Jacquemont et Joseph Elzéar Morénas. Ce dernier affiche aussi une passion pour les langues. C’est peut-être lui et non pas Garcin de Tassy, qui définit pour la première fois ce qu’est l’hindoustani. Il fit un dictionnaire hindoustani ainsi qu’une grammaire, jamais publiés faute de moyens financiers.

De véritables indianistes se rendent en Inde. Parmi eux, Théodore Pavie est passionné par l’hindoustani et le sanskrit et Charles d’Ochoa par l’hindoustani et le marathi. Guy Deleury, un jésuite, s’intéressa plus tard lui aussi au marathi. Palmyr Cordier étudie le sanskrit, le pali, le tibétain et rédige une thèse sur la médecine ayurvédique. Le système des castes fait l’objet d’études de Robert Deliège, Julien Vinson, Esquer, Charles Schœbel et Louis Dumont. L’Inde védique ignorait les castes. Ce sont les Brahmanes qui les ont créées pour assurer leur domination. Sylvain Lévi considère qu’ils ont unifié un monde disparate et chaotique et vante le sanskrit, qualifié de langue parfaite. Célestin Bouglé voit dans le système des castes une hiérarchisation inégalitaire, reposant sur le religieux qui domine le politique. Comme Esquer et Schœbel, il considère que ce système explique la stagnation de l’Inde. Louis Dumont lui aussi constate la suprématie du religieux. Il crée le Centre d’études indiennes en sciences sociales qui deviendra le Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud (CEIAS).

Sylvain Lévi domine l’indianisme français dans la première moitié du XXe siècle. Il maîtrise le sanskrit, le pali, le népali, le tibétain, le chinois et le japonais. Il exerce dans plusieurs disciplines, linguistique, philologie, épigraphie, histoire. Il voyage en Asie du Sud et en Extrême Orient. Des chercheurs étrangers, y compris indiens, suivent son enseignement. Disciple de Sylvain Lévi, Louis Renou publie une grammaire du sanskrit et un œuvre magistrale, Études védiques et pâninéennes. Sous son autorité, Lilian Silburn se spécialise sur le védisme, le bouddhisme et le shivaïsme. Ses recherches portent aussi sur le Cachemire, jusque-là quelque peu négligé. Jean Filliozat, ophtalmologue, étudie le sanskrit, le pâli, le tibétain et le tamoul. Sa thèse de doctorat ès lettres a pour titre La doctrine classique de la médecine indienne. Gràce à lui, l’Institut français de Pondichéry est créé en 1955. Jean Varenne regrette de ne pouvoir s’intéresser à l’Inde contemporaine, délaissée par les universitaires. Il étudie le sanskrit dont il fera une grammaire et les liens entre la Perse et l’Inde. Olivier Lacombe s’intéresse au Vedanta. Conseiller culturel en Inde après 1945, il rencontre Nehru, Indira Gandhi et le mahatma Gandhi, dont il écrira la biographie. Georges Dumézil maîtrise l’arabe et le sanskrit et connaît une trentaine de langues indo-européennes. Madeleine Biardeau passe de nombreuses années à l’étude du Mahâbhârata et du Râmâyana. Des collectionneurs divers, civils et militaires, sont à l’origine de certains musées ou ont enrichi des musées existants français et même étrangers. Émile Guimet crée à Lyon un musée orientaliste qui, transféré à Paris, porte son nom. Au début du XXe siècle, le général de Beylié perd le fruit de son travail d’archéologue en Inde à cause d’un contrôle tatillon des Britanniques. Empêchés de travailler dans l’Inde britannique, des indianistes français travaillent sur sa périphérie, notamment au Népal et en Afghanistan ainsi qu’au Cambodge. Alain Daniélou se lie avec Rabindranath Tagore, s’établit à Bénarès, maîtrise le sanskrit et l’hindi et rejoint Madras. Il fait connaître la musique et la danse indiennes. Des critiques lui reprochent son admiration des Brahmanes, son silence sur les intouchables et son hostilité à l’égard de Gandhi. Partisan du nationalisme hindou, il dénonce les massacres et les destructions de temples par les musulmans. Gabriel Monod-Herzen, un physicien envoûté par l’Inde qui a enseigné à l’université de Rennes, joue un rôle essentiel dans la création d’Auroville. Jean Herbert s’intéresse à l’Inde contemporaine, ce qui lui vaut le dédain des universitaires français. Professeur au lycée d’Alger, Jean Grenier fait découvrir l’Inde à Albert Camus mais celui-ci ne s’y rendra jamais. L’abbé Jules Monchanin est un excellent connaisseur du monde dravidien. Le jésuite Pierre Ceyrac, influencé par Jules Monchanin et Henri Le Saux, acquiert la connaissance de l’Inde en la parcourant. Il étudie le tamoul et le sanskrit. Il épouse la cause des intouchables et crée une ferme modèle près de Madurai. Il est aussi actif à Bombay et à Pune dans le domaine de la santé.

L’auteur conclut ce long chapitre en rappelant la contribution déterminante de savants français à la connaissance de l’Inde tout en déplorant que néanmoins ce pays reste peu connu en France.

 

La deuxième partie (pages 211 à 500) décrit les ouvrages de fiction et les œuvres d’art faisant référence à l’Inde qui s’affranchissent très largement de la vérité historique. Pour la plupart, leurs auteurs, n’y ont jamais vécu et l’ont peu étudiée.

Dans le chapitre 4 (pages 213 à 276), l’auteur répertorie et analyse les représentations en France de l’Inde sur les scènes théâtrales, à l’opéra, dans la musique et dans la peinture. Le fanatisme des Brahmanes et la satî sont évoqués et condamnés. Mais, parfois, l’hinduisme est innocenté. Globalement, les impressions positives à l’égard de l’Inde demeurent dans les récits de voyage et les romans.

Des militaires français ayant bien connu l’Inde l’évoquent dans leurs œuvres. Ainsi, Étienne de Jouy, un officier d’artillerie, parcourt le sud (Malabar, Coromandel) et l’est (Bengale) de l’Inde à la fin du XVIIIé siècle puis se lance dans la littérature. Il écrit notamment un opéra, Les Bayadères, donné le 8 août 1810 en présence de Napoléon. Dans sa tragédie Tippô-Saëb, où il prend des libertés avec l’histoire, il rend hommage à Tipu, le sultan de Mysore, et dénonce la tyrannie des Anglais.

Maurice Ravel exprime sa fascination de l’Orient dans la Shéhérazade. La mer de Claude Debussy révèle une influence indienne. Charles Kœuchlin s’inspire de Rudyard Kipling dans son œuvre majeure symphonique, Le livre de la jungle. Élève de Ravel, Maurice Delage, après avoir visité quatre villes indiennes en 1911-1912, Jaipur, Bénarès, Lahore et Madras, compose quatre poèmes hindous pour une soprano et un ensemble de chambre. Après son voyage de noces en Inde notamment au Rajasthan, Albert Roussel écrit un poème symphonique, Évocations et un opéra-ballet, Padmavati. Olivier Messiaen s’intéresse aussi à la musique indienne pour composer la Turangalîla Symphonie. Dans le domaine de l’opérette, Edmond Audran compose Le grand Mogol.

 L’Inde a attiré les peintres français. Théodore Chassériau réalise le Saint François-Xavier baptisant les Indiens. C’est une exception car les peintres français représentent surtout des paysages, la flore, la faune et des scènes de la vie quotidienne des gens ordinaires et de la haute société. Plusieurs dépeignent la chasse aux tigres alors qu’ils ne sont jamais allés en Inde. Certains se distinguent par leurs aquarelles, leurs huiles sur toile, leurs gravures et leurs lithographies. Quelques scènes de bataille sont représentées. Des peintres s’étant rendus en Inde représentent des prêtres bouddhistes, le Taj Mahal, des temples hindous, des scènes urbaines, le Gange. L’un d’eux, Constant Georges Gasté, produit un tableau à connotation politique antibritannique, La famine en Inde. Théobald Chartran signe un portrait du maharadjah de Kapurthala, Jagatjit Singh, francophone et francophile venant souvent en France. Andrée Karpelès illustre des contes de l’Inde et réalise des portraits. Gustave Moreau, qui n’est jamais allé en Inde, s’en inspire dans certains tableaux dont Le triomphe d’Alexandre achevé vers 1890, représentant la victoire d’Alexandre le Grand sur le roi hindou Porus sur l’Hydaspe (rivière appelée aujourd’hui Jhelum) en 326 avant Jésus-Christ. Avant lui, Charles Le Brun avait peint la même bataille dans son tableau Alexandre et Porus.

 Le sculpteur Auguste Rodin n’a pas copié des statues indiennes mais se basant sur des photographies a rédigé un texte de quelques pages qu’il intitule La danse de Çiva.

 

L’auteur consacre le long chapitre 5 (pages 277 à 402) à l’Inde dans sa globalité vue par les voyageurs aux XIXe et XXe siècles, plus précisément de 1850 à 1940. Certains ont conduit des missions scientifiques mais la plupart ont recherché l’agrément par le dépaysement.  Souvent, leurs récits ne reflètent donc pas l’Inde réelle mais décrivent plutôt une Inde imaginaire qui fait rêver et qui parfois effraie par sa cruauté. L’hindouisme suscite des critiques mais aussi des louanges. Ces voyageurs qui, en général débarquent à Bombay et Colombo, visitent les mêmes lieux, Pondichéry bien sûr mais aussi Madras, Calcutta, Bombay, Delhi, Lucknow, Madurai, Bénarès, Agra et plus rarement Lahore. Certains s’aventurent dans des régions peu communes comme le Deccan, le Cachemire et même les zones tribales aux confins afghans. Ils se déplacent en chars à bœufs, sur des chameaux et plus tard en chemin de fer.

Louis Jacolliot a écrit une bonne quinzaine d’ouvrages consacrés à l’Inde dont il ne perçoit pas la véritable identité. Les missionnaires produisent des livres plus sérieux mais ils ne sont pas toujours objectifs, jugeant parfois grossier et stupide le polythéisme et faisant l’apologie du catholicisme. D’autres voyageurs partageront la même vision négative de l’hindouisme, qualifié même de religion de terreur par Eugène Brieux. C’est aussi le cas de Francis de Croisset qui déplore les sacrifices dans les temples, comme Alexandra David Néel qui, de plus, n’apprécie même pas l’art indien. L’architecture tamoule provoque un réel malaise chez André Chevrillon.

 

Un Breton, Guillaume Lejean, explore le Cachemire, comme Bernier l’avait fait bien avant lui. La célèbre Alexandra David-Néel explore le Tibet mais aussi séjourne longuement au Sikkim. Quelques scientifiques étudient les Parsis. Gustave Le Bon, connu  pour son ouvrage Psychologie des foules, dirige une mission archéologique en Inde. Admirateur de l’art indien, il accuse les Anglais d’avoir utilisé des matériaux provenant de monuments historiques pour construire des routes, des voies ferrées et des ponts. Toutefois, la création de l’ Archœological Survey laisse quelques espoirs. Émile Guimet s’intéresse à l’Asie et en particulier à l’Inde. Il fondera un musée à Lyon, sa ville natale, puis à Paris. Jules Bois consacre un livre sérieux de 434 pages, Visions de l’Inde, à l’Inde qu’il visite au tout début du XXe siècle, de Calcutta jusqu’à la passe de Khyber. Jean Cocteau découvre l’Inde au pas de course en suivant l’itinéraire des héros de Jules Verne.

Parmi les voyageurs qui se déplacent souvent en train grâce au développement du réseau ferré figurent des militaires dont certains ont servi dans l’armée britannique. Pierre Loti, officier de marine, est le plus connu de ces militaires ayant sillonné l’Inde. Plusieurs pages lui sont consacrées en plus de plusieurs brèves mentions ailleurs dans ce tome 3. L’auteur l’avait déjà cité dans le tome 1. L’Académie française envoie Pierre Loti en mission en Inde pour remettre les Palmes académiques au maharajah de Travancore, un motif bien futile. Il en profite pour parcourir l’Inde. Après avoir séjourné à Cochin et à Matancherry, il veut éviter les Anglais mais néanmoins se voit contraint de prendre le train pour rejoindre Madras. Il sort des sentiers battus en parcourant le Deccan. La visite des temples évoque pour lui l’idôlatrie et le rebute. Mais le Taj Mahal l’enchante. Il découvre la complexité de l’Inde qu’il reconnaît ne pas comprendre. Mais au contact des Brahmanes, il prend conscience de la tolérance et de la grandeur de l’hindouisme. Maurice Maindron considère lui aussi que l’hindouisme est une religion de tolérance contrairement à l’islam. Quelques voyageurs expliquent la conquête de l’Inde par les musulmans puis par les Britanniques par la tolérance, le pacifisme et la mollesse du peuple. Certains dénoncent l’arrogance des Anglais à l’égard des indigènes tout en admettant parfois leur efficacité et les bienfaits apportés par la construction de routes, de voies ferrées et de canaux, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Beaucoup de voyageurs remarquent la lourdeur de l’impôt foncier. Les manufactures anglaises ont tué le métier à tisser. Les voyageurs accusent les Britanniques d’avoir trop longtemps laissé l’agriculture dépérir. Après avoir négligé l’entretien des infrastructures d’irrigation construites dans des temps plus anciens par des souverains hindous, tamouls notamment, ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du XIXe siècle qu’ils construisirent des canaux. La cupidité des colonisateurs, la pression fiscale qu’ils imposent à leurs sujets, la ruine qu’ils provoquent des industries locales et des artisans et les atteintes à certaines pratiques religieuses paraissent aux voyageurs les causes parmi d’autres de la révolte de 1857. Les voyageurs estiment que les Britanniques ne seraient jamais venus à bout des insurgés sans la fidélité et l’aide apportée par les Sikhs, les Gurkhas et les Pachtouns. De plus, l’Inde dravidienne ne s’est pas ralliée aux mutins. De ce fait, la révolte n’a pas revêtu une ampleur nationale, se limitant à la plaine du Gange. Quelques voyageurs attribuent aux Britanniques une part de responsabilité dans les famines qui déciment le pays à la fin du XIXe siècle et dénoncent leur indifférence face aux épidémies de peste en particulier. D’autres considèrent que les Indiens eux-mêmes en sont responsables par leurs négligences en matière sanitaire et leur refus de la médecine occidentale. Dans l’ensemble, les voyageurs français s’intéressent peu au nationalisme indien qui prend naissance. Ils ne le considèrent pas comme important. En cas de rébellion des hindous, les musulmans feront cause commune avec les Britanniques, estiment certains.

 

L’auteur consacre le chapitre 6 (pages 403 à 500) au roman populaire en Inde. À partir des années 1830 et 1840, l’image de l’Inde se dégrade. Elle sert de décor à des romans qui décrivent l’Inde de manière parfois rocambolesque et approximative, en invitant au rêve et au voyage. Beaucoup d’auteurs la tournent en dérision. Ils la trouvent déroutante et dénoncent la condition des femmes et les sacrifices perpétrés dans les temples. Leurs œuvres fourmillent parfois d’absurdités. La dénonciation de l’hindouisme sert la cause de l’anticléralisme et de l’irréligiosité mais aussi promeut le patriotisme face aux Anglais, vivement critiqués. Louis Jacolliot dénonce la brutalité des Anglais et loue la colonisation française. Les auteurs de fiction relatent les crimes des Thugs, ces assassins qui étranglent leurs victimes. Certains leur accordent une vertu, la lutte contre les colonisateurs britanniques. Jules Verne clame la puissance des colonisateurs britanniques et la barbarie des hindous. Les parsis trouvent grâce à ses yeux. Dans La maison à vapeur, il décrit fort bien Lucknow et Bénarès et dénonce les atrocités britanniques qui ont suivi la révolte de 1857, faisant selon la majorité des historiens au moins 100 000 morts et probablement plusieurs centaines de milliers.

Tous les auteurs ne dénigrent pas l’Inde et les Anglais. Dans Les nouvelles asiatiques, le comte Arthur de Gobineau retrace la vie d’un illustre magicien indien sans tomber dans les extravagances et les dénigrements. Joseph Méry estime que les Anglais mènent une œuvre civilisatrice. Pierre Benoît admire l’armée des Indes bien qu’il critique ses excès en Birmanie.

La troisième partie (pages 501 à 674) décrit les relations entre la France et l’Inde au XXe siècle.

Dans le chapitre 7 (pages 503 à 578), l’auteur traite du goût de la France en Inde. Le grand mathématicien André Weil enseigne à l’université musulmane d’Aligarh de 1930 à 1933. Les élites bengalies éprouvent un vif intérêt pour la littérature, la philosophie et les idées politiques de notre pays. Jyotindranath Tagore, doué de multiples talents en littérature et dans les arts, traduit en bengali des œuvres françaises, pièces de théâtre, poèmes, romans, récits de voyage (dont L’Inde sans les Anglais de Pierre Loti)… Mais c’est son jeune frère, Rabindranath Tagore, lauréat du prix Nobel de littérature en 1913, qui connaît la célébrité. Rousseau exerce une profonde impression sur Bankim Chandra Chatterji, le père du roman bengali. Divers écrivains bengalis traduisent des œuvres françaises. L’un d’eux, poète de génie, Madhusudan Dutt, adore la France et s’installe à Versailles dans les années 1860. Deux sœurs, Toru Dutt et Aru Dutt maîtrisent complètement le français comme l’anglais, en plus du bengali. Bien que mortes très jeunes, elles se distinguent notamment en traduisant Les fleurs du mal de Baudelaire. C’est sous la signature de Toru Dutt que paraît le premier roman écrit en français par un Indien, Le journal de Mademoiselle d’Arvers. À défaut d’une politique de l’État français, des initiatives privées se manifestent. Le violoniste Philippe Sandré crée l’École de musique de Calcutta qui forme pendant de longues années des musiciens bengalis.  L’université de Santiniketan, lieu de rencontre entre l’Orient et l’Occident, enseigne le français et fait connaître la culture française en accueillant divers savants venus de France. Mais, à cause de l’impéritie de ses dirigeants, elle va vite péricliter. Le cinéaste Jean Renoir séjourne à Calcutta en 1949 et 1950. Il encourage le jeune Satyajit Ray, alors inconnu, dans la réalisation d’un film.

Les parsis, chassés de leur pays d’origine, la Perse, réfugiés en Inde, tout particulièrement à Bombay attirent l’attention des voyageurs français impressionnés par leur générosité, leur intérêt pour l’éducation (qui se manifeste par le soutien à des institutions existantes mais aussi par la création de nouveaux établissements comme le collège Elphinstone à Bombay) et leur préoccupation de santé publique (qui se traduit par la construction d’hôpitaux). Vivant à l’écart des hindous, ils établissent de bonnes relations avec les Britanniques dont ils adoptent les coutumes. Bien que peu nombreux (48 000 à Bombay dans les années 1920), ils prospèrent et dominent la vie intellectuelle dont les femmes ne sont pas absentes. La culture française les intéresse. Réciproquement, certains Français étudient la religion et la langue des parsis. Le développement de l’apprentissage du français à Bombay, sans aucune aide des autorités nationales françaises indifférentes à l’Inde, inquiète les Britanniques qui redoutent la propagation d’idées révolutionnaires. Notre langue est aussi enseignée, à un moindre degré, à Calcutta et à Madras, et seulement aux femmes. Lahore manifeste aussi de l’intérêt. Dans le sud de l’Inde, les missionnaires dirigent de nombreuses écoles. Ils dénotent dans leurs élèves de réelles aptitudes et une motivation sans faille. Avides de savoir, les Indiens de hautes castes recherchent les collèges universitaires tenus par des jésuites français, notamment Saint François-Xavier à Palamcottah (Palayamkottai) près de Tirunelveli, Saint-Joseph à Trichinopoly et Ignace-de-Loyola à Madras. Mais, dans ces établissements, l’enseignement se fait en anglais. Les missionnaires français ont contribué à la formation des élites indiennes. Le père Racine forme au collège Ignace-de-Loyola de Madras plusieurs mathématiciens de renom. Quelques uns de ses élèves poursuivront leurs études à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Mais l’influence française s’estompe après la Seconde Guerre mondiale et l’indépendance, face à la concurrence des Allemands dont la langue est considérée comme un véhicule scientifique et des Russes. L’apathie de notre pays explique ce déclin. Les Alliances françaises ne se développeront que bien après l’indépendance de l’Inde. L’indianiste Pierre Amado, attaché culturel à partir de 1954, contribue au développement de la coopération scientifique et technique entre les deux pays.

La France, surtout Paris mais aussi Deauville et Cannes, attire les maharajahs. Celui de Baroda, Sayajirao Gaekwad III qui règne de 1875 à 1939, a soutenu les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale et modernise sa principauté en souverain éclairé. Il connaît Paris dont il fait l’éloge. Le maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh, séjourne régulièrement en France dès qu’il exerce le pouvoir à partir de 1890. En 1900, il fait construire à Kapurthala un palais versaillais et des jardins à la française. Sans doute pour snober les Britanniques, il y organise avec ostentation des fêtes somptueuses où se côtoient de riches maharajahs et nababs, et parfois même des Français venus de France. La princesse Amédée de Broglie, son époux et son fils le prince Albert de Broglie s’y sont rendus en février 1911 pour assister au mariage du prince héritier de Kapurthala. Ce n’est pourtant pas une Française que Jagatjit  Singh avait épousée mais une Espagnole. Francophile et francophone, il envoie ses enfants en France, pour y être éduqués. À Simla, la capitale d’été des Indes britanniques, un membre francophile du Conseil exécutif du vice-roi, Harcourt Butler, crée une Société des amis de la France. Un seul Indien en fait partie, le maharajah de Kapurthala. La Première Guerre mondiale met fin à toutes ces festivités.

Au XVIIIe siècle, peu d’Indiens vivent en France et ce sont des esclaves. Plus tard, certains nationalistes indiens, inspirés par les idées révolutionnaires françaises, et traqués par les Britanniques, trouvent refuge à Paris mais le plus souvent dans les territoires français des Indes. Ainsi, Aurobindo Ghose rejoint Chandernagor pour quelques mois avant de s’installer à Pondichéry où il passera l’essentiel de sa vie.

Les premiers étudiants indiens arrivent en France à la fin du XIXe siècle. Une parsie est sans doute la première Indienne à suivre des cours dans une université française. Kalidas Nag rédige à Paris une thèse sur l’Arthashâstra de Kautilya sous la direction de Sylvain Lévi. Il la soutiendra en 1926. D’autres Indiens préparent des thèses en France, notamment à Montpellier où un Écossais a fondé le Collège écossais dont Tagore est le président d’honneur. Raja Rao né dans le Mysore s’y distingue et publiera plus tard, en 1959, son œuvre majeure, Le serpent et la plume, traitant de la rencontre entre l’Occident et l’Orient. Des artistes indiens se font connaître en France. Parmi eux, Ravi Shankar fait découvrir le sitar en France. Un comité franco-indien avec Pierre Loti comme président d’honneur est créé au printemps 1914 par un Indien pour développer les relations culturelles et scientifiques entre les deux pays. Il ne survivra pas après la Première Guerre mondiale. Mais sur l’initiative d’Indiens, deux associations voient le jour : l’Association sociale et commerciale hindoue et l’Association des hindous de Paris. En septembre 1932, elles acclameront Gandhi lors de son passage à Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, un autre Indien fonde l’Association France-Inde à Paris avec aussi des bureaux à Lyon et à Perpignan. Les grands scientifiques indiens collaborent surtout avec les Britanniques mais certains entretiennent des relations avec des Français, notamment Marcelin Berthelot, Marie Curie et Louis de Broglie. Des chimistes et des physiciens soutiennent des thèses en Sorbonne. Des travaux du physicien Jagadish Chandra Bose sont présentés à Paris et traduits en français. À l’instigation de Marcelin Berthelot, Prafulla Chandra Ray rédige History of Hindu chemistry en deux volumes publiés en 1902 et 1909. Le physicien Satyendranath Bose travaille entre 1924 et 1926 en France avec Louis de Broglie, Marie Curie et en Allemagne avec Albert Einstein. Les bosons, particules fondamentales qui portent son nom, honorent ses recherches. Chandrashekhara Venkata Raman devient en 1929 membre associé de l’Académie française des sciences. En 1930, il reçoit le prix Nobel pour ses travaux sur la diffusion de la lumière. Au total, à défaut de relations commerciales consistantes aux XIXe et XXe siècles, l’Inde et la France ont développé leurs liens culturels, la France étant beaucoup plus présente en Inde que l’Inde en France.

 

L’auteur consacre le chapitre 8 (pages 579 à 650) aux relations de Tagore et de Gandhi avec la France, en relatant notamment leurs voyages dans notre pays. Après la Première Guerre mondiale, des intellectuels constatent le déclin de l’Occident et se tournent vers l’Orient, dont l’Inde.

Malgré plusieurs séjours en France dont certains longs effectués entre 1878 et 1930, Rabindranath Tagore ne parvient pas en dépit de ses efforts à maîtriser la langue française contrairement à son frère aîné Jyotindranath. Sa connaissance de notre littérature demeure limitée. Mais il est subjugué par Paris. Sa notoriété a grandi avec l’attribution du prix Nobel en 1913. Alexis Leger (Saint-John Perse) admire sa poésie comme André Gide qui contribue à susciter de l’engouement pour Rabindranath Tagore grâce à la Nouvelle Revue Française qu’il dirige. Henri Bergson, Jean Cocteau, Anna de Noailles, Paul Valéry, Marguerite Yourcenar et bien sûr Romain Rolland font partie des admirateurs du poète bengali. Au delà du domaine littéraire, Romain Rolland, séduit par les idées universalistes de Rabindranath Tagore, conçoit avec lui un projet politique, une union des continents et des races. L’importante revue Europe, fondée en 1923 par Romain Rolland en collaboration avec Georges Duhamel, accorde jusqu’en 1939 une place prépondérante à l’Inde, par ailleurs délaissée par les milieux politiques et médiatiques. Elle publie des articles de prestigieux auteurs indiens, dont Tagore, Gandhi et Nehru, faisant ainsi connaître la politique contemporaine de l’Inde. La rencontre de Tagore avec Mussolini à Rome en juin 1926, puis son voyage dans les Balkans et en Hongrie et la compréhension qu’il affiche à l’égard du fascisme l’éloignent de Romain Rolland. Sa germanophilie et ses ambiguïtés au sujet du panasiatisme déplaisent à Sylvain Lévy. Les deux hommes se brouillent. Tagore dénonce certes le colonialisme britannique accusé de violences et de mépris mais en même temps reconnaît que le contact avec l’Occident a enrichi la culture indienne. Les communistes français le courtisent. En 1920 et 1921, le riche banquier et philanthrope Albert Kahn le reçoit dans sa vaste propriété de Boulogne. En 1930, il l’accueille dans sa villa du Cap Martin. Bien que trouvant peu de lecteurs en France, il reste admiré car c’est un génie. En plus de ses chefs d’œuvre littéraires, il acquiert une certaine notoriété grâce à ses tableaux comme le montre une exposition à Paris en 1930.

La personnalité de Gandhi déconcerte, son message restant difficile à saisir. Gandhi affirme la supériorité de l’Asie en opposant la civilisation de l’avoir des Européens à la civilisation de l’être de l’Inde. Son concept de non-violence et son pardon à l’égard de l’oppresseur lui attirent des sympathies. Romain Rolland, internationaliste, qui n’a jamais visité l’Inde, écrit sa biographie, Mahatma Gandhi qui paraît en 1924. Il lui reproche son nationalisme même s’il est dénué de violence mais finit par admettre son combat humaniste. Et pourtant, Gandhi défend le système des castes, en condamnant il est vrai l’intouchabilité. C’est en Suisse, en décembre 1931, que Romain Rolland recevra le mahatma. La rencontre amorce la rupture entre Romain Rolland qui ne cache pas ses sympathies pour l’Union soviétique de Staline et Gandhi qui condamne la violence du communisme. L’entretien de Gandhi avec Mussolini met fin à leur amitié. Beaucoup en France considèrent que Gandhi est un homme du passé. Son souhait de rapprocher hindous et musulmans reste incompris.          

Gandhi avait découvert Paris en 1889 alors qu’il suivait des études à Londres. Plus tard, en 1931, en route pour Londres, il débarque à Marseille où il ne reçoit aucun accueil officiel. De retour de la capitale britannique, il s’arrête à Paris avant de se rendre en Suisse. Les médias le critiquent, ne le considérant pas comme sérieux. Cependant, une association se crée pour le soutenir, « Les amis de Gandhi ». Elle publie une revue, Les nouvelles de l’Inde, pour faire connaître sa pensée et la situation en Inde. Mais elle jouit d’une faible audience. Quelques admirateurs attribuent à Gandhi des qualités d’humaniste et vantent son altruisme. Ils croient en la non-violence mais constatent que la division entre communautés retarde l’émancipation de l’Inde et s’inquiètent pour son avenir. L’Italien Giuseppe Lanza, qui prend le nom de Lanza del Vasto, séjourne plus d’une année en Inde en 1937-1938, après avoir suivi des études à Paris. Il y rencontre Gandhi et défendra ses idées. De retour en France, il publie en 1943, en pleine guerre, un ouvrage qui connaît un grand succès, Le Pèlerinage aux sources dans lequel il relate son voyage en Inde et ses discussions avec Gandhi.

Des détracteurs de l’Inde se font aussi connaître comme Katherine Mayo qui dans son livre Mother India, traduit en français sous le titre L’Inde avec les Anglais, décrit ses habitants sous des aspects très négatifs.

Connue favorablement par des reportages en Union soviétique et en Afghanistan, Andrée Violis se rend dans l’Inde britannique en 1930. Observatrice attentive, elle parcourt le pays, rencontre des personnes de tous les milieux sociaux et publie un livre sérieux au titre évocateur, L’Inde contre les Anglais, dans lequel elle décrit sans complaisance la misère des Indiens, l’idéalisme de Gandhi, les prétentions des communistes. Elle omet d’étudier les musulmans.

 

Le chapitre 9 (pages 651 à 674) est intitulé « L’indépendance indienne vue de France ». Jacques Weber décrit les évènements principaux qui secouent l’Inde après l’indépendance et la manière dont ils sont perçus en France, par les médias et marginalement par les autorités. Lors d’une journée d’action décidée par la Ligue musulmane de Jinnah, le 16 août 1946, on compte dix mille morts à Calcutta. La France s’inquiète de l’intention du gouvernement de Nehru de soutenir le Vietminh et du sort de ses établissements en Inde. Un premier ambassadeur de France est nommé en Inde, Daniel Lévi, qui prend ses fonctions le 3 novembre 1947, soit moins de trois mois après l’indépendance de l’Inde, le 15 août. Les quotidiens français se contentent de reprendre les communiqués des agences de presse faisant état de la situation en Inde. Les grandes revues s’y intéressent peu à l’exception de la revue jésuite Études. Pour les journalistes français, la décision de Londres de quitter l’Inde s’explique davantage par le déclin britannique que par le nationalisme indien. Ils ne croient pas au maintien de l’unité de l’Inde. Le correspondant du Figaro estime que le Pakistan survivra grâce au soutien des Occidentaux qui trouveront en lui un allié sûr au sud de l’URSS. La presse française annonce que les heurts entre hindous et musulmans ont fait cinquante mille morts entre le 15 août et le 10 septembre 1947. Le Figaro annonce deux cent cinquante mille morts début janvier 1948. On sait aujourd’hui que les chiffres des victimes est supérieur. Entre 1947 et 1950, le total des tués est au minimum de cinq cent mille. Et le nombre des personnes déplacées entre l’Inde et le Pakistan est de l’ordre de treize à quatorze millions. L’assassinat de Gandhi le 30 janvier 1948 par un fanatique hindou suscite des commentaires de la presse qui fait l’apologie d’un « apôtre de la paix » et un communiqué du gouvernement français. Un hommage lui est rendu au Parlement auquel les communistes ne s’associent pas. Face à de nombreuses difficultés, l’Inde recherche des aides internationales. La France préoccupée par la guerre qu’elle livre en Indochine reste discrète.

Dans son ouvrage, l’auteur nous rappelle des pans de l’histoire de l’Inde, telle qu’elle est perçue par les Français qui se sont intéressés à ce pays de manières les plus diverses, par des études et/ou des voyages. Il s’exprime rarement à titre personnel. Il le fait notamment pour regretter l’indifférence de la France à l’égard de l’Inde pendant la période historique qu’il décrit, un effacement qu’il attribue à la volonté française de ne pas froisser les Britanniques et aussi après l’indépendance à la guerre en Indochine. Incidemment, il rappelle que le zéro et le système décimal sont d’origine indienne.

Alain Lamballe, Asie21

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