Par le général (2s) Daniel Schaeffer, membre du groupe Asie21-Futuribles, ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine
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Le 8 juillet 2024, Viktor Orban, premier ministre de Hongrie et président de l’Union européenne jusqu’en décembre, vient d’achever sa visite en Chine pour s’entretenir, entre autres, de la perspective d’un cessez-le-feu en Ukraine et des négociations de paix qui s’ensuivraient. Cette « mission 3.0 », comme il l’appelle, fait suite aux deux démarches identiques qu’il a accomplies les 2 et 5 juillet respectivement auprès des présidents ukrainien et russe sachant que, du côté russe, Vladimir Poutine a déjà proposé au moins par quatre fois de négocier et se montre prêt à un cessez-le-feu. Malheureusement il présente des conditions nettement irrecevables, voire bloquantes. Mais au moins, il y a un espace d’ouverture, bien que très étroit, mais ouverture quand même. En revanche, Zelensky, dans son entêtement à vouloir poursuivre la guerre avec le vain espoir de rétablir une situation qui lui est peu favorable, n’a pas donné de réponse franche à Orban.
Il ne s’agit pourtant pas pour lui de capituler, comme le recommande le Pape, mais dans l’immédiat, de résister au mieux à la pression russe, ce qu’il réussit difficilement à faire depuis plusieurs mois. De plus, il n’est absolument pas évident que l’aide prochaine qu’il attend de l’Otan permettra à ses troupes de se redresser sur le front, voire de reprendre partiellement le dessus sur leur adversaire. Elle risquera même d’aggraver la situation si autorisation lui est donnée d’utiliser des armes occidentales capables d’atteindre des objectifs dans la profondeur du territoire russe. Dans ces conditions, pourquoi les lui fournir dès lors que cela risque de mettre l’Europe, l’Otan et les États-Unis en état de cobelligérance authentique avec l’Ukraine et de déchaîner les foudres nucléaires russes sur l’Europe, et même les États-Unis ?
Dans ce conflit en cours, l’un des objectifs légitimes de l’Ukraine est de pouvoir recouvrer en totalité les espaces tenus partiellement par les Russes dans les provinces russophones du Donetsk, de Louhansk, de Zaporijia et de Kherson, dont Poutine demande, avant négociations pour un cessez-le-feu, que les Ukrainiens s’en retirent. Pour Zelensky c’est une perspective insupportable mais que, avec un peu de bonne volonté et d’influence auprès de Poutine, Xi Jinping devrait pouvoir faire inverser. Le recours chinois est parfaitement envisageable. En effet, dans le premier article du plan en douze points proposés pour la paix en Ukraine, publié le 24 février 2023 sur le site internet de son ministère des Affaires étrangères, Pékin dit clairement que « la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement préservées »1. Malgré le caractère général de la formule, dès lors qu’elle se trouve dans la proposition en douze points, elle s’applique parfaitement à l’Ukraine, d’autant plus que, en diverses occasions, la Chine s’est toujours déclarée pour un retour de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues.
Or, lorsque Pékin a présenté son plan, aucun État ou organisation soutien de l’Ukraine n’a voulu le voir à ce moment-là, ni maintenant d’ailleurs. Ce plan a été condamné d’entrée avec la plus ardente mauvaise foi sous prétexte qu’il ne contenait rien de concret, ce qui est faux lorsque l’on veut bien se donner la peine de lire la totalité de la proposition. Mais il avait l’avantage, et il l’a encore, de poser les principes à partir desquels pourraient s’élaborer les bases concrètes de la négociation. Nous ne disserterons pas ici sur les raisons implicites de la proposition chinoise ni sur les suspicions d’intentions qui l’entourent. L’essentiel est de se concentrer sur une volonté qui est celle de la fin des hostilités et d’un retour à la paix en Europe de l’Est, une volonté confirmée par le communiqué conjoint sino-brésilien en six points du 23 mai 20242.
Orban a eu le courage de prendre seul l’initiative d’entreprendre ces trois démarches dans l’espoir d’un apaisement définitif en Ukraine, sans demander l’avis de l’Union européenne ou de l’Otan. Le voilà donc vilipendé par l’Occident tout entier alors que, même s’il ne se plie pas aux multiples règles en vigueur dans l’Union européenne et dans l’Otan, cette initiative de paix devrait au contraire être saluée. Qu’espère l’Occident dans la poursuite de cette guerre ? Que l’Ukraine puisse gagner ? Cela fait deux ans qu’elle ne réussit pas à reconquérir les territoires occupés par les Russes. Que la Russie ne puisse pas gagner ? C’est évident tant qu’elle se restreint à ne pas vouloir, pour l’heure, avoir recours à l’arme nucléaire tactique, voire préstratégique. Les stratèges de salon se complaisent à défendre l’idée que celle de Poutine est de détruire l’Europe et de l’envahir après l’Ukraine, idée largement relayée par divers média. Les troupes russes ont déjà bien du mal à enfoncer le front ukrainien en un seul et unique secteur. Un peu de bon sens commande de ne pas les voir arriver à Paris avant longtemps, si ce n’est jamais, ni même à Varsovie !
Dans sa démarche, Orban est fidèle à sa ligne puisque, le 22 février 2023, lors de l’assemblée générale de l’ONU pour condamner à nouveau la Russie, il avait déjà plaidé avec l’Iran pour un cessez-le-feu en Ukraine. Lors du vote de la nouvelle résolution, trente-deux pays s’étaient abstenus au lieu de voter contre. Qui s’abstient laisse aux autres le soin de choisir pour lui, en l’occurrence en faveur de la poursuite de la guerre en Ukraine, alors que ces trente-deux là auraient pu parfaitement abonder dans le sens de la proposition d’un cessez-le-feu. Mais on ne peut revenir en arrière, y compris sur l’abstention de notre président de la République, après sa visite en Chine du 5 au 8 avril 2023, de saisir au bond la proposition chinoise en 12 points alors qu’il aurait pu décider seul d’organiser en France une conférence internationale en vue d’un cessez-le-feu. Ce qui aurait largement rehaussé le prestige de notre pays, prestige perdu de son côté par la Suisse en acceptant d’organiser sa bancale conférence sur la paix en Ukraine sur la base des seules propositions de Zelensky, véritable réquisitoire contre la Russie. Il est certes justifié, mais il n’avait rien d’un plan de paix et n’avait donc aucunement sa place à une conférence telle que celle de Bürgenstock les 15 et 16 juin. En revanche, l’examen ultérieur du pretium doloris infligé à la nation ukrainienne devrait, à juste titre, trouver toute sa place lors des négociations de paix, à l’heure où un à un tous les éléments concrets d’un retour à la paix seront examinés.
Du côté européen, Orban apparaît être le seul, aujourd’hui, capable d’établir un contact et de discuter avec les deux belligérants principaux, de dialoguer avec la Chine, plaideur authentique pour le retour de la paix en Ukraine malgré son soutien, en demi-teinte malgré tout, à la Russie, et d’intervenir auprès des États-Unis, de l’Otan et de l’Union européenne. Même si ces deux derniers le vouent aux gémonies parce qu’il contrarie leur obstination à croire en la victoire illusoire de l’Ukraine, alors que la sanglante confrontation n’apparaît en faveur d’aucune des deux parties, jusqu’au moment où les Russes pourraient décider de l’emploi de l’arme nucléaire. L’initiative d’Orban n’est pas terminée. Fortement critiqué autant à l’Otan qu’à l’Union européenne, il poursuit sa quête en vue de soutiens pour sa recherche de la paix en Europe centrale. Dès le 11 juillet, autre facteur d’irritation de ses opposants, il se rend en Floride pour rencontrer Donald Trump en sa résidence de Mar-a-Lago et discuter avec lui du plan de paix déjà élaboré depuis longtemps par ses collaborateurs. À la suite de cette rencontre, le 19 juillet, Donald Trump téléphone à Volodomir Zelensky pour lui affirmer que s’il redevenait président des États-Unis, il ferait arrêter la guerre en Ukraine. Fanfaronnade ou sincère engagement ? Toujours est-il que la concordance de vues entre Trump et Orban doit être considérée comme un encouragement à une authentique préparation à la fin des hostilités en Ukraine.
C’est pourquoi, n’en déplaise, il faut soutenir sans réserve l’initiative d’Orban, aussi horripilant que puisse apparaître le personnage pour beaucoup. Il faut défendre résolument l’idée d’un urgent et préalable cessez-le-feu, comme plusieurs observateurs l’ont déjà fait3, sans conditions. Cela devra se faire sous contrôle d’une commission d’armistice de l’ONU dans laquelle ne figurerait aucun des pays impliqués directement et indirectement dans le conflit, des États-Unis à la Chine en passant par l’Union européenne et l’Otan. Il est urgent d’établir d’ores et déjà les modalités de la mise en place de ce cessez-le-feu, de le faire accepter par les deux parties majeures concernées, sans intervention autre que celle de l’ONU ou de mandataires dûment choisis par ses soins.
- Texte intégral accessible à https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/202302/t20230224_11030713.html
- Texte intégral accessible à https://www.gov.br/planalto/en/latest-news/2024/05/brazil-and-china-present-joint-proposal-for-peace-negotiations-with-the-participation-of-russia-and-ukraine
- Appel de l’institut Schiller : https://www.institutschiller.org/Pour-eviter-l-affrontement-nucleaire-Ouvrons-immediatement-des-negociations-de