L’Indo-pacifique. Nouveau centre du monde, Taillandier, Paris, 2024

de Valérie Niquet et Marianne Péron-Doise.

Note de lecture d’Alain Lamballe.

En 254 pages et 7 chapitres, Valérie Niquet et Marianne Péron-Doise traitent de l’Indo-pacifique sous ses divers aspects politiques, économiques et militaires. Sans surprise, la Chine et les réactions des autres pays riverains et des grandes puissances mondiales que sa politique suscite occupent une place prépondérante dans l’ouvrage. A contrario, le livre consacre une faible importance à l’Afrique. La part réservée au Moyen-Orient n’est guère non plus conséquente. Quelques cartes agrémentent le livre.

   Dans le chapitre 1 (13 pages), les auteurs rappellent des faits historiques, notamment les échanges commerciaux entre l’empire romain, la Perse, l’Inde et la Chine. Présents depuis longtemps, les marchands arabes ont accru leurs activités avec l’expansion de l’islam. Du Ve au XVe siècles, à l’époque des califats omeyyade et abbasside, ils remplacent les chrétiens. Dans la partie orientale de l’océan Indien, le royaume chola du sud de l’Inde et srivijaya de l’Indonésie s’imposent dans les échanges commerciaux. Plus à l’est, les empires chinois des dynasties des Tang, des Songs et celle mongole des Yuan commercent avec l’Asie du Sud-est et au delà avec l’Inde et l’Arabie. Les progrès de la marine chinoise sous la dynastie des Ming permettent à l’amiral Zheng He de lancer des expéditions lointaines avec des centaines de bâtiments. À partir du XVe siècle, après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, les Européens se resaississent en organisant de vastes expéditions. Les Portugais établissent le comptoir de Goa en 1510 et prennent le contrôle de Malacca et des Moluques en 1511-1512. En 1513, ils peuvent commercer avec Canton et s’installer à Macao. À partir du XVIe siècle, les Portugais s’effacent de plus en plus au profit des Hollandais puis des Anglais. Nés en Inde, l’hindouisme et le bouddhisme se répandent à Sri Lanka et en Asie du Sud-Est. Le bouddhisme pénètre aussi en Chine, en Corée et au Japon. L’influence chinoise s’affirme avec le confucianisme. La dynastie Ming contrôle pendant un temps la partie nord du Vietnam. Dans le même temps, des migrants s’installent en Asie du Sud-Est. Les Arabes arrivent aussi en Chine méridionale et en Asie du Sud-Est, tout particulièrement en Indonésie.

   Ce n’est qu’en 2007 qu’apparaît le concept de l’Indo-Pacifique grâce au Japon.

   Dans le chapitre 2 (24 pages), les auteurs soulignent l’importance de cet ensemble géographique. Les trois plus grandes puissances en font partie : les États-Unis, la Chine et le Japon. L’Inde rejoindra ce peloton de tête. L’Inde et la Chine sont les deux pays les plus peuplés du monde et l’Indonésie figure à la première place des pays musulmans. Le continent africain connaît un accroissement démographique très élevé. La Chine est la première puissance commerciale du monde. Les plus grands ports du monde s’y trouvent. Taïwan fabrique plus de la moitié des semi-conducteurs utilisés dans le monde. La Chine et l’Inde sont les principaux fabricants de médicaments génériques. Dans le domaine de la santé, elles sont à la fois complémentaires et concurrentes. Les besoins énormes en source d’énergie de la Chine, de l’Inde et du Japon influent sur les marchés mondiaux du gaz et du pétrole. La Chine est le premier consommateur de métaux qu’elle importe surtout d’Afrique. Sa flotte marchande est la troisième du monde. Elle sillonne les routes de la soie. Toutefois, ses investissements directs restent nettement inférieurs à ceux des États-Unis et de l’Europe. L’Inde investit elle aussi de plus en plus à l’extérieur de ses frontières.

     Les auteurs décrivent ensuite les organisations internationales, l’Asia Pacific Economic Cooperation (APEC), le Comprehensive and Progressive Trans Pacific Partnership (CPTPP), le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), l’Indo-Pacific Economic Framework (IPEF), l’Association of South-East Asia Nations (ASEAN) + 3, l’ASEAN Regional Forum (ARF), l’East Asia Summit (EAS), la Shanghai Cooperation Organisation (SCO), la Conference on International and Confidence Building Measures in Asia (CICA), la Commission de l’Océan Indien (COI) et l’Indian Ocean Rim Association (IORA).

   Le chapitre 3 (29 pages) aborde la gouvernance maritime, jugée faible, incapable de supprimer la piraterie, le terrorisme et le trafic de drogues et d’empêcher la pêche illégale. Les pays riverains interprètent de manière différente le droit de la mer. Il en résulte des différends dans les deux océans Indien et Pacifique. Les enjeux concernent la navigation, la pêche et l’exploitation des fonds marins. Les détroits restent vulnérables. Des pays insulaires peuvent disparaître du fait de l’élévation du niveau de la mer. Le nombre des réfugiés climatiques risque de s’accroître. La lutte contre la piraterie s’impose.

   Le chapitre 4 (31 pages) est consacré à la Chine, qualifiée de grand pertubateur. De fait, elle s’affirme face à l’Inde dans le but notamment de consolider son approvisionnement énergétique. Elle ne s’interdit pas de modifier le statu quo sans toutefois souhaiter recourir à la force. Le développement de sa flotte marchande et de sa marine guerre rendu possible par des chantiers navals importants consitue un élément de sa puissance. Les garde-côtes civils, qui se situent à la deuxième place dans le monde, s’apparentent à une véritable force militaire. Ils disposent en effet de bâtiments de plus de 10 000 tonnes. La flotte de pêche occupe la première place mondiale et se livre à des prises illégales sur les côtes africaines et dans le Pacifique. Les auteurs auraient pu ajouter qu’elle agit de même en Asies du Sud et du Sud-Est. Bien qu’ayant signé et ratifié la Convention de Montego Bay, la Chine revendique plus de 80 % de la Chine de mer méridionale, empiétant ainsi sur les zones économiques exclusives des autres pays riverains, en particulier le Vietnam, la Malaisie et les Philippines. Il en est de même en mer de Chine orientale à l’égard de la Corée du Sud et du Japon. La loi sur la sécurité maritime adoptée par Pékin le 1er septembre 2021 accorde aux garde-côtes chinois l’autorisation d’utiliser les armes. La Chine militarise les îlots qu’elle s’est appropriée. En 2013, les Philippines ont engagé une procédure d’arbitrage international contre la Chine. En 2016, le tribunal a donné tort à la Chine mais celle-ci ne tient aucun compte du jugement. Par ailleurs, la Chine revendique avec de plus en plus d’insistance l’île de Taïwan. Elle construit un collier de perles avec les ports de Sittween en Birmanie, Hambantota à Sri Lanka, Gwadar au Pakistan, Bagamayo en Tanzanie.

   Le chapitre 5 (37 pages) montre que les pays riverains de la zone indo-pacifique et les autres pays ne la perçoivent pas de la même manière. La plupart d’entre eux expriment de la méfiance à l’égard de la Chine. À l’origine du concept de l’Indo-Pacifique, le Japon est membre du Quadrilateral Dialogue (QUAD) avec l’Australie, l’Inde et les Etats-Unis. Il œuvre pour la libre circulation des navires, la constitution et le maintien des chaînes d’approvisionnement, en restant préoccupé par les problèmes de sécurité. Mais, comme l’Inde, il n’envisage pas de faire de cette association une alliance militaire. L’Australie a été le premier pays à mentionner explicitement le terme Indo-Pacifique dans ses documents officiels. Pour les États-Unis, l’Indo-Pacifique s’étend de la côte occidentale de l’Inde à leur côte occidentale, incluant donc seulement la partie orientale de l’océan Indien et excluant l’Afrique et le Moyen-Orient. Cette définition se traduit dans l’organisation des grands commandements américains. En mai 2018, l’US Pacific Command (USPACOM) a pris l’appellation de US Indo-Pacific Command (USINDOPACOM). Ce dernier inclut l’Inde. Il comprend des moyens considérables. Les auteurs auraient pu rappeler l’existence du Central Command (USCENTCOM) qui inclut le Pakistan. Les liens des États-Unis avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, la Thaïlande, Taïwan et l’Australie se consolident. La Chine reste la préoccupation principale avec à moindre degré la Corée du Nord. Pour l’Inde, la zone indo-pacifique inclut la partie occidentale de l’océan Indien avec les pays africains riverains. L’Afrique constitue pour elle un élément important de sa politique étrangère. L’Asie du Sud-Est lui apparaît comme un possible pôle d’équilibre entre elle et la Chine. Elle ressert ses liens avec l’Australie avec laquelle elle a établi en 2020 un Indo-Pacific Oceans Initiative Partnership et avec le Japon.

Les pays d’Asie du Sud-Est n’adoptent pas une même attitude à l’égard de la Chine. Les États insulaires confrontés aux revendications territoriales en mer de Chine du Sud affichent dans l’ensemble leur méfiance, voire leur hostilité, à l’égard de Pékin contrairement aux États péninsulaires plus enclins à la coopération, voire à des relations privilégiées. La Corée du Sud se montre prudente pour des raisons économiques (la Chine représentant 78 % de ses exportations, parmi lesquelles figurent les semi-conducteurs) et sécuritaires (problème avec la Corée du Nord). Pour elle, une coopération avec la Chine et le Japon constitue une nécessité.

En Europe, la France a fait figure de pionnière en Indo-Pacifique où elle possède des territoires formant 90 % de sa zone économique exclusive. L’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie se montrent plus discrets sur le concept de l’Indo-Pacifique. L’Union européenne déplore les mesures coercitives de la Chine envers la libre navigation maritime et entretient des relations privilégiées avec l’Association of South-East Asia Nations (ASEAN). Le Royaume-Uni ne possède pas de stratégie indo-pacifique malgré son intérêt pour la zone. Il entretient des relations privilégiées avec l’Australie dans le cadre de l’Australia United Kingdom United States (AUKUS). Il développe ses relations militaires avec le Japon en coopérant pour construire en commun un avion de chasse de nouvelle génération. Mais sa faiblesse économique l’empêche d’investir de manière significative. Le Canada exerce une modeste présence navale et coopère en matière de renseignement et de cybersécurité avec l’Inde et le Japon.

  La Chine refuse le concept d’Indo-Pacifique qu’elle considère comme lui étant hostile. Elle le dénonce comme un outil de « guerre froide ». Elle développe les routes de la soie, malgré la réticence de certains pays océaniques riverains. La Russie se montre elle aussi opposée au concept de l’Indo-Pacifique, présentée comme une extension de l’OTAN. Occupée en Ukraine, elle ne possède pas de moyens suffisants pour imprimer sa marque. Elle conserve des relations étroites avec l’Inde de même qu’avec le Japon vers lequel malgré le différend sur les îles Kouriles, elle exporte du gaz.

   Le chapitre 6 (32 pages) analyse le réarmement naval. De nouvelles puissances navales apparaissent, le Japon, l’Inde, l’Indonésie et la Corée du Sud. La marine américaine maintient sa domination mais la Chine rattrape son retard aussi bien en nombre de bâtiments qu’au niveau technologique. À plus ou moins long terme, la Chine pourrait occuper la première place mais la capacité opérationnelle de sa marine reste à démontrer. Les États-Unis multiplient les exercices navals avec l’Inde. Dénommées Malabar, ces manœuvres incluent désormais le Japon et l’Australie notamment dans le cadre du Quadrilateral Dialogue (QUAD). La marine canadanienne a participé avec les marines américaine, australienne et japonaise à un exercice naval en mer de Chine du Sud en octobre 2022. Des navires canadiens accompagnent régulièrement des navires américains dans le détroit de Taïwan. Des accords de soutiens logistiques et d’escales ont été signés entre l’Inde et les États-Unis, le Japon et l’Australie, de même qu’entre le Royaume-Uni et le Japon. Un arrangement sécuritaire existe également depuis 1951 entre le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et Singapour. Les Philippines accordent de nouvelles bases aux  États-Unis. L’association Australia United Kingdom United States (AUKUS) regroupe comme son nom l’indique l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis.  Ces trois pays font par ailleurs partie des Five Eyes avec la Nouvelle-Zélande et le Canada. Ces regroupements entre Anglo-Saxons montrent la méfiance de ces derniers envers la France.

La Chine développe son arsenal. Elle dispose de trois porte-avions. Un quatrième à propulsion nucléaire est en cours de construction. S’ajoutent trois porte-hélicoptères, dotés d’aéroglisseurs, et capables d’embarquer chacun 800 marines. La marine chinoise dispose désormais d’une base à Djibouti et contribue à la lutte contre la piraterie. En Asie du Sud-Est, elle utilise la base navale cambodgienne de Ream. Par ailleurs, la Chine poldérise certains récifs dans les Paracels et les Spratleys.

La marine indienne possède deux porte-avions mais à capacité limitée, cinq sous-marins de type Scorpène construit sous licence française et un sous-marin nucléaire lanceurs d’engins. Le Japon développe lui aussi sa marine qui dispose désormais de 22 sous-marins. La Corée du Sud aligne 19 sous-marins. L’Indonésie envisage l’acquisition de deux sous-marins Scorpène. Les Philippines s’équipent de patrouilleurs construits en Corée du Sud. Le Vietnam a acquis six sous-marins Kilo d’origine russe.

Parmi les pays européens, seuls la France et le Royaume-Uni assurent une présence significative en Indo-Pacifique. Des bâtiments de guerre français traversent régulièrement le détroit de Taïwan, large de 130 kilomètres à l’endroit le plus étroit. La marine allemande a, jusqu’à présent, évité d’emprunter ce détroit. La marine italienne assure aussi quelque présence. L’Europe affirme régulièrement la nécessité d’appliquer la Convention de Montego Bay. Militairement, elle agit surtout dans le nord-ouest de l’océan Indien. C’est évidemment la marine américaine qui opère le plus souvent en mer de Chine du Sud et dans le détroit de Taïwan.

   Dans le chapitre 7 (29 pages), les auteurs décrivent la politique française dans l’Indo-Pacifique. La France posséde des territoires dans cette région mais ses moyens économiques et militaires ne lui permettent pas de jouer un rôle de premier plan. Toutefois, elle se montre très active dans les principales organisations régionales, comme la Commission de l’océan Indien (COI), l’ASEAN Regional Forum (ARF), l’Indian Ocean Rim Association (IORA) et l’ASEAN Regional Forum (ARF). Elle participe aux dialogues de Shangri La à Singapour et de Raisina en Inde. Elle déploie 7 000 militaires basés dans l’océan Indien à La Réunion, à Djibouti et à Abu Dhabi et dans l’océan Pacifique en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Elle est partenaire du dialogue de Port-Moresby qui a lieu après chaque réunion du Forum des Îles du Pacifique (FIP) où la France n’a qu’un statut d’observateur. Elle a créé le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indo-Pacifique, réuni pour la première fois en février 2022 pendant sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Elle participe à des opérations humanitaires en aide aux populations affectées par des catastrophes naturelles. Depuis 2020, elle possède un ambassadeur spécialement chargé de la zone indo-pacifique. Elle intervient aussi dans des organisations de coopération militaires, en particulier l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS) et au Western Pacific Naval Symposium (WPNS). Des manœuvres conjointes concernant les trois armées sont organisées avec divers pays. Pour l’Inde, les auteurs ne citent que les exercices communs navals et aériens, omettant de citer ceux qui impliquent les armées de terre. La France et l’Inde ont signé des accords de coopération. L’un d’eux permet à la marine française d’utiliser les bases indiennes dont celle se trouvant dans l’archipel des Andaman et Nicobar. Réciproquement la marine indienne peut utiliser les bases françaises, à La Réunion, à Djibouti et à Abu Dhabi. La création prochaine à Nouméa d’une académie militaire pour former les cadres du Pacifique est évoquée par les auteurs mais depuis la parution de l’ouvrage, elle paraît douteuse, compte de la situation dans l’île.

Après avoir mentionné les principaux think tanks occidentaux, les auteurs citent l’existence dans l’île de Haïnan d’un Centre Chine-ASEAN au sein de l’Institut national chinois pour les études sur la mer de Chine méridionale. Ce centre a créé son propre dialogue, le Forum de Xiangshan.

La brève conclusion du livre (4 pages) rappelle la position prédominante de la Chine dans la zone indo-pacifique. La dépendance économique de nombreux pays à l’égard de la Chine subsistera. Mais les auteurs émettent des doutes sur la capacité de la Chine à sécuriser les voies de communication maritimes qui lui sont indispensables. Une hypothèse est émise, celle de la montée en puissance de l’Inde, des États de l’Asie du Sud-Est et du Japon qui pourrait réduire l’influence chinoise. La France cherche à préserver ses intérêts face aux nations dominantes, États-Unis, Chine, Inde. Indépendamment des problèmes politiques, les catastrophes naturelles constituent une grave menace dans toute la zone, mais surtout pour les pays insulaires dont certains pourraient cesser d’exister.